Astrée (Jean de LA FONTAINE)
Tragédie en trois actes et précédée d’un prologue.
Représentée pour la première fois par l’Académie Royale de musique au Théâtre du Palais-Royal, le 25 novembre 1691.
Personnages du Prologue
APOLLON
ACANTHE, suivant d’Apollon
LA NYMPHE DE LA SEINE
CHŒUR DES MUSES
CHŒURS DE BERGERS
NYMPHES, SUIVANTES DE LA SEINE
ZÉPHIRE
FLORE et sa suite
Personnages de la tragédie
ASTRÉE, bergère
CÉLADON, amant d’Astrée
SÉMIRE, amant d’Astrée
PHYLLIS, confidente d’Astrée
HYLAS, berger
TIRCI S, berger
GALATÉE, princesse du Forez
LÉONI DE, confidente de Galatée
ISMÈNE, fée
TROUPES DE DRUIDES
TROUPES DE BERGERS ET DE BERGÈRES
ESPRITS AÉRIENS
NYMPHES
GÉNIES
PEUPLES du Forez
TROUPE de la suite d’Ismène
LISETTA
GALIOFFO
GAMBARINI
La scène est dans le Forez.
PROLOGUE
Le théâtre représente la vue de Marly dans l’éloignement, et les bords de la Seine sur le devant.
Apollon descend.
LA NYMPHE.
Dieu du Parnasse et du sacré vallon,
Quelle aventure en ces lieux vous attire ?
APOLLON.
Mars, de tout temps ennemi d’Apollon,
Me force à quitter mon empire.
LA NYMPHE.
Notre monarque vous promet
Un repos qu’on n’a plus sur le double sommet.
APOLLON.
Jupiter lui-même aurait peine
À calmer aujourd’hui tant de peuples divers.
Rien n’impose à présent silence à l’univers ;
Et cependant je vois les nymphes de la Seine
S’occuper à l’envi de musique et de vers.
LA NYMPHE.
Nous tenons ces faveurs d’un roi plein de sagesse ;
La terreur et l’effroi respectent ces beaux lieux.
Des chants les plus délicieux
Nos bois retentissent sans cesse.
La paix règne dans nos ombrages.
Le murmure des eaux, les plaintes des amants,
Les rossignols par leurs tendres ramages,
Occupent seuls Écho dans ces lieux si charmants.
APOLLON.
Joignons tous nos accords : approchez-vous, Acanthe.
Fille de l’harmonie, ô paix douce et charmante !
Comme j’unis les voix, reviens unir les cœurs.
Par son retour, la saison la plus belle
Annonce en mille endroits la guerre et ses fureurs :
Fais qu’en ces lieux l’amour se renouvelle.
APOLLON, LA NYMPHE, et ACANTHE.
Ô paix ! reviens unir les cœurs.
Par son retour, la saison la plus belle
Annonce en mille endroits la guerre et ses fureurs ;
Fais qu’en ces lieux l’amour se renouvelle.
LE CHŒUR.
Fais qu’en ces lieux l’amour se renouvelle.
APOLLON.
Et vous, compagnons du printemps,
Zéphyrs, par qui les fleurs renaissent tous les ans,
Embellissez ces bords de leurs grâces naïves ;
Ramenez ici ces beaux jours ;
Doux Zéphyrs, invitez à danser sur ces rives
Flore et la mère des amours.
LA NYMPHE.
Dans ces lieux les dons de Flore
Font accourir les Zéphyrs,
Et les larmes de l’Aurore
Se joignent à leurs soupirs.
Les fleurs n’en sont que plus belles,
Jouissez de leurs attraits :
Flore à leurs grâces nouvelles
Donne ici de nouveaux traits.
Toutes saisons n’ont pas ces richesses légères
Dont l’émail peint nos champs de diverses couleurs :
Bergers, venez cueillir les fleurs ;
N’y venez point sans vos bergères.
Jouissez des dons du printemps ;
Tout finit, profitez du temps.
CHŒUR.
Jouissons des dons du printemps ;
Tout finit, profitons du temps.
ACANTHE.[1]
On se plaint ici des cruelles ;
C’est un beau sujet pour nos chants.
Rendons-les tendres et touchants :
Ils pourront inspirer l’amour aux cœurs rebelles.
LA NYMPHE.
Ce n’est point par de doux sons,
Par des vers et des chansons,
Qu’on rend un cœur moins sévère,
Il faut plaire ;
Qui n’est pas fait pour charmer
Ne doit point aimer.
ACANTHE.
Souvent dans le fond des bois
Les bergers joignent leurs voix,
En dansant sur la fougère ;
Et souvent par leurs doux sons
Le cœur de quelque bergère
Est le prix de leurs chansons.
LES CHŒURS.
Est-il quelques rivages
Qui ne connaissent point l’amour ?
LA NYMPHE et ACANTHE.
Si les bergers lui font leur cour,
Les rois lui rendent leurs hommages.
LES CHŒURS.
Est-il quelques rivages
Qui ne connaissent point l’amour ?
LA NYMPHE et ACANTHE.
Il n’est point de lieux si sauvages,
De cœurs si fiers, d’esprits si sages,
Que ce dieu ne dompte à leur tour.
LES CHŒURS.
Est-il quelques rivages
Qui ne connaissent point l’amour ?
APOLLON.
Vos chants sont pour l’amour, ma lyre est pour la gloire.
Du nom de deux héros je veux remplir les cieux,
De deux héros que la victoire
Doit reconnaître pour ses dieux.
Le Rhin sait leur vaillance,
Le Danube en pourra ressentir les effets.
Qui peut mieux qu’Apollon en avoir connaissance ?
Mais je veux taire ces secrets ;
Louis m’apprend par sa prudence
À cacher ses projets.[2]
Muses, profitez d’un asile
Où tout est paisible et tranquille.
