Sigismond (Georges COURTELINE)

Fantaisie en un acte avec Chœurs.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur la scène du « Tréteau de Tabarin », le 10 février 1901.

 

 

SIGISMOND.

Quoi ?

MADAME POISVERT.

Mouche ton nez !

Sigismond mouche son nez avec son bras.

MADAME POISVERT.

Remonte tes bas.

Sigismond obéit.

Tu as encore marché dans la crotte, dégoûtant !

Sigismond tire son mouchoir et on essuie ses souliers.

Bon ! Va t’asseoir là-bas. Il y a une place vacante. Moi, je reste ici. Il ne faut pas nous placer à côté l’un de l’autre ; ça pourrait attirer l’attention de M. Fursy, et alors, adieu la surprise !...

SIGISMOND.

Compris !

Il va s’asseoir à l’autre extrémité de la salle. Là.

Saleté de pétunia ! Saleté de pétunia !...

À son voisin de droite.

De quoi ai-je l’air, avec ce pétunia ?...

LA RÉCITANTE.

Ce jeune homme au front revêtu
D’une auréole si pudique,
Marche fièrement, tout l’indique,
Dans le sentier de la vertu.

LE CHŒUR.

La candeur luit sur son front blême.

LA RÉCITANTE.

Qu’il soit un exemple pour nous.

LE CHŒUR.

Qu’il soit un exemple pour nous.

LA RÉCITANTE.

La fleur qu’il tient sur ses genoux (bis),
De son âme chaste est l’emblème.

SIGISMOND, à son voisin de gauche.

De quoi j’ai l’air ? J’ai l’air d’un idiot ; c’est bien simple. Mon Dieu, que c’est donc assommant, quand on serait si tranquille chez soi, de venir en soirée chez Fursy !

MADAME POISVERT.

Sigismond ! Sigismond !

SIGISMOND, à son voisin.

Ça y est.

LE VOISIN.

Quoi ?

SIGISMOND.

V’là maman qui va m’interviewer d’un bout à l’autre de la salle. Feignons n’avoir pas entendu.

MADAME POISVERT.

Sigismond ! Sigismond, mon fils !

LE CHŒUR.

Celui dont l’invisible main
Gouverne les gens et les choses
Nous a placés comme des roses,
Vieille auguste, sur ton chemin.

LA RÉCITANTE.Ô femme à la face élargie

De noblesse et de majesté,
Parle haut, ton âge est lesté
D’une expérience assagie.

LE CHŒUR.

Parle haut, ton âge est lesté
D’une expérience assagie.

MADAME POISVERT.

Sigismond !

SIGISMOND.

J’aime bien maman, mais cré nom, qu’elle est agaçante ! quel besoin, non mais quel besoin de crier à tue-tête que je m’appelle Sigismond ?

MADAME POISVERT.

Sigismond !

SIGISMOND, agacé.

Quoi ?

MADAME POISVERT.

Le pétunia !

SIGISMOND.

Le pétunia ?

MADAME POISVERT.

Oui, le pétunia.

SIGISMOND.

Eh bien, quoi, le pétunia ?

MADAME POISVERT.

Aies-en soin, Sigismond !

SIGISMOND.

Sois donc tranquille !

MADAME POISVERT.

Ne l’abîme pas !

SIGISMOND.

N’aie donc pas peur !

MADAME POISVERT.

N’oublie pas que c’est une surprise et que nous devons l’offrir tout à l’heure, pour sa fête, à notre ami, M. Fursy.

SIGISMOND.

Mais oui, mais oui.

LA RÉCITANTE.

La délicate attention !

LE CHŒUR.

Pourquoi ne l’avons-nous point eue ?...

LA RÉCITANTE

En un vers qui la perpétue.

LE CHŒUR.

En un vers qui la perpétue.

LA RÉCITANTE.

Exprimons notre émotion.

LE CHŒUR.

Mais il suffit ; sachons nous taire !
Bouches closes sur un secret,
Bornons-nous au geste discret
Qui symbolise le mystère !

LA RÉCITANTE.

Le mystère.

LE CHŒUR.

Le mystère.

MADAME POISVERT.

Sigismond !

SIGISMOND, à part.

Ça recommence !

MADAME POISVERT.

Sigismond !

SIGISMOND.

Et après ?

MADAME POISVERT.

Fais une risette à ta mère !

SIGISMOND.

Une autre fois.

MADAME POISVERT.

Pourquoi une autre fois ?

SIGISMOND.

Parce que !

MADAME POISVERT.

Parce que quoi ?

