Brelan de Gascons (Louis-Émile VANDERBURCH)

Comédie en un acte et en vers.

Représentée, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Ambigu-Comique, le 27 Avril 1816.

 

Personnages

 

MONSIEUR GIRAUD

SOPHIE, sa fille

LÉON, amant de Sophie

FORLIGNAC, Gascon, prétendu de Sophie

JULIE, amante de Forlignac

FLORENT, valet de Forlignac

FINETTE, suivante de Sophie

GERMAIN, domestique de M. Giraud

 

La scène est à Paris, chez M. Giraud.

 

Le Théâtre représente un Salon.

 

 

Scène première

 

FLORENT, FINETTE

 

FLORENT.

Quoi ! j’arrive à l’instant... près de toi je m’empresse,

Croyant que mon retour va te combler d’ivresse,

Et... Mais, en vérité, belle réception,

Après quatorze mois de séparation !

Un mot, ma chère...

FINETTE.

Non.

FLORENT.

Écoute-moi, Finette.

FINETTE.

Je suis sourde.

FLORENT.

Réponds au moins.

FINETTE.

Je suis muette.

FLORENT.

Muette !... Eh ! depuis quand ?

FINETTE.

Depuis, monsieur Florent,

Que vous courez le monde ainsi qu’un Juif errant.

FLORENT.

Mais si je cours, du moins, c’est après la Fortune ;

Tu n’en dois concevoir de jalousie aucune.

FINETTE.

La Fortune, en Gascogne ?

FLORENT.

Et pourquoi pas, vraiment ?

J’étais sûr de l’atteindre indubitablement ;

Mais elle court si fort !

FINETTE.

Allez, monsieur le drôle,

Nous savons que partout vous jouez plus d’un rôle :

Il ne tenait qu’à vous de vous fixer ici.

FLORENT.

Il en est temps, je pense, encor.

FINETTE.

Non, Dieu merci.

FLORENT, affligé.

Tu serais mariée ! Est-il vrai ?

FINETTE, souriant.

Bonne pièce !

À part.

Il paraît s’affliger, sa douleur m’intéresse.

Haut.

Non... je suis libre encor, mais ne veux plus de vous.

FLORENT.

Parles-tu franchement ? Non, tes yeux sont trop doux.

Finette, touche-là ; je veux, sans imposture,

Te conter jusqu’au bout toute mon aventure.

Écoute. En te quittant, je suis entré d’abord

Chez une jeune veuve, elle me plaisait fort.

D’humeur paie, et pourtant de conduite estimable,

Cœur excellent !... mais vive ; ah ! c’était un vrai diable

Quand elle s’y mettait... Généreuse d’ailleurs,

Donnant même par fois les soufflets les meilleurs.

J’avais là pour maîtresse une fière luronne,

Qui n’a pas sa seconde aux bords de la Garonne.

Elle tire l’épée... un... deux... il faut la voir :

Son amant l’aimait plus par peur que par devoir.

FINETTE.

Son amant, dis-tu ?

FLORENT.

Oui.

FINETTE.

Mais tu la disais sage.

FLORENT.

Sans doute elle l’était, quoique dans le veuvage ;

Mais d’un nouvel époux elle agréait les vœux,

Et peu s’en est fallu qu’on ne formât ces nœuds.

Cette union serait charmante, sur mon âme !

Madame vaut monsieur, et monsieur vaut madame.

Certes, l’amour, je crois, ferait bien du pays,

Sans pouvoir rencontrer époux mieux assortis.

Ce même amant, à qui je rendis quelqu’office,

Me trouvant à son goût, me prit à son service ;

J’y suis encore, hélas ! et je m’en mord les doigts :

Il ne m’a pas donné cela, depuis six mois.

FINETTE.

Peste !... et comment se nomme un si généreux maître ?

FLORENT.

Forlignac... avant peu tu vas le voir paraître.

Il se rend ici.

FINETTE.

Bon !... Grand dieu ! serait-ce lui ?

Ce futur qu’on attend de Bordeaux aujourd’hui ?

FLORENT.

C’est lui : pour épouser... la dot de ta maîtresse,

Il vient de planter là sa charmante diablesse.

FINETTE.

Ah ! ciel ! tout est perdu !... nous n’avons plus d’espoir !

Quand ton maître vient-il ?

FLORENT.

Mais... au plus tard ce soir.

FINETTE.

Florent, puis-je toujours compter sur ton adresse.

FLORENT.

Peux-tu le demander ? tu connais ma tendresse ;

Je ferai tout pour toi.

FINETTE.

Je te promets ma main.

Si tu veux me servir d’appui jusqu’à demain.

FLORENT.

Bien, donne-moi d’avance un baiser pour salaire...

Je veux me mettre en quatre à présent pour te plaire,

Moyennant, toutefois, que tout est pout l’honneur.

Je me pique, vois-tu, d’être un valet de cœur !

Pour rendre homme de bien, l’eau de Garonne est saine.

FINETTE.

Vas, bon apôtre, vas ; bois de l’eau de Seine.

Elle rend bon mari, mais, quoi ? monsieur Léon

À demi-voix.

C’est lui que ma maîtresse aime.

FLORENT, de même.

Il est beau garçon !

 

 

Scène II

 

FLORENT, FINETTE, LÉON

 

LÉON, entre précipitamment.

Ah ! Finette...

FINETTE.

Eh ! monsieur quelle est votre imprudence ?

Vous ici ! vous risquez...

LÉON.

De mon impatience

Je ne suis plus le maître ; et je veux, en ce jour,

Au père de Sophie apprendre mon amour.

Apercevant Florent, il parle plus bas.

Qu’en pense-tu, dis-moi, puis-je espérer encore ?

FINETTE.

Bien loin !... c’est votre sort ! hélas, que je déplore :

Plus d’espoir, le futur arrive ce matin ;

C’est fini.

LÉON.

C’en est fait, mon malheur est certain !

Et d’où sais-tu cela ?

FINETTE, montrant Florent.

J’apprends qu’il est en route,

Par son valet.

LÉON.

Comment, toi, maraud ?

FLORENT.

Oui, sans doute ?