Représentez, dans ce séjour,
Un spectacle où règne l’amour.
Ce dieu récompensa quelques moments de peine
Qu’eurent Astrée et Céladon ;
Faites voir aux bords de la Seine
Les aventures du Lignon.
LES CHŒURS.
Que nos chants expriment nos flammes ;
Répandons dans tout ce séjour
Le charme le plus doux des âmes,
Les chansons, les vers, et l’amour.
ACTE I
Le théâtre représente le pays du Forez, arrosé de la rivière du Lignon, sur les bords de laquelle sont plusieurs hameaux et bocages.
Scène première
SÉMIRE
Perfide que je suis ! infortuné Sémire !
Les bruits qu’en ces hameaux je répands tous les jours
Soulageront-ils mon martyre ?
Que me sert de troubler d’innocentes amours ?
J’aime Astrée, et je tente un dessein téméraire.
Je détruis son amant ; mais que fais-je pour moi ?
Ce qui le rend suspect de violer sa foi
Me rend-il capable de plaire ?
Au sein d’Astrée en vain j’ai versé cent poisons.
L’implacable dépit, les injustes soupçons,
L’aveugle et la sourde colère,
La jalousie, au repos si contraire,
Enfants de l’art dont je me sers,
M’ont en vain procuré le secours des enfers.
Quel fruit aura ton crime, infortuné Sémire ?
Les mensonges divers à quoi tu donnes cours
Soulageront-ils ton martyre ?
Que te sert de troubler d’innocentes amours ?
Je me venge, il suffit ; je fais des misérables.
N’est-ce pas un bien assez doux ?
Achevons ; puis retirons-nous
En des déserts inhabitables.
Amants, heureux amants, dont je détruis la foi,
Puissiez-vous devenir plus malheureux que moi !
Je vois déjà cette bergère en larmes :
Ce doit être l’effet des dernières alarmes
Par qui mon imposture a séduit sa raison.
Laissons sur son esprit agir notre poison.
Scène II
ASTRÉE, PHYLLIS
ASTRÉE, donnant à Phyllis une lettre ouverte.
Avais-je tort, Phyllis ? Tu vois ces témoignages ;
De sa main propre ils sont tracés :
Considère de quels outrages
Mes feux y sont récompensés.
Ne me parle jamais du traître.
Céladon, Céladon, il est un dieu vengeur.
PHYLLIS.
Ne le soupçonnez pas, ma sœur.
ASTRÉE.
Voici pourtant ses traits, peux-tu les méconnaître ?
PHYLLIS.
Je connais encor mieux son cœur ;
Tout m’est suspect, tout vous doit l’être.
Quelque ennemi secret vient d’imiter sa main.
ASTRÉE.
Dédiras-tu nos yeux, qui l’ont vu ce matin
Embrasser les genoux d’Aminte ?
PHYLLIS.
C’est un reste de feinte ;
Vous-même avez pu voir avec quelle contrainte
Il feignait des transports qu’il ne pouvait sentir.
Qu’un véritable amant a de peine à mentir !
ASTRÉE.
Eh ! qu’il ne mente plus.
PHYLLIS.
Sait-il votre pensée ?
Il voit, depuis quelques jouis,
Que sa flamme est traversée,
Et qu’on trouble vos amours.
Il veut vous ménager, en exposant Aminte.
ASTRÉE.
Que ne me l’a-t-il dit ?
PHYLLIS.
Sans doute il ne l’a pu.
ASTRÉE.
Mon cœur à Céladon n’était que trop connu ;
N’aurait-il pas prévu ma crainte,
Si l’ingrat, d’autres soins occupé, prévenu...
PHYLLIS.
Ma sœur, bannissez ces alarmes.
Quel objet vous peut-on préférer sous les cieux ?
ASTRÉE.
Aminte est engageante, et prévient par ses charmes.
Ton amitié me rend trop parfaite à tes yeux.
Hélas ! qui feint d’aimer est toujours téméraire :
De la feinte à l’effet, on n’a qu’un pas à faire ;
C’est un écueil fatal pour la fidélité :
Une première ardeur n’est bientôt plus qu’un songe ;
La vérité devient mensonge,
Et le mensonge, vérité.
PHYLLIS.
Les coquettes les plus belles
Ne touchent que faiblement.
On peut, par amusement,
Feindre de brûler pour elles ;
Et le plus crédule amant
Les regarde seulement
Comme on fait les fleurs nouvelles.
Avec quelque plaisir, mais sans attachement.
ASTRÉE.
Quand il plaît à l’Amour, tout objet est à craindre.
Ce dieu met bien souvent sa gloire à nous atteindre
Du trait le plus commun et le moins redouté :
Une première ardeur n’est bientôt plus qu’un songe ;
La vérité devient mensonge,
Et le mensonge, vérité.
Il le prévoyait bien, le traître, l’infidèle.
J’eus peine à l’obliger à feindre ces amours :
Il résista longtemps, je persistai toujours.
Trouvait-il Aminte si belle ?
Je lisais dans ses yeux une secrète peur.
L’ingrat avait raison de craindre pour son cœur.
PHYLLIS.
C’était à vous d’avoir de la prudence,
En l’éloignant du danger
De changer.
ASTRÉE.
C’était à lui d’avoir de la constance,
En résistant au danger
De changer.
PHYLLIS.
À vos soupçons je ne saurais me rendre :
Mais voici mon dessein, ma sœur.
D’Hylas depuis deux jours je ménage le cœur ;
Je veux que pour Aminte il feigne de l’ardeur ;
C’est le moyen de tout apprendre :
Elle lui dira son secret.
Je l’attends ; vous savez combien il est discret.
Le voici.
Scène III
ASTRÉE, HYLAS, PHYLLIS
PHYLLIS.
J’ai besoin, Hylas, de votre adresse.
Puis-je compter sur vos serments ?