SIGISMOND.

Parce qu’il y a du monde.

MADAME POISVERT.

Ça ne fait rien.

Frappée d’un soupçon.

Ah ça, Sigismond, aurais-tu honte d’avoir de la tendresse pour moi ?... Va, il n’est pas de plus beau spectacle, que celui d’une mère et d’un fils unis par les liens de l’affection la plus étroite. Fais-moi une risette, Sigismond !

SIGISMOND.

Voilà !

Il sourit.

MADAME POISVERT.

C’est ça. – Envoie-moi un bécot.

SIGISMOND.

Chez nous !

MADAME POISVERT.

Non, ici.

SIGISMOND.

Non !

MADAME POISVERT.

Si !

SIGISMOND.

Non !

MADAME POISVERT, fondant en larmes.

Sigismond, tu ne m’aimes plus !

SIGISMOND.

Mais si !

MADAME POISVERT.

Bien vrai ?

SIGISMOND.

Puisque je te le dis ?

MADAME POISVERT.

Alors, fais-moi encore une petite risette !

La mère et le fils se sourient.

LE CHŒUR.

Le riant, l’aimable tableau !...
Qu’il a de douceurs et de charmes !

LA RÉCITANTE.

N’arracherait-il pas des larmes
Aux rochers de Fontainebleau ? (bis)

LE CHŒUR.

Fils cent fois tendre.

LA RÉCITANTE.

Mère heureuse,
L’un de l’autre à ce point épris.

LE CHŒUR.

Vous évoquez en nos esprits
L’heureuse Famille de Greuze.

MADAME POISVERT.

Sigismond !

SIGISMOND, douloureux.

« Je voudrais être assis à l’ombre des forêts. »

MADAME POISVERT.

Sigismond !

SIGISMOND.

Quoi ?

MADAME POISVERT.

Tu vois ce monsieur ?

SIGISMOND.

Quel monsieur ?

MADAME POISVERT.

Le petit réjoui, là-bas, qui ressemble à un Japonais...

SIGISMOND.

Eh bien ?

MADAME POISVERT.

C’est M. Hyspa.

SIGISMOND.

Je m’en fous !

MADAME POISVERT.

Tout à l’heure, je demanderai à M. Fursy de te mettre en rapport avec lui. Tu lui parleras littérature, ça l’intéressera. Tiens, au fait, si tu lui lisais la pièce de vers que tu as composée l’autre jour pour l’anniversaire de ton oncle, dont ta tante a dit comme ça, que tu avais des dispositions. Hein, Sigismond, tu la lui liras, dis, ta pièce ?

SIGISMOND.

Ah ! non !

MADAME POISVERT.

Pourquoi ?

SIGISMOND.

Je me la rappelle plus.

MADAME POISVERT.

Je te la soufflerai. Ça commence comme ça... Heu...

Avec quelle impatience attendais-je le jour
Où je pourrais enfin t’exprimer mon amour...

SIGISMOND.

Ah ! non ! Voyons ?... Je t’en prie, maman !

MADAME POISVERT.

Sigismond, il faudra te lier avec M. Hyspa, avec M. Montoya et avec M. Paul Delmet. Dans la vie, il faut se faire des relations, ou alors on ne connaît personne. Aide-toi, le ciel t’aidera ! La fin justifie les moyens ! Il vaut mieux faire envie que pitié.

LA RÉCITANTE.

Tel, sous l’azur des ciels limpides
Que parcourt le vol des ramiers,
Avril voit les fleurs des pommiers
S’écrouler en neiges rapides.

LE CHŒUR.

Tel nous voyons, émerveillés,
Couler à torrents des lumières.

LA RÉCITANTE.

Il pleut des vérités premières.

LE CHŒUR.

Tendons nos rouges tabliers.

Un temps. Sigismond commence à se rassurer. Mais brusquement.

MADAME POISVERT, à tue-tête.

Sigismond !

SIGISMOND, désespéré.

Quoi ?

MADAME POISVERT.

Est-ce que tu as pensé à changer de chaussettes ?

Du coup, Sigismond en a assez. Il se lève, et posant son pétunia en pot sur les genoux de sou voisin.

SIGISMOND.

C’en est trop ! Acceptez, de grâce,
Ce pot de fleurs qui m’embarrasse
Quant à moi, j’en ai plein le dos ;
Je fuis par l’express de Bordeaux.

Il se dirige vers la porte, tandis que.

MADAME POISVERT et LES SPECTATEURS.

Courons, amis, courons employer toute chose
À rompre le dessein que son cœur se propose.

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