C’est mon maître.

LÉON.

Tu peux lui dire, de ma part,

Qu’il fera prudemment de hâter son départ.

FLORENT.

Pourquoi ?

LÉON.

S’il vient ici qu’il tremble pour sa vie !

FLORENT.

De vous frotter à lui ne prenez point envie ;

Imitant le gascon.

C’est un hommé, sandis...

FINETTE.

Un gascon, un bretteur !

LÉON.

Non ! je n’écoute rien que ma juste fureur !

Mais ne trouve-tu pas, Finette, quelque chose,

Pour retarder au moins l’hymen qui se dispose ?

FINETTE.

Rien, absolument rien.

LÉON.

Je vais me déclarer :

Ce coup est bien cruel ; mais je veux le parer.

FINETTE.

Attendez... on pourrait...

LÉON.

As-tu quelque espérance !

FINETTE.

Non, je n’ai rien encore.

LÉON.

Ah ! cruelle souffrance !

FINETTE.

Bon ! m’y voilà, monsieur : vous n’êtes pas connu

De monsieur Giraud ?

LÉON.

Non : il ne m’a jamais vu ;

Mais il connaît beaucoup mon père et ma famille,

Et se doute que j’ai du penchant pour sa fille.

Plus bas.

Mais je crois imprudent de s’expliquer ainsi

Devant cet inconnu.

FINETTE.

Je vous réponds de lui,

Et dans nos intérêts, je veux même le mettre.

FLORENT.

Je n’en suis pas d’avis.

FINETTE.

Tu viens de le promettre.

FLORENT.

Je reprends ma parole, et refuse à présent.

FINETTE.

Il se radoucira.

Elle fait signe de compter de l’argent.

Je le sais complaisant.

Rompons, sans plus tarder, le lien ridicule

Qui se forme. L’on peut, je pense, sans scrupule,

Tromper monsieur Giraud pour lui faire plaisir :

Rendre sa fille heureuse est, certes son désir ;

Vous ferez son bonheur, de quoi se peut-il plaindre ?

Mais c’est un coup d’état qu’il faut faire sans craindre.

Bref, monsieur, devenez votre propre rival ;

Gantez-vous, bottez-vous, prenez un bon cheval,

Courez pendant une heure : arrivez tout en nage,

Imitant d’un gascon lé burlesque langage,

Vous disant Forlignac, bien pressé d’être époux :

Vous meniez, tourmentez... et Sophie est à vous !

LÉON.

Expédient divin, digne de toi, Finette !

FINETTE.

Bien plus : pour l’abuser, rien ne nous inquiète.

Voici le beau Florent, voire soumis valet ;

Au-devant de son maître, en courrier il venait.

Il arrive à propos pour nous tirer d’affaire,

Et va vous annoncer à votre cher beau-père.

LÉON.

Quoi ! tu le voudrais bien Florent ?

FLORENT.

Moi ! non, vraiment.

FINETTE.

Qu’est-ce ? quand j’ai parlé, dois-tu dire autrement ?

FLORENT.

Quoi !de gaîté de cœur, j’irais trahir mon maître ?

FINETTE.

M’oses-tu résister ?

LÉON.

Je saurai reconnaître...

Ce service...

FINETTE.

Obéis.

FLORENT.

Je n’y puis consentir.

LÉON.

Laissez-vous gagner !

FLORENT.

Non, rien ne peut me fléchir ;

Adieu.

Il feint de vouloir sortir.

LÉON.

Monsieur Florent, restez, je vous en prie !

FLORENT.

Je crains d’être tenté par votre seigneurie.

Peut-être seriez-vous homme à me présenter

Votre bourse ; et moi, faible assez pour l’accepter ;

C’est afin de ne pas m’exposer de la sorte,

Que je m’en vais ; souffrez, de grâce, que je sorte.

LÉON, tirant sa bourse.

Ah ! j’entends !... tiens, Florent, prends cela mon garçon,

Et ne diffère plus à me faire gascon.

FLORENT.

Ne le disais-je pas ?... là ! ces maudites bourses

Sont pour nous des raisons...

LÉON.

Et pour nous des ressources.

FLORENT.

Eh ! mais, vraiment, monsieur, j’y songe en ce moment !

Prenant vos intérêts, j’agis honnêtement.

En partant, j’ai promis à madame Julie,

D’empêcher que mon maître ait la main de Sophie ;

Elle aime Forlignac, elle sait son départ.

Payé des deux cotés, je prends doublement part

À servir votre amour... mais j’en ris, quand j’y pense !

Savez-vous que Julie est d’une pétulance,

Telle, qu’il se pourrait qu’elle arrivât ici

Reprendre son amant... je voudrais voir ceci,

J’en rirais de bon cœur !...

LÉON, l’interrompant.

Florent, dis-moi, quel homme

Est ton maître ?

FINETTE.

On le dit sot.

FLORENT.

Mais à peu près comme ;

Pauvre riche, très vain, un de ces fanfarons,

Tremblant dans un danger, brave avec les poltrons ;

Vous entendez ?

LÉON.

Fort bien.

FLORENT.

Vantant fort sa naissance,

Ses titres et ses noms ; et sa fortune immense,

Bien qu’il n’ait pas un sou.

LÉON.

Me voilà bien au fait,

Et pour me seconder encor dans mon projet,

Ce portrait de Sophie est utile peut-être.

FLORENT.

Mais j’ai vu le pareil dans les mains de mon maître.

FINETTE.

Vraiment la ressemblance est telle, en vérité,

Qu’on prendrait l’un pour l’autre.

LÉON.

Ah ! je suis enchanté !

Tu seras bien payé, Florent... que je t’embrasse !

Tu ne me quitte plus.

FLORENT.

Eh ! doucement, de grâce,

Monsieur, vous m’étouffez avec votre amitié ;

Je m’en vais à Finette en rendre la moitié.

Il veut embrasser Finette.

FINETTE.

Finis... eh ! mais, mon Dieu, quelqu’un vient, ce me semble :

Partez vite, de peur que l’on nous voie ensemble,

Partez... mais partez donc.

FLORENT.