Vous me rendez des soins ; mais ces empressements
Sont-ils des effets de tendresse ?
Ou ne sont-ce qu’amusements ?
Sans cesse vous allez de bergère en bergère,
Jurant de sincères amours
Zéphire n’eut jamais d’ardeur si passagère ;
Eh ! comment s’assurer qu’une âme si légère
Puisse ne l’être pas toujours ?
HYLAS.
Quoi ! vous doutez si je vous aime ?
Eli ! qui pourrait, Phyllis, vous voir sans vous aimer ?
Vous avez plus d’appas que n’en a l’Amour même,
Des traits à tout ravir, des yeux à tout charmer,
Et vous doutez si je vous aime !
PHYLLIS.
Déclarer si bien son ardeur,
Ce n’est pas ce qui nous engage ;
Les vrais interprètes du cœur
Ne sont pas les traits du langage.
ASTRÉE.
Ma sœur, j’ose aujourd’hui te garantir sa foi.
L’Amour ne réservait ce miracle qu’à toi.
HYLAS.
Si je n’aime Phyllis, que ce dieu me haïsse !
Qu’il me livre à des cœurs ennemis de ses traits !
Qu’à la fin mon bonheur dépende du caprice
D’une bergère sans attraits !
PHYLLIS.
J’en croirai vos serments, si votre amour s’applique
À m’instruire des feux d’Aminte et d’un berger.
HYLAS.
N’est-ce pas Céladon ? La chose est si publique,
Qu’à de trop grands efforts ce n’est pas m’engager.
PHYLLIS.
Il vient, partez.
HYLAS.
Je vole où votre ordre m’appelle.
ASTRÉE et PHYLLIS.
Voyons comment le traître, l’infidèle,
Soutiendra son manque de foi.
PHYLLIS.
Adieu ; vous pourrez mieux vous éclaircir sans moi.
Scène IV
CÉLADON, ASTRÉE
CÉLADON.
Hé quoi ! seule en ces lieux, sans songer à la fête
Dont vous serez tout l’ornement !
C’est un triomphe qui s’apprête
Pour les dieux et pour vous, aux yeux de votre amant.
On n’entend en tous lieux que des chants d’allégresse.
Bergères, bergers, tout s’empresse
De célébrer ce jour charmant.
Cependant vous rêvez : d’où vient cette tristesse ?
ASTRÉE.
Berger, vous paraissez aujourd’hui bien paré :
De cet ajustement quels yeux vous sauront gré ?
CÉLADON.
Les vôtres, ma déesse.
Il n’est rien en ces lieux
Qui ne s’efforce de vous plaire ;
Et c’est pour attirer vos regards précieux.
Que ces prés, que ces bois, et cette onde si claire,
Étalent ce qu’ils ont de plus délicieux :
L’astre même qui nous éclaire
Ne se montre si beau que pour plaire à vos yeux.
ASTRÉE.
Céladon, bannissez ces discours d’entre nous ;
Je sais qu’en votre cœur une autre est préférée ;
Et vos vœux ne sont pas pour l’innocente Astrée.
CÉLADON.
Ciel ! mes vœux ne sont pas pour vous !
Dieux puissants qu’ici l’on révère,
Dieux vengeurs des forfaits, je vous atteste tous ;
Si quelque autre qu’Astrée à mes désirs est chère,
Faites tomber sur moi vos plus terribles coups !
ASTRÉE.
Sois traître seulement, et ne sois pas impie.
CÉLADON.
Juste ciel ! vous doutez encore de ma foi !
Mais quel est cet objet dont mon âme est ravie ?
ASTRÉE.
Va, perfide, va, garde-toi
D’oser jamais paraître devant moi.
CÉLADON.
Ah ! du moins...
ASTRÉE.
Non.
CÉLADON.
Quoi ! sans l’entendre,
Condamner un amant si fidèle et si tendre !
ASTRÉE.
Non, perfide, non, garde-toi
D’oser jamais paraître devant moi.[3]
CÉLADON.
Mon sort est dans vos mains, il faut vous satisfaire :
Et puisque votre arrêt me livre au désespoir,
J’y cours ; et respectant votre injuste colère,
Je me fais du trépas un funeste devoir.
Vous me regretterez, j’en suis sur, et votre âme,
Au vain ressouvenir d’une constante flamme
Se laissant trop tard émouvoir,
Me donnera des pleurs que je ne pourrai voir.
Scène V
ASTRÉE
Serait-il innocent ? me serais-je trompée ?
Soupçons dont j’ai l’âme occupée,
Dois-je donc vous bannir ? L’ai-je à tort condamné ?
En quel trouble me met cette fuite soudaine !
Qu’as-tu fait, bergère inhumaine ?
Où s’en va cet infortuné ?
Ne le pas écouter ! se rendre inexorable !
Ses pas précipités, ses regards pleins d’effroi.
Me font craindre pour lui ; que ne dis-tu pour toi,
Bergère misérable !
Tu ne l’as pu haïr, quand tu l’as cru coupable ;
Que sera-ce, s’il meurt en te prouvant sa foi !
Cours, malheureuse, cours, va retarder sa fuite.
Céladon ! Céladon !... Hélas ! il précipite
Ses pas et son cruel dessein :
Il est sourd à mes cris, et je l’appelle en vain ;
Je n’en puis plus ; la force et la voix, tout me quitte.
Scène VI
TROUPES DE DRUIDES, DE PATRES, SYLYAINS, FAUNES, BERGERS et BERGÈRES
Un druide conduisant la cérémonie de la fête du gui de l’an neuf, à la place d’Adamas.
UN DRUIDE.
Maîtres de l’univers, dieux puissants, nos hameaux
Vous présentent le don que viennent de nous faire
Ces antiques palais qu’habitent les oiseaux.
Conservez dans nos bois leur ombre tutélaire.
