L'Andrienne (Michel BARON)

Comédie en cinq actes, en vers.

Représentée, pour la première fois, le 16 novembre 1703.

 

Personnages

 

SIMON, père de Pamphile

PAMPHILE, fils de Simon, et amant de Glicérie

CHRÉMÈS, père de Glicérie et de Philumène

CARIN, amant de Philumène

CRITON, de l’île d’Andros

SOSIE, affranchi de Simon

DAVE, esclave de Pamphile

BYRRHIE, esclave de Carin

DROMON, esclave de Simon

GLICÉRIE, fille de Chrémès

MISIS, servante de Glicérie

ARQUILLIS, autre servante de Glicérie

PLUSIEURS VALETS qui reviennent du marché avec Simon

 

La scène est dans une place publique d’Athènes.

 

 

AU LECTEUR

 

Baïf, Poète, qui vivait sous Charles IX, fit une Traduction de l’Eunuque en vers français, qui, si je ne me trompe, ne fut pas représentée publiquement, puisqu’il n’y avait point encore à Paris de Comédiens véritablement établis. Je n’ai point ouï dire que devant lui, ni depuis lui, nous ayons eu en vers d’autres Traductions de Terence ; et l’Andrienne qui voici, est, je crois, la première de ses Comédies qui ait paru sur notre Théâtre. Toutes les fois que j’ai lu cet Auteur, je me suis étonné comment depuis tant de siècles, personne ne s’est avisé de nous donner une de ses Pièces, telles qu’elles sont, sans y changer que ce la bienséance et les mœurs ne peuvent permettre. J’en ai parlé souvent à ceux que je croyais plus capables qui moi de l’entreprendre. N’ayant pu les persuader, j’ai mis la main à l’œuvre, et je ne crois pas avoir lieu de m’en repentir. L’Andrienne a été si généralement applaudie, que j’ai lieu de penser que dans les lieux qui l’ont vu naître, on ne l’a pas jadis reçue plus favorablement qu’elle vient de l’être aujourd’hui. J’ose parler ainsi, persuadé, qu’on ne me croira point assez vain pour m’attribuer un succès qui n’est dû qu’à Terence. C’est encore trop pour moi, qu’au sortir de mes mains, on ait daigné le reconnaître. J’avoue qu’il eut fallu de merveilleux talents pour le défigurer au point de l’empêcher de plaire. Pour peu qu’on suive ce grand homme, on ne saurait manquer de réussir. Le bon goût est de tous les temps ; et il était presqu’impossible que la Cour et Paris n’approuvassent ce qu’Athènes et Rome ont loué. Que cela nous confirme, nous qui nous mêlons d’écrire pour le Théâtre, dans la pensée que nous devons avoir, qu’on peut encore divertir le Public sans le secours de ces sales équivoques, si indignes de la véritable Comédie. J’aurais ici un beau champ pour me plaindre de l’injustice qu’on m’a voulu faire[1]. Je tâcherai d’imiter encore Terence, et je ne répondrai à mes envieux, que ce qu’il répondit aux calomniateurs qui l’accusaient de ne prêter que son nom aux Ouvrages des autres. Il disait qu’on lui faisait beaucoup d’honneur de le mettre en commerce avec des personnes qui s’attiraient l’estime et le respect de tout le monde. Je dirai donc la même chose aujourd’hui : Trop heureux en effet, d’éprouver en quelque façon le sort d’un si grand homme. Je ne faisais uniquement cette Préface, que pour y marquer les endroits où je m’écarte de mon Original : Mais je comprends que cela me mènerait trop loin. Cet excellent Poète est dans les mains de tout le monde ; il sera fort aisé de connaître les changements que j’y ai faits, en comparant l’Original avec la Copie ; et les gens éclairés démêleront sans peine ce qui m’a contraint à les faire. Ceux qui peu versés dans la langue de cet Auteur, voudront s’en éclaircir, auront, s’il leur plaît, recours aux Traductions en Prose. Il y en a de parfaitement bonnes ; et particulièrement celle de ce savant homme, qui malheureusement pour le Public, n’a traduit des six Comédies de Terence que l’Andrienne, les Adelphes, et le Phormion.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

SIMON, SOSIE, PLUSIEURS VALETS, portant des provisions

 

SIMON, aux valets.

Emportez tout cela dans la maison ; allez.

Les valets entrent chez Simon.

 

 

Scène II

 

SIMON, SOSIE

 

SIMON, voyant que Sosie vent aussi rentrer.

Sosie, un mot.

SOSIE.

Je sais tout ce que vous voulez.

C’est d’avoir soin de tout ? Il n’est pas nécessaire

De me recommander...

SIMON, l’interrompant.

Non, c’est une autre affaire.

SOSIE.

Dites-moi donc en quoi mon adresse et mon soin...

SIMON, l’interrompant.

Je n’ai de ton adresse aucunement besoin.

Il suffit, pour servir utilement ton maître,

De ces deux qualités qu’avec toi j’ai vu naître :

C’est la fidélité, le secret.

SOSIE.

Je n’attends...

SIMON, l’interrompant.

Je t’ai toujours connu sage dans tous les temps.

Je t’achetai, Sosie, en l’âge le plus tendre,

Et j’eus de toi des soins qu’on ne saurait comprendre.

J’élevai ta jeunesse, et tu connus en moi

Combien la servitude était douce pour toi.

Tu t’attiras d’abord toute ma confiance ;

Et tu m’en témoignas tant de reconnaissance

Qu’enfin je t’affranchis, et par ta liberté

Récompensai ton zèle et ta fidélité.

SOSIE.

D’un si rare bienfait mon cœur n’a pu se taire.

SIMON.

Je le ferais encor, si j’avais à le faire.

SOSIE.

Je me tiens fort heureux, si j’ai fait, si je fais

Quelque chose qui soit au gré de vos souhaits :

Mais pourquoi, s’il vous plaît, rappeler cette histoire ?

Croyez-vous que jamais j’en perde la mémoire ?

Ce récit d’un bienfait que j’ai tant publié,

Semble me reprocher que je l’aie oublié.

Pourquoi tant de détours ? Pardonnez-moi, si j’ose...

SIMON, l’interrompant.

Je commencerai donc ; et la première chose

Dont je veux que par moi tu sois d’abord instruit,

C’est que le bruit qui court ici n’est qu’un faux bruit :

Ces noces, ce festin, véritables chimères,

Dont les préparatifs ne sont qu’imaginaires.

SOSIE.

Pourquoi donc ?... Excusez ma curiosité.

SIMON.

Suis-moi, tu perceras dans cette obscurité.

Quand je t’aurai fait voir mon dessein, ma conduite,

En quoi tu me seras utile, dans la suite,

D’un stratagème adroit tu connaîtras le fruit :

Tu connaîtras mon fils, ses mœurs ; et ce qui suit

Te va donner du fait entière connaissance.

Mais surtout ne perds pas la moindre circonstance.

Mon fils donc, qui pour lors avait près de vingt ans,

Plus libre, commençait à voir les jeunes gens.

Je passe son enfance, où retenu, peut être.

Par le respect d’un père et la crainte d’un maître,

L’on n’a pu discerner ses inclinations.

SOSIE.

C’est bien dit.

SIMON.

Je bannis toutes préventions.

Ce temps où ses pareils ont pour l’académie,

Pour la chasse, le jeu, les bals, la comédie,

De ces empressements qu’on ne peut exprimer,

Ne fit rien voir en lui que l’on dût réprimer.

Il prenait ces plaisirs avec poids et mesure.

Je m’en applaudissais.

SOSIE.

Non à tort, je vous jure,

Ce proverbe, monsieur, sera de tous les temps :

« Rien de trop. » Il instruit les petits et les grands.

SIMON.

De la sorte il passait cet âge difficile,

Ne préférant jamais l’agréable à l’utile.

À servir ses amis il s’offrait de grand cœur,

Pourvu qu’il crût pouvoir le faire avec honneur.

Il avait à leur plaire une douce habitude :

Aussi de ses désirs ils faisaient leur étude.

Ainsi donc, sans envie, il attirait à lui

La jeunesse sensée, et si rare aujourd’hui.

SOSIE.