Adieu, mon petit cœur,

Mon bijou, mon objet !

FINETTE.

Au diable le causeur !

 

 

Scène III

 

FINETTE, seule

 

Enfin, nous y voilà !... quelle belle victoire !...

Si nous la remportons... et pour moi quelle gloire !...

Si nous n’échouons pas... échouer ! oh ! que non :

Finette le décide et Finette en répond.

Il en coûte si peu pour attraper un homme,

Bon et simple surtout... monsieur Giraud en somme...

J’entends et je prétends, répondra-t-il : d’accord.

Nous verrons, sur ce point, qui sera le plus fort.

Et puis Florent est là ; c’est un garçon habile,

Et son amour pour moi, d’ailleurs, le rend agile.

Ma foi, de l’épouser je prendrai le parti ;

Il est jeune, pas sot, même assez bien bâti :

Et pour faire enrager l’homme assez bon apôtre ;

Pour me faire sa femme... autant vaut lui qu’un autre.

Voici monsieur Giraud... pour mieux l’amadouer,

Sur tout ce qu’il fera, je m’en vais le louer.

 

 

Scène IV

 

MONSIEUR GIRAUD, SOPHIE, FINETTE

 

MONSIEUR GIRAUD.

J’obtiens donc à la fin cet aveu si pénible ;

C’est fort bien.

SOPHIE.

À mes pleurs, serez-vous insensible ?

MONSIEUR GIRAUD.

Vous vous rendrez bientôt, ma fille, à la raison ;

Ces mines et ces pleurs ne sont plus de saison.

J’entends et je prétends qu’ici l’on m’obéisse.

Et vous épouserez Forlignac.

SOPHIE.

Quel caprice,

Mon père, me vouloir marier malgré moi :

J’aime mieux le couvent.

MONSIEUR GIRAUD.

Me ferez-vous la loi ?

À mes ordres, je veux que vous soyez docile ;

Vous oublierez Léon.

SOPHIE.

Cela n’est pas facile.

MONSIEUR GIRAUD.

Cela sera, je veux que cela soit ainsi,

Que ce Léon jamais ne se présente ici.

SOPHIE.

Le nom de Forlignac, seul, m’est insupportable.

MONSIEUR GIRAUD.

Ma fille, avec le temps, vous trouverez aimable

Mou gendre, votre époux. Il vous sied bien vraiment,

D’avoir des volontés contre mon sentiment !

Rien n’est pis, selon moi, que tête de fillette ;

Cela tourne à tout vent comme une girouette.

SOPHIE.

Mais, mon père, il s’agit ici de mon bonheur,

Et d’ailleurs, je ne puis donner deux fois mon cœur.

À votre volonté je ne suis point rebelle ;

Et si mon âme entière à vos yeux se révèle,

Prenez pitié de moi ; j’implore vos bontés,

Je suis au désespoir si vous me rebutez.

MONSIEUR GIRAUD.

Mais, ma fille, à mon tour aussi je te conjure

D’écouter la raison. Sois donc ici bien sûre

Que je veux ton bonheur, et qu’en te mariant,

Je sais ce que je fais. D’abord, considérant

Que ton oncle, mon frère, a le désir extrême

De te voir épouser ce Forlignac, qu’il aime ;

D’aller contre ses vœux je me garderai bien !

Nous devons, tu le sais, hériter de son bien :

Je choisis Forlignac. Qu’on m’approuve ou me blâme,

Je le veux, il suffit, et vous serez sa femme.

SOPHIE.

Non, mon père.

MONSIEUR GIRAUD.

Voyez un peu l’entêtement !

Finette, que dis-lu de son acharnement ?

SOPHIE.

Oh ! Finette est pour moi, d’avance je le gage ;

Et pour dire autrement, je la connais trop sage.

Qu’en pense-tu, réponds, Finette.

FINETTE.

Moi !... d’abord,

Comme monsieur je pense, et vous avez grand tort,

Contre un bon père ainsi de faire la mutine :

Vous devez accepter l’époux qu’on vous destine.

SOPHIE.

Tu me trahis ainsi !... tu ris de mon malheur !

Lorsque je te croyais sensible à ma douleur.

FINETTE, haut et sérieux.

Du tout, je ne ris pas.

Bas à Sophie.

Car votre sort me touche,

N’entendez que mon cœur, n’écoutez point ma bouche,

Chût !...

Haut.

Oui, mademoiselle, il vous faut obéir ;

Ou votre père, enfin, vous fera consentir.

Allons, monsieur Giraud, à tout il faut un terme ;

Entendez, prétendez, et tenez toujours fermé.

MONSIEUR GIRAUD.

Oui, j’entends, je prétends... ce que je veux.

FINETTE.

Bien çà !

Il faut montrer du nerf ; on est homme, voilà

Comme l’on doit parler.

SOPHIE.

Ah ! tout me désespère,

Et je me jette en vain aux genoux de mon père ;

Il est sourd à ma voix.

FINETTE, bas à Sophie.

Attendez un instant.

Haut à monsieur Giraud.

Mais voyez ce que c’est que les femmes pourtant !

Tenez, monsieur Giraud, d’avance, moi j’augure

Que votre fille, rien qu’en voyant la figure

De monsieur Forlignac, n’eu aura pas si peur

Qu’à présent.

SOPHIE.

Car je me sauverai.

FINETTE.

Je gage le contraire.

MONSIEUR GIRAUD.

Vous sauver ! point du tout, vous voudrez bien lui faire

Une réception, telle qu’il le convient.

SOPHIE.

Quoi ! voulez-vous encor me forcer...

FINETTE.

Quelqu’un vient ;

C’est Florent, le valet de monsieur votre gendre.

MONSIEUR GIRAUD.

Eh ! oui, vraiment, c’est lui.

 

 

Scène V

 

MONSIEUR GIRAUD, SOPHIE, FINETTE, FLORENT

 

FINETTE.

Que viens-tu nous apprendre ?

Ton maître te suit-il ?

FLORENT.

Oui ; votre serviteur,

Comme vous le voyez, est son ambassadeur ;

Il demande s’il peut vous faire sa visite,

Encore tout botté...