Vous ne vous demandons, en faveur de ce don,
Ni des grandeurs, ni du renom,
Ni des richesses excessives ;
Que les sources de l’or soient pour d’autres que nous,
Nos destins seront assez doux,
Si les bergères de ces rives
Ne font régner que de chastes désirs,
Et d’innocents plaisirs.
LE DRUIDE et LE CHŒUR.
Conservez nos troupeaux, arrosez nos prairies ;
Faites régner la paix sur ces rives fleuries ;
Que Mars n’y trouble point les jeux et les chansons ;
Gardez nos fruits et nos moissons.
UN BERGER et LE CHŒUR.
Accourez, bergers fidèles ;
Célébrez tous, en ce jour,
Vos bergères et l’Amour :
Chantez vos feux et vos belles.
CHŒUR.
Venez, Amours, volez de cent climats divers
En ce séjour tranquille.
Ces feuillages épais, ces gazons toujours verts,
Vous offrent un charmant asile.
Venez, Amours, volez de cent climats divers,
Pour enflammer nos cœurs, seuls dignes de vos fers.
Laissez dans un repos languissant, inutile,
Tout le reste de l’univers.
Scène VII
UN BERGER, DRUIDES, PATRES, SYLYAINS, FAUNES, BERGERS, BERGÈRES
UN BERGER.
Pour pleurer Céladon cessez vos doux accords ;
Du Lignon l’onde impitoyable
Vient de l’ensevelir.
CHŒUR.
Ô perte irréparable !
LE BERGER.
Nous n’avons pu le trouver sur ces bords.
LE DRUIDE.
Portons ce sacré don sur un autel du temple,
Et que chacun, à mon exemple,
À chercher ce berger fasse tous ses efforts.
Scène VIII
PHYLLIS, ASTRÉE
PHYLLIS.
Céladon dans les flots a terminé sa vie,
Comment le dirai-je à ma sœur ?
ASTRÉE.
Je le sais, Phyllis : ce malheur
Est l’effet de ma jalousie.
Déteste-moi ; c’est peu de me haïr :
Céladon ne périt que pour mieux m’obéir.
Il s’est perdu ! Je me perdrai moi-même.
Que me sert la clarté du jour ?
Je ne verrai plus ce que j’aime !
Cher amant, as-tu pu me quitter sans retour ?
Notre bonheur était suprême ;
Les dieux nous enviaient du haut de leur séjour
Tu t’es perdu ! Je me perdrai moi-même.
Que me sert la clarté du jour ?
ACTE II
Le théâtre représente les jardins de Galatée, et dans l’éloignement le palais d’Isoure.
Scène première
GALATÉE
Je ne me connais plus ; quelle nouvelle ardeur
Se rend maîtresse de mon cœur ?
Un berger cause ces alarmes.
Doux et tranquilles vœux, qu’êtes-vous devenus ?
Le sort offre à mes yeux un berger plein de charmes,
Et depuis ce moment je ne me connais plus.
Scène II
GALATÉE, LÉONIDE
LÉONIDE.
Princesse, cherchez-vous ici la solitude ?
GALATÉE.
Je me laisse conduire à mon inquiétude.
Mais que fait Céladon ? Dis-moi, qu’en penses-tu ?
Je vois qu’en secret tu me blâmes
D’avoir pu concevoir de si honteuses flammes ;
Mais, hélas ! qui n’aurait vainement combattu
Contre les traits dont il a su m’atteindre ?
Il allait expirer ; l’onde venait d’éteindre
Le vif éclat de ses attraits :
La pitié lui prêta ses traits.
L’oracle, les destins, tout lui fut favorable ;
Rien ne vint s’opposer à ma naissante ardeur.
LÉONIDE.
Que de raisons ont fait entrer dans votre cœur
Un ennemi si redoutable !
GALATÉE.
Mes yeux me trompent-ils ? C’est à toi d’en juger.
LÉONIDE.
Princesse, il est charmant ; mais ce n’est qu’un berger.
GALATÉE.
Par les nœuds de l’hymen, le sceptre et la houlette
Se sont unis plus d’une fois.
L’amour n’est plus amour, dès qu’il cherche en ce choix
Une égalité si parfaite.
Mon cœur est excusable et Galatée enfin
Serait-elle, sans toi, dans cette peine extrême ?
Léonide, ce fut toi-même
Qui me fis, malgré moi, consulter ce devin.
Princesse, me dit-il, voici votre destin.
Une étoile ennemie, autant que favorable,
Peut vous rendre en hymen heureuse ou misérable.
Dans ce miroir regardez bien ces lieux :
Vers le déclin du jour il faudra vous y rendre ;
Celui qui s’offrira le premier à vos yeux
Est l’époux que le ciel vous ordonne de prendre.
J’aperçus ce berger : résisterai-je aux dieux ?
LÉONIDE.
Princesse, son Astrée a pour lui trop de charmes.
GALATÉE.
Eh ! n’ai-je pas les mêmes armes ?
N’est-ce rien que mon rang auprès de Céladon ?
LÉONIDE.
Vous ne connaissez pas les bergers du Lignon.
Leurs amours sont leurs dieux : l’offense la plus noire
Pour eux est l’infidélité.
Aimer, fait leur félicité ;
Aimer constamment, fait leur gloire.
GALATÉE.
Toutes les conquêtes d’éclat
Flattent la vanité des hommes.
Quelque constants qu’ils soient, dans les lieux où nous sommes,
La beauté dans mon rang ne fit jamais d’ingrat.
Je tremble, je le vois. Quoi ! même en ma présence
Il soupire. Il se plaint aux échos d’alentour !
LÉONIDE.
Il n’est plein que de son amour.
Par ses chagrins, jugez de sa constance.
Scène III
GALATÉE, CÉLADON, LÉONIDE
GALATÉE.
Céladon, contemplez nos jardins et nos bois ;
Qui ne croirait que Flore y tienne son empire !