On appelle cela marcher avec sagesse.

À son âge savoir que la vérité blesse,

Et que la complaisance attire des amis,

C’est d’un excellent père être le digne fils.

SIMON.

Environ vers ce temps une femme andrienne

Vint prendre une maison assez près de la mienne.

Sans parents, sans amis, peu riche ; c’est ainsi

Qu’elle partit d’Andros pour s’établir ici.

Elle était encor jeune et passablement belle.

SOSIE.

L’Andrienne commence à me mettre en cervelle.

SIMON.

Vivant pour lors sans bien et sans ambition,

Coudre et filer faisait son occupation.

Le travail de ses mains, de son fil, de sa laine,

À ses besoins pressants ne suffisait qu’à peine.

On publiait partout sa vertu, sa pudeur :

Tout ce qu’on m’en disait me perçoit jusqu’au cœur ;

Et je cherchais déjà comment je pourrais faire

Pour soulager, sous main, l’excès de sa misère.

Mais sitôt qu’à ses yeux brillèrent les amants,

Elle ne garda plus tant de ménagements.

Comme l’esprit, toujours ennemi de la peine,

Se porte du travail où le plaisir le mène,

Elle donna chez elle à jouer nuit et jour.

Parmi les jeunes gens qui lui faisaient la cour,

Ceux qui pour la servir montraient le plus de zèle

Obligèrent mon fils à l’aller voir chez elle.

Sitôt que je le sus, en moi-même je dis :

Pour le coup, c’en est fait ; ou le tient : il est pris.

J’attendais le matin leurs valets au passage,

Qui, tour-à-tour, rôdaient dans tout le voisinage.

J’en appelais quelqu’un. Je lui disais : Mon fils,

Nomme-moi tous les gens qui sont avec Chrysis.

Chrysis est proprement le nom de l’héroïne.

SOSIE.

Ah ! je n’entends que trop ! je fais plus ; je devine.

SIMON.

Je ne me souviens plus, moi-même, où j’en étais.

SOSIE.

Vous appeliez...

SIMON, l’interrompant.

J’y suis. Je priais, promettais.

Phèdre, me disait l’un, Nicérate, Clinie,

Ces jeunes gens, tous trois, l’aimaient plus que leur vie.

Et Pamphile ? Pamphile, assis pris d’un grand feu,

Par complaisance attend qu’on ait fini le jeu.

Je m’en réjouissais. Les jours suivants sans cesse

Je revenais vers eux et leur faisais largesse,

Pour savoir comme en tout mon fils se conduisait.

Je n’eusse osé penser le bien qu’on m’en disait.

Plusieurs fois, éprouvé de la même manière,

Je crus pouvoir en lui prendre assurance entière ;

Car celui qui s’expose et qui revient vainqueur

Gagne la confiance et s’attire le cœur.

D’ailleurs, de tous côtés, je dis le plus farouche,

N’osait sans le louer même en ouvrir la bouche :

D’une commune voix j’entendais mes amis

Qui me félicitaient d’avoir un si bon fils.

Que te dirais-je, enfin ? Chrémès, rempli de zèle,

Me vient offrir sa fille et son bien avec elle ;

Pour épouser mon fils, au moins, cela s’entend.

J’approuve, je promets, et ce jour-ci se prend.

SOSIE.

À leur bonheur commun quel obstacle s’oppose ?

SIMON.

Patience : un moment l’instruira de la chose.

Lorsque Chrémès et moi nous mettions tout d’accord,

De Chrysis, tout à coup, nous apprenons la mort.

SOSIE.

Où qu’elle soit, monsieur, pour dieu, qu’elle s’y tienne !

Je n’ai jamais rien craint tant que cette Andrienne.

SIMON.

Mon fils, qui la plaignait dans son malheureux sort,

Ne l’abandonnait pas, même depuis sa mort ;

Et tout se disposait pour la cérémonie

De ces tristes devoirs qu’on rend après la vie.

Plus attentif alors, je l’examinais mieux.

J’aperçus, qu’il tombait des larmes de ses yeux.

Je trouvais cela bon, et disais en mon âme :

Il pleure, et ne connaît qu’à peine cette femme,

S’il l’aimait, qu’eût-il fait en un pareil malheur 

Et si je mourais, moi, que ferait sa douleur ?

Je prenais tout cela pour la marque infaillible

De la bonté d’un cœur délicat et sensible.

Mais, pour trancher enfin d’inutiles discours,

On emporte le corps : il y vole ; j’y cours.

Je me mets dans la foule ; et le tout pour lui plaire.

Je ne soupçonnais rien encor dans cette affaire.

SOSIE.

Comment ! que dites-vous ?

SIMON.

Attends ; tu le sauras.

Nous allions, nous suivions, nous marchions pas à pas.

Plusieurs femmes pleuraient, mais surtout une blonde

Me parut...

SOSIE, l’interrompant.

Belle ?... Hein ?

SIMON.

La plus belle du monde,

Mais dont la modestie égalait la beauté ;

Et tant de grâce jointe à tant d’honnêteté,

La mettait au-dessus de tout ce qu’on admire.

Poussé par un motif que j’aurais peine à dire,

Soit qu’elle m’eut touché par son affliction,

Ou qu’elle eût sur mon cœur fait quelque impression,

Je voulus la connaître ; et dans l’instant j’appelle

Doucement le valet qui marchait après elle :

Quelle est cette beauté, mon ami, que tu suis ?

Lui dis-je. Il me répond : c’est la sœur de Chrysis.

L’esprit frappé, surpris, et le cœur en alarmes :

« Ah ! ah ! dis-je, voici la source de ses larmes...

« Voilà donc le sujet de sa compassion ! »

SOSIE.

Je crains que tout ceci n’amène rien de bon.

SIMON.

On arrive au tombeau. Là, selon la coutume,

Le corps sur le bûcher se brûle, se consume.

Cette sœur de Chrysis, dans ces tristes moments,

Faisant retentir l’air de ses gémissements,

Se jetant sur ce corps que la flamme dévore,

Pour la dernière fois veut l’embrasser encore.

Pamphile, pénétré des plus sensibles coups,

S’avance, presse, accourt, se fait jour parmi nous,

Et de ses feux cachés découvrant le mystère,

L’arrête ; et, tout rempli d’amour et de colère,

« Ma chère Glicérie, hélas ! dit-il, hélas !

« Mourons ensemble, au moins !... » Elle tombe en ses bras.

Leurs yeux se rencontrant nous firent trop entendre

Qu’ils s’aimaient, dès longtemps, de l’amour le plus tendre.

SOSIE.

Que me dites-vous là ?

SIMON.

Je retourne au logis,

Dans le fond de mon cœur pestant contre mon fils,

Et n’osant pourtant point lui montrer ma colère ;

Car il n’eût pas manqué de me dire : « Mon père,

« Quel mal ai-je donc fait ? Quel crime ai-je commis ?

« J’ai donné du secours à la sœur de Chrysis ;

« Dans la flamme elle tombe, et ma main l’en retire. »

Tu vois bien qu’à cela je n’aurais rien à dire.

SOSIE.

C’est savoir à propos dompter sa passion.

Le quereller après une telle action !

Après un mauvais coup que pourrait-il attendre ?

SIMON.

Chrémès ne voulant plus de mon fils pour son gendre,

Vint dès le lendemain pour me le déclarer,

Ajoutant qu’on n’eût pu jamais se figurer

Que mon fils, sans égard, sans respect pour son père,

Vécût, comme il faisait, avec cette étrangère.

Moi, de nier le fait, lui, de le soutenir.

Je m’emporte... Mais lui, ne cherchant qu’à finir,

J’eus beau lui rappeler sa promesse et la mienne,

Il me rend ma parole et retire la sienne.

SOSIE.

À Pamphile aussitôt vous fîtes la leçon ?

SIMON.

La réprimande encor n’était pas de saison.

SOSIE.

Comment ?

SIMON.

Il m’aurait dit, comme je m’imagine :

« Mon père, en attendant le choix qu’on me destine,

« Et pour lequel enfin je vois tout disposer,

« Prêt à subir le joug que l’on va m’imposer,

« Dans le reste du temps, qui ne durera guère,

« Qu’il me soit libre, au moins, de vivre à ma manière. »

SOSIE.