MONSIEUR GIRAUD.

Comment ! mais tout de suite ;

Pourquoi tant de façons ? que mon gendre avec moi

 

En agisse à son aise, ainsi qu’on fait chez soi.

FLORENT.

Vous êtes, je le vois, comme à votre ordinaire,

Monsieur Giraud, toujours affable et débonnaire.

MONSIEUR GIRAUD.

Où donc est Forlignac ?

FLORENT.

Bientôt vous l’allez voir.

MONSIEUR GIRAUD.

Fort bien. Surtout ici, qu’à le bien recevoir

Tout le monde s’apprête.

SOPHIE.

Et moi, je me retire ;

Je ne saurais rester.

MONSIEUR GIRAUD.

Ma fille, qu’est-ce à dire ?

M’entendez-vous ? je veux que vous restiez céans.

FINETTE.

Ferme, monsieur Giraud... défendez.

MONSIEUR GIRAUD.

Je défends.

Que vous sortiez d’ici.

FLORENT, à demi-voix.

Cadédis, la petite

Tremble ; je vois... déjà son petit cœur palpite ;

C’est au mieux, et mon maître est fort bien prévenu,

Il inspire l’effroi, même avant qu’on l’ait vu.

MONSIEUR GIRAUD.

Ne perdons point de temps, préparons tout d’avance ;

Holà, quelqu’un ? Germain, accours en diligence.

 

 

Scène VI

 

MONSIEUR GIRAUD, SOPHIE, FINETTE, FLORENT, GERMAIN

 

MONSIEUR GIRAUD.

Va-t’en chez mon notaire, et qu’il se rende ici,

Entends-tu bien ?

GERMAIN.

Fort bien ; d’être sourd, Dieu merci,

Je n’ai pas le malheur.

Il sort.

MONSIEUR GIRAUD.

Voici, je crois, mon gendre.

FLORENT.

C’est lui-même.

FINETTE, à part.

Voyons la mine qu’on va prendre,

Quand on reconnaîtra la ruse.

 

 

Scène VII

 

MONSIEUR GIRAUD, SOPHIE, LÉON, FLORENT et FINETTE

 

LÉON, sous un habit de Forlignac.

Me voilà ;

Cadédis ! quelle routé ! où donc est lé papa ?

Ah ! jé lé réconnais à sa vonné figure !

Oui, boilà mon veau-père, et c’est là ma future.

Récévez, jé bous prie, un tendre emvrassement.

MONSIEUR GIRAUD.

De tout mon cœur, mon gendre...

À part.

Eh ! mais, il est charmant !

LÉON.

Puis une fois encor, pour mousu botré frère.

Et cetté velle enfant, permettez-bous veau-père ?

Il embrasse Sophie, qui le reconnaît.

SOPHIE.

Ô ciel ! c’est...

LÉON, bas à Sophie.

Calmez-vous.

Haut.

Jé bois, c’est mon accent

Qui produit cet effet, en me reconnaissant.

Cé défaut... Pardonnez, j’en perdrai l’habitude ;

Bous plaire désormais sera ma seule étude.

Uné fois, cadédis, que bous serez à moi !...

SOPHIE.

Oui, je vous crois, monsieur.

MONSIEUR GIRAUD, à Finette.

Elle sent moins d’effroi.

Eh bien ma fille, enfin, te voilà plus remise.

SOPHIE.

Oui, mon père, c’était ma première surprise.

MONSIEUR GIRAUD.

Sans doute on est surpris...

FINETTE.

On le serait à moins.

À Sophie.

Ce monsieur Forlignac n’est pas si mal, au moins !

SOPHIE.

C’est vrai.

FINETTE.

Vous faisiez tant d’abord la renchérie !

Vous le haïssez moins déjà, je le parie.

LÉON.

Tout le long du chemin je né pensais qu’à bous :

Demandez à Florent. Un passe-temps si doux,

Seul, parut abréger la longueur du boyage.

SOPHIE, à Finette.

Finette, il est galant on ne peut davantage !

LÉON.

Je né mé lassais pas dé boir botre portrait !

Mais comvien à présent jé lé troube imparfait,

Et que dé son modèle il s’en faut qu’il approche !

FLORENT, à Sophie.

À chaque instant, monsieur, vous lirait de sa poche.

MONSIEUR GIRAUD.

Eh bien ! de ton époux, ma fille, que dis-tu !

SOPHIE.

Je ne m’attendais pas à voir... ce que j’ai vu.

MONSIEUR GIRAUD.

N’est-ce pas ?

SOPHIE.

Je m’étais fait une idée affreuse

Que cet hymen devait me rendre malheureuse ;

Mais ma prévention s’affaiblit maintenant.

MONSIEUR GIRAUD.

Tu veux bien épouser monsieur ?

SOPHIE.

Dès à présent...

Si vous voulez, mon père.

MONSIEUR GIRAUD.

Embrasse-moi, ma fille !

Je te trouve, vois-tu, mille fois plus gentille,

Quand tu parles raison.

FINETTE.

Elle pense fort bien.

LÉON.

Mademoiselle, au moins né mé déguisez rien.

Jé bous aime, il est brai, d’un amour vien sincère ;

Mais jé n’aspiré pas, malgré bous, à bous plaire.

Si quelqu’un, plus heureux, a touché votre cur,

Prénez-lé pour époux et faités sou vonheur ;

Jé né mé plaindrai point, et jé cédé la place

Au fortuné ribal.

SOPHIE.

Monsieur, veuillez, de grâce,

Penser mieux de mon cœur et de mes sentiments.

MONSIEUR GIRAUD.

Fort bien dit, par ma foi ! j’entend et je prétend,

La bien récompenser d’être aussi raisonnable.

FINETTE.

Je vous le disais bien, cet hymen est sortable.

SOPHIE, à Léon.

Je dois pourtant, monsieur, vous prévenir ici

D’un point, dont vous devez sans doute être éclairci.

J’ai senti de l’amour pour un jeune homme... honnête,

Qui s’appelle Léon. J’avais fait sa conquête,

Et je recevais bien ses soins et son respect ;

Je l’aimais tendrement, et rien qu’à son aspect.