De ces oiseaux qu’amour inspire
Écoutez les charmantes voix.
À charmer vos ennuis en ces lieux tout conspire :
Cependant c’est en vain que tout vous fait la cour.
Nos soins, nos vœux, ce beau séjour,
N’ont point d’agrément qui vous flatte.
Galatée a sujet de se plaindre de vous :
Faut-il que sans effet sa présence combatte
Cette tristesse ingrate
Que vous osez conserver parmi nous ?
CÉLADON.
Princesse, ma douleur n’est pas en ma puissance :
Je sors, vous le savez, du plus affreux danger ;
Puis-je m’empêcher d’y songer ?
GALATÉE.
Songez plutôt à ma présence ;
C’est la seule reconnaissance
À quoi je veux vous engager.
Vous soupirez, vous vous plaignez sans cesse :
Si c’est d’une ingrate maîtresse,
Changez ; vous pouvez faire un choix rempli d’appas.
À souffrir tant de maux quel cœur peut vous contraindre ?
Hélas ! le mien ne comprend pas
Que vous deviez jamais vous plaindre.
Mais quelle est cette Astrée ? et depuis quand ses coups
Tiennent-ils votre âme asservie ?
Votre esclavage était-il doux ?
CÉLADON.
Belle princesse, comme à vous.
Hélas ! je suis bien loin de lui devoir la vie.
GALATÉE.
Du Lignon en fureur dans ce fatal moment
Contez-moi l’accident funeste.
CÉLADON.
J’y tombai, vous savez le reste ;
Je ne veux vous parler que de vous seulement.
GALATÉE.
Vous pâlissez ! vous changez de visage !
CÉLADON.
Nymphe, c’est malgré moi que sous un doux ombrage
L’aspect de ce fatal rivage
A rappelé les maux que je viens d’endurer.
GALATÉE.
De vos chagrins, de cette triste image
Puisse le ciel vous délivrer !
Divertis ses soins, Léonide ;
Fais-lui voir de ces lieux toutes les raretés ;
Parle-lui de cet antre, où des flots enchantés
Faisaient connaître un cœur ou constant ou perfide.
Scène IV
CÉLADON, LÉONIDE
LÉONIDE.
Dans le fond de ce bois est un antre sacré ;
Là, jadis chacun à son gré
Pouvait, en regardant dans une onde fidèle
Qui coule en ce lieu révéré,
Connaître si l’objet en son cœur adoré
Ne brûlait point de quelque ardeur nouvelle.
Cette fontaine a nom, la Vérité d’amour :
On n’en approche plus ; deux monstres à l’entour
Interdisent l’abord d’une source si belle.
CÉLADON.
Léonide, je sais que cet enchantement
Nuit ou sert à plus d’un amant :
Voyez combien il m’est contraire.
Sans ces monstres pleins de fureur,
Astrée aurait pu lire en cette onde sincère
Mon innocence et son erreur ;
Elle m’aurait trouvé fidèle.
LÉONIDE.
Vous aimez trop une beauté cruelle :
Oubliez-la : cédez à des transports plus doux,
Et songez qu’en ces lieux il est une princesse
Dont les appas et la tendresse
Sont dignes d’un amant aussi parfait que vous.
Laissez la constance
Aux heureux amants.
Vous souffrez mille tourments ;
Vous aimez sans espérance.
Laissez la constance
Aux heureux amants.
Des plaisirs les plus charmants
Amour ici récompense
De si justes changements.
Laissez la constance
Aux heureux amants.
CÉLADON.
Vous voulez m’engager sous un nouvel empire ;
Et dans mes premiers feux je veux persévérer.
Ce n’est point par conseil que notre cœur soupire,
Ou qu’il cesse de soupirer.
CÉLADON et LÉONIDE, ensemble.
Ce n’est point par conseil que notre cœur soupire,
Ou qu’il cesse de soupirer.
CÉLADON.
Votre princesse est jeune et belle,
Elle mériterait le cœur d’un souverain ;
Mais celui d’un berger ! quelle gloire pour elle !
Nymphe, vous combattez en vain
La foi que j’ai jurée :
Combattez-la quand vous verrez Astrée.
LÉONIDE.
Sa beauté ne saurait excuser sa rigueur,
Céladon, il est vrai, votre bergère est belle ;
Mais elle est fière, elle est cruelle,
Elle abuse de votre cœur.
CÉLADON.
Ah ! si j’étais dans nos bocages !
Si leurs frais et sacrés ombrages
Pouvaient servir de temple à l’objet de mes feux !
Si mon cœur y pouvait sacrifier sans cesse
Au souvenir de sa déesse,
Que je me trouverais heureux !
Scène V
ISMÈNE, fée, LÉONIDE, CÉLADON
ISMÈNE.
Le ciel exaucera mes vœux ;
Il me l’a fait savoir. Je suis la fée Ismène :
Ma puissance et mon art vont vous tirer de peine.
LÉONIDE.
Qui vous rend à ces lieux, Ismène, dites-moi ?
ISMÈNE.
L’ordre secret des dieux : j’exécute leur loi.
LÉONIDE.
Quels biens votre pouvoir ne va-t-il pas répandre
Dans cet heureux séjour !
ISMÈNE.
Mon oracle doit vous l’apprendre
Avant la fin du jour.
Céladon, mettez fin à vos tristes alarmes.
Votre bergère par ses larmes
Veut elle-même vous venger :
Elle croit que de son berger
L’âme encor dans les airs, faute de sépulture,
Autour de ces hameaux errante à l’aventure,
Attend qu’un vain tombeau la vienne soulager.
CÉLADON.
Confidente des dieux, un amant trop fidèle
Attend tout de votre savoir ;
Faites, par son divin pouvoir.
Que, libre et dans nos bois, j’adore ma cruelle.
ISMÈNE.
Je ferai plus encore et pour vous et pour elle.