Quel lieu donc aurez-vous de le réprimander ?

SIMON.

Le refus ou l’aveu me fera décider.

S’il recule ou s’oppose à ce feint mariage,

Tu m’entendras pour lors prendre un autre langage :

D’un ridicule amour, par lui-même éclairci,

Je lui montrerai bien si l’on doit vivre ainsi...

Mais suffit. À l’égard de ce maraud de Dave,

Qui depuis si longtemps et me joue et me brave,

Et qui, pour me tromper, fait agir cent ressorts,

Il fera pour mon fils d’inutiles efforts.

À me fourber aussi le traître veut l’instruire,

Et songe à le servir beaucoup moins qu’à me nuire.

SOSIE.

Eh ! pourquoi donc cela ?

SIMON.

Quoi ! tu ne le sais pas ?

Ah ! c’est un scélérat qui ne peut faire un pas...

Mais baste !... Si j’apprends qu’en cette conjoncture

Le fourbe contre moi prenne quelque mesure,

Tu verras... Souhaitons seulement que mon fils

Soit à mes volontés aveuglément soumis,

Qu’il ne me reste plus qu’à renouer l’affaire.

Pour adoucir Chrémès je sais ce qu’il faut faire.

Ce que je veux de toi, c’est de persuader

Que l’hymen de mon fils ne se peut retarder

D’appuyer ce mensonge, et jurer sur ta tête

Que ce jour-ci, ce jour est marqué pour la fête ;

D’intimider ce Dave en cette occasion.

C’est tout ce que je veux de ton affection.

SOSIE.

Vous pouvez maintenant dormir en assurance.

SIMON.

Va, rentre.

Sosie rentre chez Simon.

 

 

Scène III

 

SIMON, seul

 

Que de soins, sans aucune espérance !

Après bien des tourments, pester, gronder, crier,

Pamphile ne voudra jamais se marier.

Dave m’a trop instruit ; et, malgré sa contrainte,

Le trouble de ses yeux m’a découvert sa crainte,

Lorsque je témoignai... Mais voici le maraud !

 

 

Scène IV

 

DAVE, SIMON

 

DAVE, à part, sans voir d’abord Simon.

On appelle cela le prendre comme il faut.

Très certain qui son fils on refuse une fille,

Avec beaucoup de bien et de bonne famille,

Le bonhomme fait voir un modeste maintien,

Sans en dire un seul mot, sans en témoigner rien.

SIMON, à part.

Il parlera, maraud ! donne-toi patience :

Tu n’en seras pas mieux, ainsi que je le pense.

DAVE, à part.

Je vois bien ce que c’est : le bon vieillard a cru

Que sous l’espoir flatteur de cet hymen rompu,

Et nous ayant leurrés de cette fausse joie,

Nous passerions des jours filés d’or et de soie ;

Sans trouble, sans chagrin, lorsqu’il viendrait, tout net.

Le contrat à la main, nous saisir au collet...

La peste, qu’il en sait !

 

SIMON, à part.

Ah ! le maudit esclave !

DAVE, à part.

Je ne le voyais pas ; c’est mon vieux maître.

SIMON.

Dave ?

DAVE, feignant de ne le pas voir.

Qui m’appelle ?

SIMON.

C’est moi.

DAVE.

Qui ? c’est moi ?

SIMON.

Me voici.

DAVE.

Où donc ?

SIMON, à part.

Ah ! le bourreau !

DAVE.

Je ne sais.

SIMON.

C’est ici.

DAVE.

Je ne vois...

SIMON, à part.

Le pendard !

DAVE, feignant de commencer à le reconnaître.

Ouf !... Pardonnez, de grâce !...

SIMON, l’interrompant.

Je t’excuse, voleur ! mais reste en cette place.

DAVE.

Vous n’avez qu’à parler.

SIMON.

Hein ?

DAVE.

Quoi ?

SIMON.

Plaît-il ?

DAVE.

Monsieur ?

SIMON.

Ce qu’on dit de mon fils lui fait bien de l’honneur !

DAVE.

Que dit-on ?

SIMON.

Ce qu’on dit ? Qu’une certaine femme

Allume dans son cœur une illicite flamme.

Tout le monde eu murmure.

DAVE.

Ah ! vraiment, c’est de quoi

Le monde se met fort en peine, que je croi !

SIMON.

Que dis-tu ?

DAVE.

Moi ?

SIMON.

Toi.

DAVE.

Rien.

SIMON.

Dans la grande jeunesse,

L’amie soumise aux sens et s’égarant sans cesse...

Brisons là ; n’allons point rappeler le passe.

Mais aujourd’hui qu’il est moins jeune et plus sensé,

Dave, il faut d’autres mœurs, un autre train de vie.

Je te commande donc, ou plutôt je te prie,

Et si ce n’est assez, je te conjure, enfin,

De remettre mon fils dans un meilleur chemin.

Tu m’entends ? Hein ?

DAVE.

Pas trop.

SIMON.

Je sais bien qu’à son âge

On n’aime pas, on craint, on fuit le mariage.

DAVE.

On le dit.

SIMON.

Et surtout lorsqu’un jeune imprudent.

S’abandonne aux conseils d’un mauvais confident,

Il se livre à des maux qu’on ne saurait comprendre.

DAVE.

Je commence, monsieur, à ne vous plus entendre.

SIMON.

Tu ne m’entends plus ?

DAVE.

Non.

SIMON.

Attends jusqu’à la fin.

DAVE.

Je suis Dave, monsieur, et ne suis pas devin.

SIMON.

Tu veux que je sois clair et plus intelligible ?

DAVE.

Oui, s’il vous plaît.

SIMON.

Je vais y faire mon possible.

Si mon fils n’est ce soir soumis à la raison,

Je te ferai demain mourir sous le bâton ;

Et veux, si je l’oublie ou si je te fais grâce,

Que sans miséricorde on m’assomme à ta place.

Eh bien ! de ce discours es-tu plus satisfait ?

DAVE.

Celui-ci, pour le coup, me paraît clair et net.

Ce discours-ci n’est point de ces discours frivoles,

Et renferme un grand sens, en très peu de paroles.

SIMON.

Tu ris ; mais prends bien garde à cette affaire-ci.

Tu ne te plaindras point qu’on ne t’ait averti.

Adieu.

Il rentre chez lui.

 

 

Scène V

 

DAVE, seul

 

Vous l’entendez de vos propres oreilles.

Sus, Dave, il n’est pas temps de bayer aux corneilles.

Si l’esprit ne nous sert en cette occasion :

Pour mon maître, ou pour moi, je ne vois rien de bon.

Que faire ? Le laisser dans ce père extrême ?

Il est mort. Le servir par quelque stratagème ?

Si le vieillard le sait... Je m’y perds ; et, ma foi !

Je ne vois que butons prêts a tomber sur moi.

Quand il saura (bons dieux ! quelle triste journée !)

Pamphile marié, depuis plus d’une année !

Pensent-ils qu’il prendra, ce vieillard emporté,

Des contes, faits en l’air, pour une vérité ?

Lui diront-ils qu’elle est citoyenne d’Athènes ;

Et de cent visions, dont leurs têtes sont pleines,

Croiront-ils l’endormir, en lui frottant le dos ?

Un vieux marchand périt proche l’île d’Andros.

Après sa mort, laissant une petite fille,

Le père de Chrysis, qui la trouva gentille,

La fit, près de Chrysis, avec soin, élever...

Imagination qu’on ne saurait prouver !

Ce vieux marchand mourant... Contes à dormir, fable,

Qui ne me paraît pas seulement vraisemblable

Mais pourquoi m’arrêter à tous ces vains discours ?

À des maux si pressants il faut un prompt secours.

De ce vieillard fougueux pour calmer la furie,

Quoi ! ne pourrions-nous pas résoudre Glicérie

À venir à ses pieds lui demander hélas !

Glicérie est malade, et je n y songe pas ;

Et si mal que je crains que la fin de sa vie

Ne soit le dénouement de cette tragédie...

Mais j’aperçois Misis.

 

 

Scène VI

 

MISIS, DAVE

 

DAVE.