J’éprouvais du plaisir !... mon âme était contente !

MONSIEUR GIRAUD, bas à Sophie.

Ma fille, que dis-tu ?... mais le diable la tente ?

Es-tu folle, d’aller lui parler de ceci ?

SOPHIE.

Je parle sans détour ; monsieur le veut ainsi.

LÉON.

Oui ; croyez que braiment la chose m’intéresse,

Que j’y prends part...

SOPHIE.

J’aimais, d’une égale tendresse,

Léon, qui me jura de n’épouser que moi :

À mon tour, je promis de lui garder ma foi.

LÉON, transporté.

Sandis, bous mé charmez !... dans mon délire extrême,

Jé crois, en cé moment, être Léon moi-même !

SOPHIE.

Mais tout ce que d’amour j’ai ressenti pour lui,

Je l’éprouve pour vous, monsieur, dès aujourd’hui ;

Et je crois même, encor, vous aimer davantage.

LÉON.

Oh ! vous n’y perdrez rien, cadédis, jé lé gage.

MONSIEUR GIRAUD.

Ah ! je suis attendri, Finette, de les voir !

Ils seront, je le veux, unis, et dès ce soir.

LÉON, avec transport.

Cé soir donc un notaire... avant, s’il est possible !

 

 

Scène VIII

 

MONSIEUR GIRAUD, SOPHIE, LÉON, FLORENT, FINETTE, GERMAIN

 

GERMAIN.

Au secours ! au secours ? ah ! quel homme terrible !

MONSIEUR GIRAUD et LÉON.

Qu’est-ce ?

GERMAIN.

C’est un futur qui vous vient en second :

Celui-là, par ma foi, je le crois bien gascon ;

Il en a l’air toujours.

FLORENT, à part.

Et la chanson, peut-être.

Prudemment cachons-nous, sans doute c’est mon maître.

Il entre dans un cabinet latéral.

LÉON, bas à Finette.

Ah ! Finetté, c’est lui !... qué faire.

FINETTE, de même.

Tenez bon !

Eh ! craint-on de mentir lorsque l’on est gascon ?

Voyons, parlez.

LÉON.

Sandis ! quel est lé misérable !

GERMAIN.

C’est un gascon, monsieur, plus méchant que le diable.

MONSIEUR GIRAUD.

Voyons : explique-toi, Germain, plus clairement.

GERMAIN.

Monsieur, je parle assez catégoriquement.

C’est monsieur Forlignac, ici qui se présente,

Votre gendre.

LÉON.

Comment ?

MONSIEUR GIRAUD.

Ce monsieur là plaisante ;

Le voilà, Forlignac.

GERMAIN.

Je ne dis pas que non,

Mais le nouveau venu dit qu’il porte ce nom.

Il m’accoste au sortir, courant chez le notaire,

Et m’assure qu’il est l’ami de votre frère,

Ce Forlignac enfin qu’on attend en ce jour ;

Et sur ma joue encor vous voyez son bon jour.

LÉON.

C’est un fourbé... papa, c’est un fripon, jé gage,

Qui, pour aboir la dot, tenté cé mariage.

MONSIEUR GIRAUD.

Je le crois comme vous ; par ma foi, je prétends

Que ce monsieur s’en aille et n’entre point céans.

D’ailleurs, voici mon gendre.

FINETTE, bas à Léon.

Allons, doublez d’audace ;

En aussi beau chemin ne quittez pas la place.

 

 

Scène IX

 

MONSIEUR GIRAUD, SOPHIE, LÉON, FINETTE, FORLIGNAC

 

FORLIGNAC.

Sandis ! qué dé façons, mousu, pour bous trouber ;

Jé croyais, cadédis, ne jamais arriber !

Sans douté qué boilà ma pétité maîtresse :

Eh ! donc, qué jé l’étouffé à forcé dé tendressé !

MONSIEUR GIRAUD.

Doucement.

LÉON.

Doucément, l’ami.

FORLIGNAC.

Quoi, doucément ?

Vous vous moquez.

LÉON.

Crois-moi, tu féras sagément

Dé t’en aller vien vite, ou vien dans ma furie !

FORLIGNAC.

Mais jé né comprends rien à cetté diablerie !

Jé né mé trompé pas, vous êtes Jean Giraud,

Frère dé Luc-Toussaint Giraud dé Vieux-Château,

Qui désiré mé boir memvré dé la famille,

Et c’est pourquoi jé biens épouser botré fille ;

Jé suis, pour bous serbir Martin-Marc Forlignac,

Pé Bélac, près Gernac, canton de Rumignac ;

Dé Bordeaux à l’instant j’arribé bentre-à-terre,

Pour vous fairé ma cour ; et certain dé bous plaire,

Tout en eau, tout poudreux, tout froissé, tout crotté,

Concluons... et jé signé encore tout voté.

LÉON.

Il n’est pas nécessaire.

FORLIGNAC.

Et que boulez-bous dire ?

Il lé faut, cadédis ! et je parlé sans rire :

Jé vrûle, boyez-bous ; car les amours gascons

Sont diabrement pressés... Veau-père, concluons.

MONSIEUR GIRAUD.

Concluons !... Qu’en dis-tu, Finette ? C’est dommage

Qu’il vienne un peu trop tard jouer son personnage.

FORLIGNAC.

Personnage bous-même ! Et pour qui mé prend-on,

S’il vous plaît.

LÉON.

On vous prend pour un maître fripon.

FORLIGNAC.

Fripon !... par la fenêtre il faut que je te jette.

FINETTE.

Oui, monsieur le sandis ; un Fourbe qui projette

De nous tromper ici par un nom suppose ;

Mais il faut, pour le faire, être un peu plus rusé !

LÉON, à Forlignac.

Oses-tu bien, maraud, mé soutenir en face

Que tu portes mon nom ?

FORLIGNAC.

Ton nom ?

LÉON.

Eh ! oui, vieillasse,

Lé nom dé Forlignac, qui n’appartient qu’à moi.

FOULIGNAC.

Toi, Forlignac, sandis !

LÉON.

Oui, moi.

FOULIGNAC.