Dans ce moment mon art vous fera voir
Ses regrets et son désespoir.
ISMÈNE, aux ministres de sa puissance.
Princes de l’air, Nymphes, Héros, Génies,
Calmez de ce berger les peines infinies ;
Faites-lui voir Astrée, et cachez-le à ses yeux.
Rendez à cet objet l’honneur qu’on rend aux dieux.
Et le temple, et l’autel, et les cérémonies
Vous ont été déjà par mon ordre prescrits :
Faites votre devoir, purs et légers esprits,
Princes de l’air, Nymphes, Héros, Génies.
Les esprits aériens descendent sur un tourbillon de nuages, et construisent un temple dédié à Astrée : le jardin se change entièrement en forêt.
Scène VI
ASTRÉE, PHYLLIS
PHYLLIS.
Nous parcourons en vain tous les bords du Lignon :
Reposons-nous, ma sœur ; entrons dans ce bocage.
ASTRÉE.
Ô dieux ! j’y vois un temple.
PHYLLIS.
Il porte votre nom.
Je viens de voir, au fond de cet ombrage,
Ces mots écrits par Céladon :
« C’est dans cette demeure
Qu’un amant exilé cherche en vain quelque paix.
Que, pour le prix des pleurs qu’il y verse à toute heure,
Puisse Astrée être heureuse, et n’en verser jamais ! »
ASTRÉE.
Quoi ! de son ennemie il en fait sa déesse !
Au moment que je viens de causer son trépas
Il me consacre un temple, et demeure ici-bas
Afin de m’adorer sans cesse !
Dans ce sombre réduit retirons-nous, ma sœur.
Pourrais-je, après de tels outrages,
Sans honte et sans remords jouir d’un tel honneur ?
Un tombeau m’est mieux dû qu’un temple et des hommages.
Scène VII
ASTRÉE, PHYLLIS, HYLAS, TIRCIS, CHŒUR DE DEMI-DIEUX, DE NYMPHES et DES MINISTRES D’ISMÈNE
UN GÉNIE.
N’approchez point, profanes cœurs !
C’est ici le temple d’Astrée :
Qu’aucun mortel en ce lieu n’ait entrée,
S’il ne sent de pures ardeurs.
CHŒUR.
C’est ici le temple d’Astrée :
N’approchez point, profanes cœurs !
LE GÉNIE.
Soyez sensible, Astrée, au sort de votre amant.
Pour lui nos voix à tout moment
Font résonner ici mille plaintes nouvelles.
Il ne pense qu’à vous : il n’a pour tous désirs
Que de se consoler, en ses peines cruelles,
Par de vains et tristes plaisirs.
HYLAS.
Voilà l’effet que produit la constance.
Vantez, bergers, votre persévérance !
TIRCIS.
C’est un devoir de persister toujours
Dans les mêmes amours.
HYLAS.
C’est une erreur de persister toujours
Dans les mêmes amours.[4]
TIRCIS et HYLAS, ensemble.
C’est un devoir }
C’est une erreur } de persister toujours
Dans les mêmes amours.
TIRCIS.
Hylas, y songes-tu ? Profaner un tel temple !
LE GÉNIE.
N’imitez pas son exemple.
Régnez, divin objet, et triomphez des cœurs ;
Daignez recevoir les honneurs
Que le ciel fait rendre à vos charmes ;
Ne les profanez point, ne versez plus de larmes.
Régnez, divin objet, et triomphez des cœurs.
CHŒUR.
Régnez, divin objet, et triomphez des cœurs, etc.
Que sous les pas d’Astrée ici tout s’embellisse !
Que de son nom tout retentisse !
Faisons-le répéter aux échos d’alentour :
Tous les cœurs lui rendent les armes :
Et célébrer ses charmes,
C’est célébrer le pouvoir de l’amour.
Scène VIII
ASTRÉE, PHYLLIS
PHYLLIS.
Retirons-nous aussi, quittons cette demeure ;
La peur m’y saisit à toute heure.
Il est tard, et chacun s’en retourne aux hameaux ;
L’ombre croît en tombant de nos prochains coteaux ;
Rejoignons ces bergers : déjà la nuit s’avance,
Dans ces lieux règne le silence.
Bergers, attendez-nous... Ils ne m’écoutent pas...
ASTRÉE.
C’est de moi seulement qu’ils détournent leurs pas :
Eût-on dit qu’un jour cette Astrée
Serait l’horreur de la contrée ?
Tout le monde me fuit ! on a raison, Phyllis ;
Qui ne détesterait mes fureurs excessives ?
Ô lieux que mon berger a longtemps embellis,
Redemandez-moi tous l’ornement de vos rives.
ACTE III
Le théâtre représente la fontaine de la Vérité d’amour, dans une forêt agréable.
Scène première
ASTRÉE
Enfin me voilà seule, et j’ai trompé Phyllis.
Venez, monstres cruels : ce n’est pas que j’espère
Que ma beauté faible et légère
Donne atteinte à des sorts par l’enfer établis ;
Je ne veux que mourir.
Céladon ! tu m’appelles,
Si parmi les choses mortelles
Quelqu’une peut encor t’attacher ici-bas,
Plains la bergère qui t’adore ;
Ce n’est plus pour moi que l’aurore
Reparaîtra dans nos climats.
Chère ombre, je te suis. Adieu, rives cruelles ;
Adieu, soleil ; adieu, mes compagnes fidèles :
N’aimez point, ou tâchez de bannir de l’amour
Les soupçons, les dépits, les injustes querelles ;
Celui que je regrette en a perdu le jour.
Je ne vous fuis que pour le suivre ;
À ce devoir il me faut recourir :
Si je vous ai promis de vivre,
Aux mânes d’un amant j’ai promis de mourir.
C’est trop tarder, ombre chérie :
Viens voir mon crime s’expier ;
Aide mon cœur à défier
Ces animaux pleins de furie.