Eh bien ! ma chère enfant,

Comment se porte-t-elle ?

MISIS.

Un peu mieux maintenant.

Mais, hélas ! on ne peut faire aucun fond sur elle.

Ce vieillard irrité lui trouble la cervelle.

Elle n’ignore pas qu’il peut, en un moment,

Rompre un hymen formé sans son consentement.

Malade comme elle est, languissante, abattue,

Bien plus que tout son mal, cette crainte la tue.

Elle découvre tout ce qu’on veut lui cacher.

Elle m’a fait soi tir pour te venir chercher.

Tu lui feras plaisir de la voir, de lui dire...

DAVE, l’interrompant.

Je ne puis maintenant, Misis ; je me retire.

De ma présence ailleurs on a trop de besoin.

Dis-lui qu’à la servir je donne tout mon soin ;

Que de ce même pas je cours toute la ville

Pour tâcher de trouver et prévenir Pamphile.

Il s’en va.

 

 

Scène VII

 

MISIS, seule

 

À quel nouveau malheur faut-il nous préparer ?

De son empressement que pourrais-je augurer ?

« Dis-lui que de ce pas je cours toute la ville

« Pour tâcher de trouver et prévenir Pamphile. »

Pour prévenir Pamphile ?... Ô ciel ! est-il besoin

Que de le prévenir on prenne tant de soin ?

Devrait-il être un jour, une heure, un moment même ;

Sans venir l’assurer de son amour extrême ?

Que laisse-t-il penser ? quel funeste embarras !...

Dieux tout-puissants, grands dieux ! ne l’abandonnez pas !...

Apercevant Pamphile.

Juste ciel ! quel objet se présente à ma vue ?

Pamphile hors de lui !... Que mon âme est émue !...

Que vois-je ? il lève au ciel et les mains et les yeux !...

Notre malheur, hélas ! peut-il s’expliquer mieux ?

 

 

Scène VIII

 

PAMPHILE, MISIS

 

PAMPHILE, à part, et sans voir Misis, qui se retire à l’écart.

D’un procédé pareil un homme est-il capable ?

Est-ce là comme en use un père raisonnable ?

MISIS, à part.

Que veut dire ceci ? Je tremble.

PAMPHILE, à part.

Ah ! quelle main,

Sort cruel, choisis-tu pour me percer le sein ?

Quoi ! sans me pressentir sur le choix d’une femme,

Mon père croit livrer et mon cœur et mon âme ?

D’abord, n’a-t-il pas dû me le communiquer ?

MISIS, à part.

Qu’entends-je ? Quelle énigme il vient de m’expliquer ?

PAMPHILE, à part.

Chrémès donc a présent tient un autre langage ?

Lui qui me refusait sa fille en mariage,

Il prétend me la faire épouser aujourd’hui ?

Oh ! pour moi, je ne veux ni d’elle, ni de lui.

De mes vœux, de ma foi, mon cœur n’est plus le maître :

Je serais, à la fois, ingrat, parjure, traître !...

Puis-je le concevoir ?... S’il n’est aucun secours,

Ce jour fatal sera le dernier de mes jours !...

De mon cœur embrasé le feu ne peut s’éteindre

Hélas ! des malheureux je suis le plus à plaindre.

Ne pourrai-je éviter, dans mon malheureux sort,

Un hymen mille fois plus cruel que la mort ?

De combien de rebuts m’ont-ils rendu la proie ?

On me veut aujourd’hui, demain l’on me renvoie ;

On me rappelle encor. Que dois-je soupçonner ?

Il n’est que trop aisé de se l’imaginer :

Il n’a pu de sa fille autrement se défaire,

Il me la veut donner : voilà tout le mystère.

MISIS, à part.

Ce discours me saisit et me perce le cœur.

PAMPHILE, à part.

Mais ce qui met encor le comble à ma douleur,

C’est l’air indifférent et l’abord de mon père.

Croit-il qu’un mot suffit dans une telle affaire ?

Je le rencontre. À peine avait-il pu me voir :

« Philumène est a vous, m’a-t-il dit, et ce soir... »

J’ai cru qu’il me disait, ou qu’à l’instant je meure :

« Va, Pamphile, va-t’en te pendre tout à l’heure... »

Assommé de ce coup, j’ai paru comme un sot,

Sans oser devant lui proférer un seul mot.

Si quelqu’un me demande en une telle affaire,

Averti de tout point, ce qu’il eut fallu faire :

Je ne sais ; mais je sais que dans un pareil cas

J’eusse fait ce qu’il faut pour ne l’épouser pas.

Pour moi, je ne vois plus que penser, ni que dire.

Je sens, de toutes parts, mon cœur que l’on déchire.

La pitié, le respect, m’entraînent tour à tour :

Tantôt j’écoute un père, et tantôt mon amour.

Ce père me chérit, l’abuserai-je encore ?

Faut-il abandonner la beauté que j’adore ?

Hélas ! que faire ? hélas ! de quel côté tourner ?

MISIS, à part.

Il est temps de combattre, et non de s’étonner.

Il faut absolument qu’il parle à ma maîtresse.

Tout le veut ; son repos, son honneur, sa tendresse.

Tandis que son esprit ne sait où s’incliner,

Parlons, pressons : un mot peut le déterminer.

PAMPHILE, apercevant Misis, qui se rapproche de lui.

Qu’entends-je ?... C’est Misis.

MISIS.

Hélas ! c’est elle-même.

PAMPHILE.

Que dit-elle ?... Prends part à ma douleur extrême...

Que fait-elle ?... Réponds.

MISIS.

Me le demandez-vous ?

Du plus cruel destin elle ressent les coups.

Le bruit qui se répand d’un fatal hyménée,

Malgré tous vos serments, malgré la foi donnée...

Elle craint, en un mot, que ce funeste jour

À son fidèle cœur n’arrache votre amour.

PAMPHILE.

Ciel ! puis-je le penser ? Quel soupçon l’a frappée ?

Ah ! malheureux ! c’est moi qui l’aurais donc trompée ?

Je l’abandonnerais, au mépris de ma foi,

Elle qui n’attend rien que du ciel et de moi ?

J’exposerais ses mœurs, sa vertu non commune,

Aux bizarres rigueurs d’une injuste fortune ?

Cela ne sera point.

MISIS.

Elle ne doute pas

Que s’il dépend de vous, Pamphile... Mais, hélas !

Si l’on vous y contraint ?

PAMPHILE.

Je serais assez lâche

Pour rompre, pour briser la chaîne qui m’attache ?

MISIS.

Elle mérite bien que vous vous souveniez

Que les mêmes serments, tous deux, vous ont liés.

PAMPHILE.

Si je m’en souviendrai ! qui ? moi ?... Toute ma vie.

Ce que me dit Chrysis, parlant de Glicérie,

Occupe incessamment mon esprit et mon cœur.

Mourante, elle m’appelle ; et moi, plein de douleur,

J’avance. Vous étiez dans la chambre prochaine.

Et pour lors, d’une voix qui ne sortait qu’à peine,

Elle me dit : (Misis, j’en verse encor des pleurs !)

« Elle est jeune, elle est belle, elle est sage, et je meurs.

« Pour conserver son bien que peut-elle à cet âge ?

« La beauté pour ses mœurs est un triste avantage.

« Je vous conjure donc, par sa main que je tiens,

« Par la foi, par l’honneur, par mes pleurs, par les siens,

« Par ce dernier moment qui va finir ma vie,

« De ne vous séparer jamais de Glicérie !

« Pamphile, quand j’ai cru trouver un frère en vous,

« L’aimable Glicérie y crut voir un époux ;

« Et depuis tous ses soins n’ont tendu qu’à vous plaire.

« Soyez donc son tuteur, son époux et son père.

« Du peu de bien qu’elle a daignez prendre le soin ;

« Conservez-le. Peut-être elle en aura besoin. »

Elle prit nos deux mains et les mit dans la sienne :

« Que dans cette union l’amour vous entretienne ;

« C’est tout... » Elle expira dans le même moment...

Je l’ai promis, Misis ; je tiendrai mon serment.

Je ne trahirai point la foi la plus sincère :

Je te le jure encor.

MISIS.

Pamphile, je l’espère...