Non pas, ma foi,

C’est moi.

LÉON.

Toi !

FORLIGNAC.

Oui, sans doute.

LÉON.

Imposteur !

FORLIGNAC.

Jé mé damne !

LÉON.

C’en est trop, cadédis ! prends gardé qu’une canne

Né té proube à l’instant qué jé suis.

FORLIGNAC et LÉON, en même temps.

Forlignac.

FORLIGNAC et LÉON, de même.

Dé Bélac, près Gernac, canton de Rumignac !

FORLIGNAC et LÉON, de même.

Cousin de Croupignac, d’Armagnac !

MONSIEUR GIRAUD.

Ah ! Finette,

Je n’y comprends plus rien : la chose m’inquiète !

FINETTE.

Laissez-moi faire... Or çà, messieurs, c’en est assez :

Quand aurez-vous fini ?

LÉON, montrant le portrait de Sophie.

Monsu, reconnaissez

Cé portrait, jé vous prie... Il suffira peut-être,

Commé bénant dé bous, pour mé fairé connaître.

MONSIEUR GIRAUD.

En effet.

FORLIGNAC.

Célui-là, lé réconnaîtrez-bous ?

MONSIEUR GIRAUD.

C’est le même !... Ah ! Finette, ils se moquent de nous ;

La boëte, le portrait, ma foi tout est semblable.

L’un dit vrai, l’autre ment, et tout est vraisemblable.

FORLIGNAC.

Du moins, pour moi, Florent a dû bous prébénir.

MONSIEUR GIRAUD.

Comment, Florent vous sert ?

FORLIGNAC.

Faité-lé moi bénir.

LÉON.

Qu’on lé cherché partout ; c’est moi qui suis son maître.

À monsieur Giraud.

Sandis ! monsu Giraud, poubez-bous dé cé traître

Écouter les discours ?

Finette va chercher Florent dans le cabinet.

FINETTE.

Tenez, voici Florent.

 

 

Scène X

 

MONSIEUR GIRAUD, SOPHIE, LÉON, FINETTE, FORLIGNAC, FLORENT

 

FINETTE, bas à Florent.

Florent, viens nous sauver.

LÉON, haut à Florent.

Déclaré sur-le-champ

Qué jé suis Forlignac.

FORLIGNAC.

Viens ici.

LÉON.

Au plus vite,

Détrompe mon veau-père.

FORLIGNAC.

À l’instant.

LÉON.

Tout de suite.

FLORENT.

Messieurs, expliquez-vous, que voulez-vous de moi ?

MONSIEUR GIRAUD.

J’entends et je prétends, Florent, savoir de toi,

Qui de ces deux messieurs est Forlignac, ton maître.

LÉON.

N’est-cé pas moi ?

FLORENT.

C’est vrai.

FORLIGNAC.

M’osé-tu méconnaître ?

FLORENT.

Non, je vous reconnais.

LÉON.

Né m’appartiens-tu pas ?

FLORENT.

Oui, je vous appartiens.

FORLIGNAC.

Abous ici lé cas

Qué jé t’ai, dé Bordeaux, enboyé pour apprendre

Ma bénue en cé lieu.

MONSIEUR GIRAUD.

Je n’y puis rien comprendre.

FORLIGNAC.

Dis-je, né té dois-je pas tous tes gages ?

FLORENT.

C’est vrai :

À les toucher, monsieur, vous me voyez, tout prêt.

LÉON.

Et moi, né t’ai-jé pas donné les tiens d’avance ?

FLORENT.

D’accord, monsieur, d’accord ; mais point de violence.

FORLIGNAC, tirant son épée.

Parlé plus clairement, ou jé bais, cadédis,

Té rendre nul.

FLORENT.

Monsieur...

LÉON, l’épée et la main.

Parlé mieux, ou sandis !

Du nombre des bibans, sur l’heure jé t’effacé.

FLORENT, à genoux entre Léon et Forlignac, et se tournant alternativement vers l’un et l’autre.

Eh ! messieurs, doucement : écoutez-moi, de grâce ;

Je parle vrai, le fait peut vous être attesté.

De votre part, ici je me suis présenté ;

Montrant monsieur Giraud.

À monsieur, que voilà, j’ai, d’une façon claire...

À Forlignac.

Annoncé qu’il allait être votre beau-père.

À Léon.

Que vous êtes son gendre, et qu’on ait promptement,

À quérir un notaire... et voilà simplement

La chose au positif.

MONSIEUR GIRAUD.

Cherchez qui vous démêle ;

Vous êtes fous tous trois, ou le diable s’en mêle.

FINETTE, à Florent.

T’expliqueras-tu mieux ?

MONSIEUR GIRAUD.

Messieurs, en vérité,

Je ne comprends plus rien à cette fausseté.

FORLIGNAC.

Qu’entendez-bous, mousu ?

LÉON.

Qué prétendez-bous dire ?

MONSIEUR GIRAUD.

J’entends et je prétends, et cela doit suffire,

Que l’un de vous ici, messieurs, prend un faux nom ;

L’un enfin est mon gendre et l’autre est un fripon.

FLORENT.

Oui ; vous avez raison, monsieur, je vous assure

Que celui qui dit vrai... ne fait point d’imposture.

MONSIEUR GIRAUD.

Je ne sais où j’en suis !

FINETTE, à Florent.

Décide-toi, Florent ;

Que tarde-tu ? tu sais de quoi ma main dépend.

MONSIEUR GIRAUD.

Quel est mon gendre enfin ; je prétends qu’on le nomme.

FORLIGNAC, courroucé.

Ah ! lé bagassé ! il faut, sandis ! qué je l’assomme.

FLORENT.

Au secours !

FORLIGNAC.

Lé maraud !

LÉON, à Forlignac.

Monsieur, boulez-bous vien

Vour modérer un peu ?

FLORENT.

Non, je ne vous dois rien ;

C’est vous qui me devez. Vous n’êtes point mon maître :

Monsieur me paye, et seul je dois le reconnaître.

Est-ce clair, à présent ?

FORLIGNAC, menaçant de l’épée.

Ils sont mort tous les deux.