Mais d’où vient que je perds l’usage de mes sens ?
La mort sur mes yeux languissants
Étend un voile plein de charmes.
Avec quelle douceur je termine mes jours !
Quel plaisir de céder à de telles alarmes,
Pour se rejoindre à ses amours !
Scène II
CÉLADON
Sous ces ombrages verts je viens de voir Astrée.
Bois, dont elle parcourt les détours ténébreux,
Ne me la cachez pas sous votre ombre sacrée.
Ô dieux ! je l’aperçois aux pieds d’un monstre affreux !
Des puissances d’enfer ministre malheureux,
Par quel droit nous l’as-tu ravie ?
Inhumain, devrais-tu seulement l’approcher ?
Ce dard punira ta furie.
Tous mes efforts sont vains, et je frappe un rocher.
Meurs, Céladon ; qui me retient la main ?
Fiers animaux, je vous réclame en vain ;
Tout est marbre pour moi, tout est sourd à ma peine.
Léonide, est-ce là cette faveur d’Ismène ?
Je meurs enfin ; et plût aux dieux
Que j’eusse, pour témoins de ma mort, ces beaux yeux !
Scène III
TIRCIS, HYLAS
TIRCIS.
C’est ici que se doit accomplir le miracle
Que la fée a prédit aux rives du Lignon.
HYLAS.
Raconte-moi donc son oracle.
Que vois-je, juste ciel ! Astrée et Céladon
De ces monstres cruels ont éprouvé la rage !
TIRCIS.
Le sort est accompli, ne nous alarmons pas.
Le ciel en ces amants achève son ouvrage.
Pour finir tes frayeurs, entends l’oracle, Hylas :
Le plus constant et la plus belle,
Pour rendre à l’univers cette glace fidèle,
Détruiront un enchantement :
On les verra mourir, mais d’une mort nouvelle ;
Ils revivront en un moment.
HYLAS.
De ces monstres horribles
L’aspect n’est plus à redouter.
TIRCIS.
Ne troublons point du sort les mystères terribles ;
Sortons : à nos hameaux allons tout raconter.
Scène IV
ASTRÉE, CÉLADON
ASTRÉE.
Qui me ramène au jour ? et d’où vient que je voi
L’ombre de Céladon se présenter à moi ?
Mes yeux me trompent-ils ? Son ombre ! C’est lui-même.
Quoi ! je reverrais ce que j’aime !
Hélas ! il a perdu le jour.
Vains et trompeurs démons, rendez-le à mon amour.[5]
Il ouvre enfin les yeux ! il reprend tous ses charmes !
L’ai-je ranimé par mes larmes ?
CÉLADON.
Où suis-je ? Le soleil éclaire-t-il les morts ?
Quoi ! je revois les mêmes bords
Où ma divinité m’interdit sa présence !
C’est elle-même que je voi.
ASTRÉE.
Ah ! ne rappelez point une injuste défense ;
Mes pleurs ont lavé cette offense ;
Deviez-vous suivre cette loi ?
CÉLADON.
Quoi ! vous m’avez pleuré ! Ces larmes précieuses
Auraient arrosé mon tombeau !
Divinités, de mon sort envieuses,
Avez-vous un destin si beau ?
Les yeux de la divine Astrée
M’ont vengé de votre courroux ;
Vous ignorez les plaisirs les plus doux :
Descendez en une contrée
Où de semblables yeux puissent pleurer pour vous.
ASTRÉE.
N’irritez point les dieux, et craignez leur puissance ;
Vos transports les pourraient contre nous animer.
J’ai de vos feux assez de connaissance ;
Vous m’aimez trop...
CÉLADON.
Peut-on vous trop aimer ?
ASTRÉE.
Que je vous ai causé d’alarmes !
Ai-je trop pu les payer par mes larmes ?
Ah ! que nous bénirons nos fers,
Si l’Amour mesure ses charmes
Sur les tourments qu’on a soufferts !
ASTRÉE, CÉLADON, ensemble.
Ô doux souvenir de nos peines !
Ô nœuds par qui l’Amour recommence à former
L’espoir le plus cher de nos chaînes,
Redoublez les plaisirs qui viennent nous charmer !
Ô doux souvenir de nos peines !
Scène V
ASTRÉE, GALATÉE, ISMÈNE, CÉLADON
CÉLADON, à Astrée.
La nymphe vient à nous.
À Galatée.
Princesse, notre sort
Vous doit faire excuser ces marques de transport.
GALATÉE.
J’ai déjà tout appris d’Ismène ;
Tendres amants, vos vœux sont exaucés ;
Venez voir en cette eau la fin de votre peine.
ASTRÉE, CÉLADON, ensemble.
Nous la voyons dans nos cœurs, c’est assez.
ISMÈNE.
Rien ne peut plus troubler une si douce chaîne ;
Achevons de remplir les ordres du destin.
Tout obéit à mon pouvoir divin.
Rien ne peut plus troubler une si douce chaîne ;
Unissons ces tendres amants ;
Ils n’ont que trop souffert ; finissons leurs tourments.
GALATÉE, ISMÈNE, ASTRÉE, CÉLADON.
Unissons ces }
Unissez de } tendres amants.
Ils n’ont que trop souffert { finissons }
{ finissez } leurs tourments.
ISMÈNE.
Du haut de leur gloire éternelle
Les dieux ont daigné voir ces amants en ce jour,
Et veulent rendre leur amour
Heureux autant qu’il fut fidèle.
GALATÉE, ISMÈNE, ASTRÉE, CÉLADON.
Unissons ces }
Unissez de } tendres amants.
Ils n’ont que trop souffert { finissons }
{ finissez } leurs tourments.
GALATÉE.
Le printemps, avec toutes ses grâces,
Ne nous paraîtrait pas entouré de plaisirs,
Si l’hiver, environné de glaces,
N’avait interrompu le règne des Zéphyrs.