Mais ne montez-vous pas, pour calmer ses ennuis ?

PAMPHILE.

Je ne paraîtrai point dans le trouble ou je suis...

Mais, ma chère Misis, fais en sorte, de grâce,

Qu’elle ne sache rien de tout ce qui se passe.

MISIS.

J’y ferai mes efforts.

PAMPHILE.

Attends, Misis... je crains...

Non, je ne la puis voir.

MISIS, à part.

Hélas ! que je le plains !

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

CARIN, BYRRHIE

 

CARIN.

Ai-je bien entendu ? me dis-tu vrai, Byrrhie ?

Le croirai-je ? Pamphile aujourd’hui se marie ?

BYRRHIE.

Cela n’est que trop vrai.

CARIN.

Mais de qui le sais-tu ?

Dis-le moi donc.

BYRRHIE.

De Dave, à l’instant, je l’ai su.

CARIN.

Jusqu’ici, quelque espoir, au milieu de ma crainte,

Soulageait tous les maux dont mon âme est atteinte :

Mais enfin, interdit, languissant, abattu,

Je sens que je n’ai plus ni force, ni vertu.

C’en est fait, je succombe à ma douleur mortelle.

Eh ! puis-je vivre après cette affreuse nouvelle ?

BYRRHIE.

Lorsqu’on ne peut, monsieur, faire ce que l’on veut,

Il faudrait essayer à vouloir ce qu’on peut.

CARIN.

Que puis-je souhaiter quand je perds Philumène ?

BYRRHIE.

Eh ! ne feriez-vous pas, avec bien moins de peine,

Un effort pour chasser ce malheureux amour

Que d’en parler sans cesse, et la nuit et le jour ?

Sans relâche, attentif au feu qui vous dévore,

Par de pareils discours vous l’irritez encore.

CARIN.

Hélas ! qu’il t’est aisé, dans un profond repos,

De vouloir apporter du remède à mes maux !

BYRRHIE.

Je vous dirai pourtant...

CARIN, l’interrompant.

Ah ! laisse-moi, Byrrhie ;

Un semblable discours me fatigue et m’ennuie.

BYRRHIE.

Vous ferez là-dessus tout ce qu’il vous plaira.

CARIN.

Pamphile de mon sort lui seul décidera.

Il faut tout employer, avant que je périsse :

Il se rendra peut-être à mes désirs propice.

Je vais lui découvrir l’excès de mes tourments ;

Et s’il n’est pas touché des peines que je sens,

Pour quelque temps, au moins, j’obtiendrai qu’il diffère

Un hymen que je crains et qui me désespère.

Pendant ce temps il peut arriver... que sait-on ?

BYRRHIE.

Il ne peut désormais arriver rien de bon.

CARIN, apercevant Pamphile.

Je vois Pamphile... Ô ciel ! conseille-moi, Byrrhie.

L’aborderai-je, ou non ?

BYRRHIE.

Contentez votre envie.

Découvrez-lui l’état où l’amour vous a mis.

Peut-être craindra-t-il quelque chose de pis.

 

 

Scène II

 

PAMPHILE, CARIN, BYRRHIE

 

PAMPHILE, à part.

Je vois Carin...

À Carin.

Bon jour.

CARIN.

Bon jour, mon cher Pamphile.

En vos seules bontés trouverai-je un asile ?

Serez-vous mon appui ? La rigueur de mon sort

A mis entre vos mains et ma vie et ma mort.

PAMPHILE.

Hélas ! mon cher Carin, quel espoir est le vôtre ?

Je ne puis rien pour moi ; que puis-je pour un autre ?

Mais de quoi s’agit-il ?

CARIN.

Il s’agit de savoir

Si vous vous mariez, comme on dit, dès ce soir.

PAMPHILE.

On le dit.

CARIN.

Permettez, mon cher, que je vous die

Un adieu qui sera le dernier de ma vie.

PAMPHILE.

Eh ! pourquoi donc cela ?

CARIN.

Je demeure interdit.

Je n’ose vous parler, et vous m’avez tout dit.

Byrrhie, instruit d’un mal, que j’ai peine à vous taire,

Vous peut de mes malheurs découvrir le mystère.

BYRRHIE, à Pamphile.

Oui-dà, je le ferai très volontiers.

PAMPHILE.

Hé bien ?

BYRRHIE.

Ne vous alarmez pas, surtout ; c’est moins que rien.

Montrant Carin.

Monsieur est amoureux, amoureux, à la rage,

De celle qu’on vous va donner en mariage.

PAMPHILE.

Il l’aime ?...

À Carin.

Mais, Carin, parlez-moi nettement :

Vous aime-t-elle aussi ? Par quelque engagement

Pourriez-vous ?... Dites-moi... ce que je me propose...

CARIN, l’interrompant.

Non, je vous avouerais ingénument la chose.

PAMPHILE.

Ah ! plût au ciel, Carin, que pour vous et pour moi...

CARIN, l’interrompant.

Je suis de vos amis, Pamphile ; je le croi.

Par cette amitié donc entre nous établie,

Rompez premièrement cet hymen qu’on publie.

PAMPHILE.

Je ferai mes efforts.

CARIN.

Ou bien, si votre cœur

Dans cet engagement trouve tant de douceur...

PAMPHILE, l’interrompant.

Quelle douceur !

CARIN.

Au moins, et pour dernière grâce,

Différez d’un seul jour le coup qui me menace,

Pour me donner le temps de délivrer vos yeux

D’un ami, d’un amant, d’un rival odieux !

PAMPHILE.

Écoutez-moi, Carin. Dans le siècle où nous sommes,

Vous ne l’ignorez pas, on rencontre des hommes

Qui, parés d’un bienfait qu’ils n’ont jamais rendu,

En arrachent le fruit, qui ne leur est pas dû.

Je suis, vous le savez, d’un autre caractère :

Ainsi, pour vous parler sans feinte, sans mystère,

Cet hymen si contraire à vos plus chers désirs,

Me cause maintenant de mortels déplaisirs.

CARIN.

Hélas ! vous me rendez la joie et l’espérance.

PAMPHILE.

Vous pouvez maintenant agir en assurance.

Faites pour l’épouser jouer mille ressorts ;

Pour ne l’épouser point je ferai mes efforts.

CARIN.

J’emploierai...

PAMPHILE, l’interrompant, en voyant paraître Dave.

Dave vient. C’est en lui que j’espère.

Son conseil nous sera, sans doute, nécessaire.

CARIN, à Byrrhie.

Toi qui cent fois par jour me mets au désespoir,

Retire-toi, va-t-en.

BYRRHIE.

Monsieur, jusqu’au revoir.

Il s’éloigne.

 

 

Scène III

 

DAVE, CARIN, PAMPHILE

 

DAVE, à part.

Bons dieux ! que de plaisirs !...

À Pamphile et à Carin, suis les reconnaître d’abord.

Eh ! la, messieurs, de grâce !

Je suis un peu pressé, permettez que je passe...

Pamphile n’est-il point parmi vous ?... Dans son cœur.

Je voudrais rétablir la paix et la douceur.

Eh ! morbleu ! rangez-vous... Où diantre peut-il être ?

CARIN, bas, à Pamphile.

Il me paraît content.

PAMPHILE, bas.

Il ne sait pas peut-être

Les troubles, les chagrins dont je me sens pressé.

DAVE, à part.

S’il est instruit des maux dont il est menacé !...

CARIN, bas, à Pamphile.

Écoutez ce qu’il dit.

DAVE, à part.

Il court toute la ville,

Et de nous rencontrer il n’est pas bien facile...

De quel côté tourner ?

CARIN, bas, à Pamphile.

Que ne lui parlons-nous ?

DAVE, à part.

Je vais...

PAMPHILE.

Dave ?

DAVE, reconnaissant Pamphile et Carin.

Qui, Dave ?... Ah ! monsieur, c’est donc vous ?...

À Carin.

Et vous aussi, Carin ?... Allégresse ! merveilles !

Écoutez-moi, tous deux, de toutes vos oreilles.

PAMPHILE.

Dave, je suis perdu.

DAVE.

De grâce ! écoutez-moi.

PAMPHILE.

Je suis mort.

DAVE.