LÉON, désarmant Forlignac.

Rendez grâce au respect que jé dois à ces lieux,

Mais craignez, qu’échauffant ma trop juste colère,

Ici bous né fassiez un saut à la légère

Par la fenêtre.

MONSIEUR GIRAUD.

Bon ! enfin je m’aperçois

Que c’est ce monsieur-là qui se moque de moi.

Il indique Forlignac.

FLORENT.

Oui, justement, monsieur, oui, c’est lui qui se moque.

MONSIEUR GIRAUD.

Il vous sied bien, faquin !

FORLIGNAC.

La ragé mé suffoque !

Jé boudrais étrangler ce coquin dé ballet !

MONSIEUR GIRAUD.

Monsieur, retirez-vous.

FORLIGNAC.

Monsieur, c’est s’il mé plaît.

LÉON.

Garé que la fenêtre...

FORLIGNAC.

Ah ! la fureur l’emporte,

Et jé bais prudemment m’en aller par la porte.

Il va pour sortir et revient.

Mais je né cède pas encoré tous mes droits ;

J’ai des papiers...

LÉON.

Sandis ! il raisonné, je crois !

FORLIGNAC.

Jé beux té démasquer, menteur avominavle ;

Et jé bais dé dé pas...

LÉON.

Mais ba-t-en donc au diavle !

 

 

Scène XI

 

MONSIEUR GIRAUD, SOPHIE, LÉON, FINETTE, FLORENT

 

FLORENT.

Va-t’en, maudit Gascon, insolent, imposteur.

À M. Giraud.

Il fait bon à vouloir vous en conter, monsieur !

Comme vous découvrez les choses !

LÉON.

Mon veau-père,

Bout abez lé tact fin, cadédis !

MONSIEUR GIRAUD.

Je l’espère.

Ah ! ce n’est pas à moi que l’on fait de ces tours !

Je suis rusé.

FINETTE.

Monsieur les découvre toujours.

Comme aujourd’hui.

LÉON.

Vraiment ?

FLORENT.

La chose est admirable !

Vous tromper, je le vois, n’est pas un cas faisable.

MONSIEUR GIRAUD.

Oh ! je vous en réponds, je ne me trompe en rien ;

Vous-même, vous voyez.

LÉON.

Nous le voyons fort bien.

MONSIEUR GIRAUD.

J’entends et je prétends que vous soyez mon gendre.

LÉON.

Sans douté, jé lé suis... allons, sans plus attendre,

Terminons promptement.

 

 

Scène XII

 

MONSIEUR GIRAUD, SOPHIE, LÉON, FINETTE, FLORENT, GERMAIN, accourant

 

GERMAIN.

Ah ! monsieur, je suis mort !

Un troisième futur qui vous arrive encor.

J’ai voulu l’arrêter, selon votre défense ;

Cette joue, à son tour, reçut sa récompense.

Ah ! si vous le voyiez, vous en ririez, d’honneur !

Pour moi, sans le soufflet, j’en rirais de bon cœur :

C’est le tome second de votre second gendre.

MONSIEUR GIRAUD.

Le diable à tout ceci ne saurait rien comprendre !

Comment se nomme-t-il ?

GERMAIN.

Forlignac.

MONSIEUR GIRAUD.

Cette fois,

J’en perdrai la raison !... c’est un peu trop de trois.

LÉON, à part.

Que veut dire ceci ?

GERMAIN.

Que faut-il donc lui dire ?

LÉON, à monsieur Giraud.

C’est encore un escroc...

FINETTE, à Germain.

Dis-lui qu’il se retire.

GERMAIN, à la coulisse.

Monsieur, on n’entre pas.

 

 

Scène XIII

 

MONSIEUR GIRAUD, SOPHIE, LÉON, FINETTE, FLORENT, GERMAIN, JULIE, habillée en homme, et prenant le nom de Forlignac

 

JULIE, à Germain, lui donnant un soufflet.

Tiens, mon joli garçon,

Boilà pour té payer dé ta commission.

Jé né té donné point dé monnaie étrangèré ;

C’est ainsi que j’agis, selon mon ordinairé.

J’en donne autant à qui m’ose ici contester

Lé nom dé Forlignac, qué jé prétends porter.

Eh ! donc, mon garnement n’est pas de la partie !

FLORENT, bas à Finette.

Finette, cache-moi... c’est elle, c’est Julie !

FINETTE.

En voici bien d’une autre !

JULIE, apercevant Florent.

Ah ! té voilà, coquin !

FLORENT.

Elle m’a vu.

LÉON, à Julie.

Sandis ! quel est donc cé faquin ?

JULIE.

Eh ! mon ami, tout doux ! à des gens dé ma sorte

Bous debez plus d’égards.

MONSIEUR GIRAUD.

Le diable les emporte !

LÉON, à Julie.

Vous êtes ?

JULIE.

Forlignac.

LÉON.

Forlignac !

JULIE.

Forlignac

LÉON.

De Bélac.

JULIE.

Près Gernac ?

LÉON.

Canton dé Rumignac.

TOUS, excepté monsieur Giraud et Julie.

Gnac, gnac, gnac, gnac, gnac, gnac.

MONSIEUR GIRAUD.

Je suis d’une colère !

TOUS, de même.

Gnac, gnac, gnac, gnac, gnac, gnac.

MONSIEUR GIRAUD.

Voulez-vous bien vous taire ?

Ah ! Finette, à la fin ils me poussent à bout.

Ce vaurien de Florent paraît instruit de tout.

Çà, messieurs, tout ceci lasse ma patience.

À Julie.

Votre nom, dites-vous...

JULIE.

Forlignac, que jé pense,

C’est mon nom, cadédis ! et Florent que boilà,

Dé cetté hérité, je crois, bous instruira.

FLORENT.

Moi !

JULIE.

Sans doute, maraud ! répète-là toi-même

Que tu mé réconnais.

FLORENT, à part.

Ma frayeur est extrême !

Haut.

Oui, je vous reconnais, mad... monsieur, certainement.

MONSIEUR GIRAUD.

Finette, pour le coup je meurs d’étonnement !

JULIE, à Florent.