ISMÈNE.
Plus on a de tourments soufferts,
Plus douce est la fin du martyre ;
Plus Borée a troublé les airs.
Et plus le retour de Zéphyre
Cause de joie à l’univers.
Scène VI
GALATÉE, ISMÈNE, HYLAS, CHŒUR DE BERGERS et DE BERGÈRES
GALATÉE.
Que tout ce que ma cour a de magnificence
Accompagne aujourd’hui l’hymen de ces amants ;
Inventez tous des divertissements
Dignes de ma présence.
ISMÈNE, GALATÉE, ensemble.
Amants, votre persévérance
Du sort surmonte les rigueurs ;
Que l’Hymen et l’Amour, toujours d’intelligence,
Vous comblent à jamais de toutes leurs douceurs.
LE CHŒUR.
Que l’Hymen et l’Amour, toujours d’intelligence,
Vous comblent à jamais de toutes leurs douceurs.
HYLAS, aux amants qui veulent aller à la fontaine de la Vérité d’amour.
Ces indiscrètes eaux vont vous accuser tous ;
Vous feriez beaucoup mieux de croire que vos belles
Sont fidèles.
À quoi sert d’être jaloux ?
C’est le moyen de déplaire,
Et de faire
Qu’à l’objet de vos vœux d’autres plaisent que vous.
ISMÈNE.
Esprits soumis à ma puissance,
Venez, et, sous divers déguisements,
Faites connaître à ces heureux amants
Les surprenants effets de votre obéissance.
Scène VII
TROUPE DE LA SUITE D’ISMÈNE, LISETTA, GALIOFFO, GAMBARINI
LISETTA.
Chi per mogl’ mi vuol pigliar ?
Son Lisetta,
Fanciulletta,
Vezzosetta,
Leggiadretta,
Son d’amore la saetta
Fatta per tutto infiammar.
Chi per mogl’ mi vuol pigliar ?
Ogni fior, se non è colto,
Cade, e da gli vend è tolto.
Ahi, che tem’ ch’ al primo fiato
Certo fior troppo guardato,
Meco più non possa star !
Chi per mogl’ mi vuol pigliar ?
GALIOFFO, amante di Lisetta.
Di voi sono innamorato.
Il fantolin, Dio bendato,
Con un stral avvelenato
M’ha per voi ferito il cor.
Rispondete a tanto ardor,
E fate entrar, en sio di fortunato,
Il mio vascel’ tormentato
Nel dolce porto d’amor.
GAMBARINI, rivale di Galioffo.
Tu sei matt’d’amar sta hella,
Speri tu qualche merce ?
Quest’ amor comien a te,
Com’ all’ asino la sella.
Lisetta è fatta per me,
Com’ io son fatto per ella.
Son giovan, le è giovanella ;
Son fedel, le è pien’ di fe.
Com’ io son fatto per ella,
Lisetta è fatta per me.
LISETTA.
O quanti becchi,
Balordi e vecchi !
Qual bruttalaccio !
Qual nasonaccio !
Non voglio tal servitù,
Ne mi maritarò più.
GALIOFFO.
Voi mi sprezzate !
GAMBARINI.
Voi mi beffate !
LISETTA, GALIOFFO, GAMBARINI.
Non voglio tal servitù,
Ne mi maritarò più.
CHŒUR DE LA SUITE DE GALATÉE.
Versons dans tous les cœurs une joie éclatante.
Qu’en ces lieux tout rie et tout chante.
Fuyez, éloignez-vous d’ici,
Ennui, chagrin, triste souci.
TROUPE DE LA SUITE D’ISMÈNE.
Cantiamo,
Balliamo,
Ridiamo,
Sempre viviamo cosi.
TROUPE DE LA SUITE DE GALATÉE.
Chantons, portons nos voix jusqu’au céleste empire.
Que les plus graves dieux, en nous entendant rire,
Y soient forcés de rire aussi.
SUITE D’ISMÈNE.
Su pigliam tutte le gioie,
E mandiam tutte le noie
All’ inferno in questo di.
TOUS ENSEMBLE.
Versons dans tous les cœurs une joie éclatante :
Qu’en ces lieux tout rie et tout chante.
Fuyez, éloignez-vous d’ici,
Ennui, chagrin, triste souci.
[1] Le dialogue qui suit entre Acanthe et la Nymphe, qui contient seize vers, a été supprimé par un carton dans l’édition de 1691. On le trouve dans le Recueil des opéras... Amsterdam, A. Wolfgang, 1639, tome IV.
[2] Ces six derniers vers ont été supprimés par un carton dans l’édition originale, ils ne se trouvent que dans l’édition du Recueil des opéras, faite en Hollande.
Walkenaer suppose que la suppression on fut exigée par la censure, que cette singulière manière de cacher un secret déplut à Louis XIV, et que ce monarque ne se souciait pas qu’on le représentât comme ayant l’intention de pousser ses conquêtes jusqu’au Danube. Il croit que les deux héros dont parle La Fontaine dans ces vers sont les maréchaux de Luxembourg et de La Feuillade, qui commandaient sous le roi au siège de Mons.
[3] Voir l’Astrée de messire Honoré d’Urfé, édit. in-8°, 1633, première partie, liv. I, t. I, p. 8.
[4] Dans le roman d’Astrée, t. I, p. 35, édit. 1633, in-8°, Hylas dit :
J’use toujours de mes franchises
Et ne puis être mécontent
Que l’on m’appelle inconstant.
[5] Dans l’exemplaire d’Astrée, provenant de la bibliothèque de Huet, qui est à la Bibliothèque nationale, ces deux vers ont été écrits sur une bande de papier par La Fontaine, pour remplacer ceux-ci :
Hélas ! il est sans mouvement.
Vains et trompeurs démons, rendez-moi mon amant.