Je sais tout.

CARIN.

Je n’ai recours qu’en toi.

DAVE.

Je suis fort bien instruit.

PAMPHILE.

Dave, l’on me marie.

DAVE.

Je le sais.

PAMPHILE.

Dès ce soir.

DAVE.

Eh ! merci de ma vie !

Un moment de repos !... Je sais vos embarras.

À Carin.

Vous craignez d’épouser... Vous, de n’épouser pas ?

CARIN.

C’est cela.

PAMPHILE, à Dave.

Tu l’as dit.

DAVE.

Oh ! cessez de vous plaindre ;

Jusques ici, tous deux, vous n’avez rien à craindre.

PAMPHILE.

Hâte-toi, tire-moi de la crainte où je suis.

DAVE.

Eh ! je le fais aussi, le plus tôt que je puis.

Vous n’épouserez point, vous dis-je, Philumène,

Et j’en ai, je vous jure, une preuve certaine.

PAMPHILE.

D’où le sais-tu ? dis-moi ?

DAVE.

Je le sais, et fort bien.

Votre père tantôt, par forme d’entretien,

M’a dit : « Dave, je veux, sans tarder davantage,

« De mon fils aujourd’hui faire le mariage. »

Passons. Vieillard jasant tient discours superflus,

Dont, très heureusement, je ne me souviens plus.

Au même instant, rempli d’une douleur mortelle,

Je cours pour vous porter cette triste nouvelle.

Je vais droit à la place, où ne vous voyant point,

Je me trouve, pour lors, afflige de tout point.

Je gagne la hauteur ; et là, tout hors d’haleine,

En cent lieux différents où mon œil se promène,

Élevé sur mes pieds, je m’aperçois fort bien

Que je découvre tout et ne discerne rien.

Je descends promptement ; je rencontre Byrrhie.

Avec empressement je le prie et reprie

De me dire en quel lieu vous êtes. Ce nigaud

Me regarde, m’écoute et s’enfuit aussitôt.

Las, fatigué, chagrin, je pense, je repense...

« Mais pour ce mariage on fait peu de dépense, »

Dis-je alors. Là-dessus je prends quelque soupçon.

Ce bonhomme me vient quereller sans raison.

Il nous forge un hymen pour nous tromper, je gage.

Ces doutes, bien fondés, rappellent mon courage.

PAMPHILE.

Eh bien ! après ?

DAVE.

Après ? Plus gaillard, plus dispos,

J’arrive à la maison de Chrémès aussitôt.

Je considère tout avec exactitude.

Un seul valet, sans soin et sans inquiétude,

Respirait à la porte un précieux loisir,

Et, malgré le grand froid, ronflait avec plaisir.

J’en tressaille.

PAMPHILE.

Poursuis.

DAVE.

Cette maison m’étonne,

D’où personne ne sort, on n’aborde personne,

Où je ne vois amis, parentes, ni parents,

Ni meubles somptueux, ni riches vêtements,

Où l’on ne parle point de musique, de danse.

PAMPHILE.

Ah ! Dave.

DAVE.

Cet hymen a-t-il de l’apparence ?

PAMPHILE.

Je ne sais que penser.

DAVE.

Que me dites-vous là ?

C’est très certainement un conte que cela.

Je fais plus. À l’instant j’entre dans la cuisine :

Je n’y vois qu’un poulet d’assez mauvaise mine,

Un seul petit poisson, qui dans l’eau barbotait,

Un cuisinier transi, qui dans ses mains soufflait.

CARIN.

Dave, tu me parois comme un dieu tutélaire :

Je retrouve en toi seul un protecteur, un père.

DAVE.

Eh ! vous n’en êtes pas encore où vous pensez.

CARIN, montrant Pamphile.

Il n’épousera point Philumène ?

DAVE.

Est-ce assez ?

Dites-moi, s’il vous plaît, est-ce ainsi qu’on raisonne ?

Parce qu’il ne l’a point, faut-il qu’il vous la donne ?

Ne tardez pas, allez, employez vos amis ;

Montrez-vous caressant, obligeant et soumis.

CARIN.

Va, je n’oublierai rien. Je ferais plus encore

Pour posséder un jour la beauté que j’adore.

Il s’en va.

 

 

Scène IV

 

PAMPHILE, DAVE

 

PAMPHILE, à part.

Mais pourquoi donc, mon père, à ce point nous jouer ?

DAVE.

Il sait bien ce qu’il fait ; vous l’allez avouer.

Si Chrémès rompt des nœuds formés par votre père,

Votre père ne peut que se plaindre ou se taire.

Il sent bien qu’il eût dû vous en parler d’abord ;

Il vous veut maintenant mettre dans votre tort.

Si dans cette union feinte qu’il vous propose,

Vous ne lui paraissez soumis en toute chose,

Ah ! pour lors, vous verrez de terribles éclats.

PAMPHILE.

Je me prépare à tout.

DAVE.

Ne vous y trompez pas.

C’est votre père, au moins, pensez-y mieux, Pamphile ;

Et de lui résister c’est chose peu facile.

Dans de nouveaux chagrins n’allez point vous plonger.

Sur le moindre soupçon qu’il pourrait se forger,

Il vous ferait chasser brusquement Glicérie,

Vous n’en entendriez parler de votre vie.

PAMPHILE.

La chasser ! juste ciel !

DAVE.

N’en doutez nullement.

PAMPHILE.

Que faut-il faire ? hélas !

DAVE.

Dire, tout maintenant,

Qu’à suivre ses conseils vous n’aurez nulle peine,

Et que vous êtes prêt d’épouser Philumène.

PAMPHILE.

Hein ?

DAVE.

Plaît-il ?

PAMPHILE.

Je dirai...

DAVE, l’interrompant.

Pourquoi non ?

PAMPHILE.

Que je vais...

Non, Dave, encore un coup, ne m’en parle jamais.

DAVE.

Croyez-moi.

PAMPHILE.

C’en est trop, et ce discours me lasse.

DAVE.

Mais que risquerez-vous ? Écoutez-moi, de grâce !

PAMPHILE.

De me voir séparer de l’objet de mes vœux,

D’épouser Philumène et vivre malheureux.

DAVE.

Cela ne sera point, soit dit sans vous déplaire :

Je vois plus clair que vous dans toute cette affaire.

Vous ne hasardez rien à vous humilier.

Votre père dira : « Je veux vous marier ;

« J’ai choisi ce jour-ci pour célébrer la fête. »

Et vous lui répondrez, en inclinant la tête :

« Mon père, je ferai tout ce qu’il vous plaira. »

Fiez-vous en à moi ; ce coup l’assommera,

Et ne bonhomme, enfin, en intrigues fertile,

Cessera de poursuivre un dessein inutile.

Chrémès, dans son refus, plus ferme que jamais,

Vous va servir, monsieur, et selon vos souhaits.

Ainsi vous passerez, au gré de votre envie,

Sans trouble, d’heureux jours auprès de Glicérie.

Chrémès, de votre amour par mes soins informé,

Dans son juste refus se verra confirmé.

Mais ressouvenez-vous que le nœud de l’affaire

Est de paraître en tout soumis a votre père ;

Et ne vous allez point encore imaginer

Qu’il ne trouvera plus de fille à vous donner.

Dans cet engagement que vous faites paraître,

Il vous la choisira vieille et laide peut-être,

Plutôt que vous laisser dans le dérèglement,

Où vous lui paraissez vivre jusqu’à présent :

Mais si vous vous montrez soumis à sa puissance,

Le bonhomme, pour lors, rempli de confiance,

Nous laissera le temps de choisir, d’inventer

Quel remède à nos maux nous devons apporter.

PAMPHILE.

Dave, crois-tu cela ?

DAVE.

Si je le crois ? Sans doute.

PAMPHILE.

Hélas ! si tu savais ce qu’un tel effort coûte !

DAVE.

Par ma foi ! vous rêvez. Quoi donc ! y pensez-vous ?

On se moque de lui tant qu’on veut, entre nous...

Le voici... Bon courage ! un peu d’effronterie.

Surtout, ne paraissez point triste, je vous prie.

 

 

Scène V

 

SIMON, PAMPHILE, DAVE

 

SIMON, à part, dans le fond, sans voir d’abord son fils et Dave.