Eh vien !

FLORENT.

Que voulez-vous ?

JULIE.

Cé charmant mariage

Est-il pour cé soir ?

FLORENT.

Non, j’ai brouillé le ménage.

JULIE.

Tant mieux.

FLORENT.

Même je crois qu’il ne se fera pas.

Vous allez sur-le-champ nous tirer d’embarras.

LÉON.

Bon ! Sophie, ah ! j’y suis ; je commence à comprendre,

MONSIEUR GIRAUD, prenant Florent par l’oreille.

Enfin, maudit Florent, monsieur est-il mon gendre ?

Il montre Léon.

FLORENT, éludant.

Non, monsieur.

MONSIEUR GIRAUD.

Comment, non ? tu te moques, je crois !

Quand le diable y serait enfin, c’est un des trois.

Quel est cet homme ?

Il montre Julie.

FLORENT.

Mais ce n’est point un homme.

MONSIEUR GIRAUD.

Parle, coquin, ou bien à mon tour je t’assomme.

Veux-tu bien t’expliquer ?

FLORENT, bas.

Monsieur, c’est un démon,

C’est une femme.

MONSIEUR GIRAUD.

Quoi ! parle-tu tout de bon ?

FLORENT.

Oui, vous dis-je ; je veux franchement de l’affaire

Vous instruire en deux mots : il est temps de le faire.

Le Gascon qui nous quitte est le vrai prétendu,

Mon vrai maître, et par vous en ce jour attendu.

MONSIEUR GIRAUD.

Comment ! celui qui sort est Forlignac ?

FLORENT.

Lui-même ;

Et l’autre Forlignac est celui que l’on aime.

MONSIEUR GIRAUD.

Ah ! c’est trop fort ! oser me jour à ce point !

Quoi ! ma fille...

LÉON.

Ah ! monsieur, votre fille n’est point

Complice de ce jeu. Moi seul je suis coupable.

De vous tromper, croyez qu’elle était incapable.

MONSIEUR GIRAUD.

Mais je disais aussi...

À part.

Ce que c’est que l’amour !

Haut.

Eh bien, Sophie ; allons, parle donc à ton tour.

SOPHIE.

Oui, mon père, je dois vous l’avouer sans crainte,

Vous étiez abusé par une double feinte ;

Et vous voyez Léon, qui, sous de faux habits,

A reçu votre aveu.

Monsieur Giraud manifeste un mouvement de colère.

 

 

Scène XIV

 

MONSIEUR GIRAUD, SOPHIE, LÉON, FINETTE, FLORENT, JULIE, FORLIGNAC

 

FORLIGNAC, entrant.

Mé boilà, cadédis !

Et jé bais bous prouber...

JULIE, allant à lui.

Ah ! pendard !

FORLIGNAC.

Satanasse !

Qué bois-je ?

JULIE.

Jé té troube enfin, perfidé !

FORLIGNAC.

Grâce !

JULIE.

Qué bien-tu faire ici ?

FORLIGNAC, à part.

Pas moyen dé mentir.

JULIE.

Parlé, ou vien jé l'étranglé.

FORLIGNAC.

Elle me fait sentir

Mes torts, samdis ! jé bais tout t'avouer, ma reine !

JULIE.

Ingrat tu me trahis !

FORLIGNAC.

Eh ! non, ma souveraine ;

Né me chagriné pas ! pardonné-moi plutôt.

Jé né bénais ici qué pour rafler la dot

Du bon monsieur Giraud. Toi seule a ma tendresse,

Et pour toi jé rénonce à touté ma richesse,

À la main de Sophie...

À monsieur Giraud.

Excusez-moi papa ;

Mais...

FLORENT.

Il a peur, il faut qu'il en passe par-là.

JULIE, à Forlignac.

Tu mériterais vien...

FORLIGNAC, amoureusement.

Mamour !...

JULIE.

Jé té pardonne ;

Mais rétournons dé suite aux bords dé la garonne.

Là, de perfide amant, debénant tendre époux,

Qué ton amour mé fassé ouvlier mon courroux !

Pour moi, quittant l’havit dé ton sexe bolage,

Jé beux prendre du mien lé modeste appanage.

Sois fidèlé, sandis ! et soubiens-toi surtout,

Qu’uné femmé outragée est capavlé dé tout.

FINETTE.

Eh bien, monsieur Giraud, vous voyez le mystère.

FLORENT.

Pardonnez, nous n’étions payés que pour nous taire.

JULIE.

Fort vien.

À monsieur Giraud.

Et moi, monsieur je pense qu’à vos yeux

Je dois justifier ma conduite en ces lieux.

Cé trabestissemeut a droit dé bous surprendre ;

Et cependant, croyez qu’il m’a fallu le prendre.

Boyager à chebal, en habit féminin,

Eut été moins commode, et moins honnête enfin.

Lé nom dé Forlignac mé combénait sans doute ;

C’était pour l’obténir qué jé faisais la route :

Jé l’ai pris, aussi vien que l’havit dé l’état,

Lé tout pour bénir faire un tour li mon ingrat.

Je réussis au mieux, il me tient sa promesse.

À botré tour, mousu, couronnez la tendresse ;

À son amant, donnez cette jolie enfant :

J’épouse Forlignac, et chacun est content !

MONSIEUR GIRAUD.

Voilà donc ce Léon ?

LÉON.

Oui, monsieur ; oui mon père.

MONSIEUR GIRAUD, fâché.

On s’est moqué de moi !...

FINETTE.

Monsieur votre notaire,

Dans cette chambre, attend que vous vous décidiez.

MONSIEUR GIRAUD, à ses enfants.

J’entends et je prétends que... que vous m’embrassiez,

LÉON et SOPHIE, l’embrassant.

Mon père !

FLORENT.

Eh bien, Finette ?

FINETTE

Eh bien ?

FLORENT.

Et ta promesse ?

Finette, lui donnant sa main.

La voilà.

FLORENT, transporté.

Je la tiens ! ce que c’est que l’adresse !

Trois hymens à la fois ! Finette, quel beau jour.

Vive l’esprit, Florent, les gascons et l’amour !

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