Je reviens pour savoir quel conseil ils ont pris.

DAVE, à part, en regardant furtivement Simon, qui ne le voit pas.

Cet homme croit trouver un rebelle en son fils,

Et médite, à part lui, quelque trait d’éloquence,

Dont nous l’allons payer autrement qu’il ne pense...

Bas, à Pamphile.

Allons, songez à vous, et possédez-vous bien.

PAMPHILE, bas.

Je ferai de mon mieux ; mais ne me dis plus rien.

DAVE, bas.

Si vous lui répondez, ainsi que je l’espère :

« Tout ce que vous voudrez ; j’obéirai, mon père... »

Vous le verrez confus, sans pouvoir dire un mot ;

Et si cela n’est pas, prenez-moi pour un sot.

SIMON, à part, en apercevant son fils et Dave.

Ah ! les voici tous deux, et je vais les surprendre.

DAVE, bas, à Pamphile.

Prenez garde, il nous voit... N’importe, il faut l’attendre.

SIMON, à Pamphile.

Pamphile ?

DAVE, bas, à Pamphile.

Tournez-vous, et paraissez surpris.

 

 

Scène VI

 

BYRRHIE, dans le fond et sans se faire voir, SIMON, PAMPHILE, DAVE

 

PAMPHILE, à Simon, avec un feint étonnement.

Ah ! mon père !

DAVE, bas.

Fort bien.

SIMON, à Pamphile.

C’est aujourd’hui, mon fils,

Que l’hymen se conclut et que tout se dispose.

PAMPHILE.

Mon père, je suis prêt à terminer la chose.

BYRRHIE, à part.

Qu’entends-je ? que dit-il ?

DAVE, bas, à Pamphile, en lui montrant Simon.

Il demeure muet.

SIMON, à Pamphile.

Mon fils, de ce discours je suis fort satisfait.

Je n’attendais pas moins de votre obéissance ;

L’effet n’a nullement trompé mon espérance.

DAVE, à part.

J’étouffe !

BYRRHIE, à part.

Après le tour de ces mauvais railleurs,

Mon maître peut chercher une autre femme ailleurs.

SIMON, à Pamphile.

Entrez : Chrémès dans peu chez moi viendra se rendre,

Et ce n’est pas à lui, mon fils, à vous attendre.

PAMPHILE.

J’y vais.

BYRRHIE, à part.

Ô temps ! ô mœurs ! qu’êtes-vous devenus ?

SIMON, à Pamphile.

Allez, rentrez, vous dis-je, et ne ressortez plus.

Pamphile rentre chez son père, et Byrrhie s’éloigne.

 

 

Scène VII

 

SIMON, DAVE

 

DAVE, à part, et sans regarder Simon.

Il me regarde : il croit, je gagerais ma vie,

Que je reste en ce lieu pour quelque fourberie.

SIMON, à part.

Si de ce scélérat, par quelque heureux moyen,

Je pouvais...

À Dave.

À quoi donc s’occupe Dave ?

DAVE.

À rien.

SIMON.

À rien ?

DAVE.

À rien du tout, ou qu’à l’instant je meure !

SIMON.

Tu me semblais pensif, inquiet, tout à l’heure.

DAVE.

Moi ? non.

SIMON.

Tu marmottais pourtant je ne sais quoi.

DAVE.

Quel conte !... 

À part.

Il ne sait plus ce qu’il dit, par ma foi !

SIMON.

Hein ?

DAVE.

Plaît-il ?

SIMON.

Rêves-tu ?

DAVE.

Très souvent, dans les rues,

Je fais châteaux en l’air, je bâtis dans les nues ;

Et rêver de la sorte est, vous le savez bien,

Rêver à peu de chose, et, pour mieux dire, à rien.

SIMON, voyant que Dave affecte de ne te pas regarder.

Quand je te fais l’honneur de te parler, j’enrage !

Tu devrais bien, au moins, me tourner le visage.

DAVE.

Ah ! que vous voyez clair !... C’est encore un défaut

Dont je me déferai, monsieur, tout au plus tôt.

SIMON.

Ce sera fort bien fait. Une fois en ta vie...

DAVE, l’interrompant.

Vous voulez bien, monsieur, que je vous remercie ?

SIMON.

De quoi ?

DAVE.

De vos avis donnés très à propos.

SIMON.

J’y consens.

DAVE.

En effet, aller tourner le dos

Lorsque quelqu’un vous parle !

SIMON, à part.

Ah ! quelle patience !

DAVE.

C’est choquer tout-à-fait l’exacte bienséance.

SIMON.

Auras-tu bientôt fait ?

DAVE.

Une telle leçon

Me fait ouvrir les yeux de la bonne façon.

SIMON.

Oh ! tu m’avertiras quand ton oreille prête...

DAVE, l’interrompant.

Je m’en vais, je vois bien que je vous romps la tête.

SIMON.

Eh ! non, bourreau ! Viens-ça, je te veux parler.

DAVE.

Bon.

SIMON.

Oui, je te veux parler. Le veux-tu bien, ou non ?

DAVE.

Si j’avais cru, monsieur...

SIMON, l’interrompant.

Ah ! bon dieu ! quel martyre !

DAVE.

Que vous eussiez encor quelque dose à me dire,

Je me fusse gardé d’interrompre un instant...

SIMON, l’interrompant.

Eh ! ne le fais-tu pas, bourreau ! dans ce moment ?

DAVE.

Je me tairai.

SIMON.

Voyons.

DAVE.

Je n’ouvre pas la bouche.

SIMON.

Tant mieux.

DAVE.

Et me voilà, monsieur, comme une souche.

SIMON, levant son bâton.

Et moi, si je t’entends, je ne manquerai pas

Du bâton que voici de te casser les bras.

Or sus, puis-je espérer qu’aujourd’hui, sans contrainte,

La vérité pourra, sans recevoir d’atteinte,

Une fois seulement de ta bouche sortir ?

DAVE.

Qui voudrait devant vous s’exposer à mentir ?

SIMON.

Écoute, il n’est pas bon de me faire la nique.

DAVE.

Je ne le sais que trop : qui s’y frotte, s’y pique.

SIMON.

Oh bien ! cela conte, comme tu me le dis,

Cet hymen ne fait-il nulle peine à mon fils ?

N’as-tu point remarqué quelque Double en son âme,

À cause de l’amour qu’il a pour cette femme ?

DAVE.

Qui, lui ? Voilà, ma foi ! de plaisantes amours !

Ce trouble sera donc de trois ou quatre jours ?

Puis, ne savez-vous pas qu’ils sont brouillés ensemble ?

SIMON.

Brouillés ?

DAVE.

Je vous l’ai dit.

SIMON.

Non, à ce qu’il me semble.

DAVE.

Oh bien ! tout va, vous dis-je, au gré de vos souhaits.

Ils sont brouillés, brouillés, à ne se voir jamais.

Vous voyez qu’à vous plaire il fait tout son possible : 

De l’état de son cœur c’est la preuve sensible.

SIMON.

Il est vrai que j’ai lieu d’en être fort content ;

Mais il m’a paru triste, embarrassé, pourtant.

DAVE.

Ma foi ! je ne puis plus le cacher davantage :

Je crois que vous verriez au travers d’un nuage.

SIMON.

Eh bien ?

DAVE.

Vous l’avez dit, il est un peu chagrin.

SIMON.

Tu vois...

DAVE, l’interrompant.

Peste ! je vois que vous êtes bien fin.

SIMON.

Dis-moi donc ?

DAVE, hésitant.

Ce n’est rien... c’est une bagatelle...

SIMON.

Mais encor ?

DAVE.

Que se forge une jeune cervelle.

SIMON.

Quoi ! je ne puis savoir ?

DAVE.

Il conçoit de l’ennui...

Mais ne me brouillez pas, s’il vous plaît, avec lui.

SIMON.

Il ne le saura point.

DAVE.

Il dit qu’on le marie

Sans éclat ; qu’on l’expose à la plaisanterie.

SIMON.

Comment donc ?

DAVE.

« Quoi ! dit-il, personne n’est commis

« Pour prier seulement nos parents, nos amis ?

« Pour un fils, poursuit-il, rempli d’obéissance,

« Épargne-t-on les soins, autant que la dépense ? »

SIMON.

Moi ?

DAVE.

Vous. Il a monté dans son appartement.

Il y croyait trouver un riche ameublement

Il n’a pas tort, au moins... Si j’osais...

Il hésite.

SIMON.

Je t’en prie.

DAVE.

Je vous accuserais d’un peu de ladrerie.

SIMON.

Retire-toi, maraud !

DAVE, à part, en s’en allant.

Il en tient.

 

 

Scène VIII

 

SIMON, seul

 

Sur ma foi.

Je crois que ce coquin se moque encor de moi :

Ce traître, ce pendard à toute heure m’occupe.

Eh quoi ! serai-je donc incessamment sa dupe ?

Si j’allais C’est bien dit... Que sert-il de rêver ?

Bon ou mauvais, n’importe, il faut tout éprouver.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

SIMON, seul

 

Ah ! je puis maintenant, selon toute apparence,

D’un succès assuré concevoir l’espérance.

S’ils m’ont voulu jouer dans cette affaire-ci,

J’ai de quoi maintenant me moquer d’eux aussi.

S’ils sont de bonne foi, comme je le souhaite,

Dans deux heures, au plus, l’affaire sera faite...

Appelant.

Holà, Sosie, holà ?...

À part.

Bons dieux ! que de plaisirs

De voir tout réussir au gré de ses désirs !

 

 

Scène II

 

SOSIE, SIMON

 

SOSIE.

Que vous plaît-il, monsieur ?

SIMON.

Écoute des merveilles...

Lui faisant regarder autour de lui si personne ne l’écoute.

Mais ce coquin de Dave est tout yeux, tout oreilles,

Prends garde.

SOSIE.

Là-dessus n’ayez aucun soupçon.

Il n’abandonne pas un instant la maison.

Tout se fait, disent-ils, au gré de leur envie :

Ils n’ont jamais été si contents de leur vie.

SIMON.

Tel qui rit le matin pleure à la fin du jour ;

Et le proverbe dit que chacun à son tour.

SOSIE.

Eh ! comment donc ?

SIMON.

Je suis au comble de la joie.

SOSIE.

Quel est enfin ce bien que le ciel vous envoie ?

SIMON.

Ce mariage feint, à plaisir inventé,

Ce conte...

SOSIE.

Eh bien ! ce conte ?

SIMON.

Est une vérité.

SOSIE.

D’un autre que de vous j’aurais peine à le croire.

SIMON.

Je te vais, en deux mois, conter toute l’histoire.

Mon fils, m’ayant promis ce que je demandais,

Et même beaucoup plus que je n’en attendais,

M’a jeté, tout d’un coup, dans quelque défiance.

J’ai prié Dave alors, avec beaucoup d’instance,

De vouloir pleinement éclaircir mes soupçons.

Le traître m’en a dit de toutes les façons,

M’a fait cent questions sur une bagatelle ;

Et le chien m’a si bien démonté la cervelle

Que dans tous ses discours je n’ai rien vu, sinon

Qu’il se moquait de moi.

SOSIE.

Tout de bon ?

SIMON.

Tout de bon.

Je chasse sur-le-champ cette maligne bête ;

Tout ému que je suis, il me vient dans la tête

De voir Chrémès. Je suis ce premier mouvement ;

J’arrive à sa maison dans cet empressement.

Les compliments rendus, je lui fais des caresses,

Cent protestations, mille et mille promesses.

J’ai tant prié, pressé, je m’y suis si bien pris

Que sa fille aujourd’hui doit épouser mon fils.

SOSIE.

Ah ! que me dites-vous ?

SIMON.

C’est la vérité pure.

Tout m’a favorisé dans cette conjoncture ;

Et tu verras dans peu Chrémès venir ici,

Voyant paraître Chrémès.

Pour conclure l’hymen... Justement, le voici.

 

 

Scène III

 

CHRÉMÈS, SIMON, SOSIE

 

SIMON, à part.

Non, je ne me sens pas !... Ô ciel ! je te rends grâce !...

À Chrémès, en l’embrassant.

Mon cher Chrémès, souffrez qu’encor je vous embrasse.

Allons, n’entrons-nous pas ?

Sosie s’éloigne.

 

 

Scène IV

 

CHRÉMÈS, SIMON

 

CHRÉMÈS.

Votre intérêt, le mien

Me font vous demander un moment d’entretien.

SIMON.

Chez moi nous seront mieux.

CHRÉMÈS.

Il n’est pas nécessaire.

Un mot est bientôt dit ; je ne tarderai guère.

SIMON.

Vous n’auriez pas changé de résolution ?

CHRÉMÈS.

Monsieur, sur tout ceci j’ai fait réflexion.

De vos empressements je n’ai pu me défendre :

J’ai donné ma parole, et je viens la reprendre.

SIMON.

Pour la seconde fois, Chrémès, y pensez-vous ?

CHRÉMÈS.

Pour la centième fois ; car enfin, entre nous,

À votre fils plongé dans le libertinage

Irais-je ainsi donner ma fille en mariage ?

C’est se moquer, tout franc ; et vous n’y songez pas

De me pousser, vous-même, à faire un mauvais pas.

Croyez, d’ailleurs, Simon, que cet effort me coûte.

SIMON.

Ah ! de grâce ! un moment.

CHRÉMÈS.

Parlez, je vous écoute.

SIMON.

Chrémès, par tous les dieux, j’ose vous conjurer,

Par l’amitié qu’en nous rien ne peut altérer,

Qui dès nos jeunes ans a commencé de naître,

Que l’âge et la raison ont formée et vu croître,

Par cette fille unique en qui vous vous plaisez,

Par mon fils, du salut duquel vous disposez,

D’accomplir cet hymen sans tarder davantage !

C’est de notre amitié le plus sur témoignage.

CHRÉMÈS.

Ah ! Simon, cachez-moi toute votre douleur :

Ce discours me saisit et me perce le cœur.

À vos moindres désirs je suis prêt à me rendre.

Du moins, à votre tour, daignez aussi m’entendre.

Voyons : si cet hymen leur est avantageux,

J’y consens ; à l’instant marions-les tous deux.

Mais quoi ! si cet hymen, que votre cœur souhaite,

Dans des gouffres de maux l’un et l’autre les jette,

Nous devons regarder la chose de plus près,

Et prendre de tous deux les communs intérêts.

Pensons donc, pour le bien et de l’un et de l’autre,

Que Pamphile est mon fils, que ma fille est la vôtre.

SIMON.

Et je le fais aussi ; je ne regarde qu’eux :

Leur bonheur est très sûr, leur malheur est douteux.

À conclure aujourd’hui, Chrémès, tout nous convie.

CHRÉMÈS.

Comment ?

SIMON.

Il ne voit plus...

CHRÉMÈS, l’interrompant.

Hé ! qui donc ?

SIMON.

Glicérie.

CHRÉMÈS.

J’entends.

SIMON.

Ils sont brouillés ; mais comptez là-dessus,

Si brouillés que je crois qu’il n’y songera plus.

CHRÉMÈS.

Fable !

SIMON.

Rien n’est plus vrai. Chrémès, je vous le jure.

CHRÉMÈS.

Ne nous arrêtons point à cette conjecture.

Simon, nous le savons, et depuis plus d’un jour,

Les piques des amants renouvellent l’amour.

SIMON.

Chrémès, n’attendons pas que cet amour renaisse,

Et profitons d’un temps qu’un bon destin nous laisse.

N’exposons plus mon fils aux charmes séducteurs,

Aux larmes, aux transports, à ces feintes douleurs,

Dont se sert avec fruit une coquette habile :

Prévenons ce malheur en mariant Pamphile.

De Philumène alors mon fils étant l’époux

Prendra des sentiments dignes d’elle et de vous.

CHRÉMÈS.

Votre amour aveuglé vous flatte et vous abuse.

Nous accordera-t-il un bien qu’il vous refuse ?

Ne nous amusons point d’un ridicule espoir.

SIMON.

Sans l’avoir éprouvé, pouvez-vous le savoir ?

CHRÉMÈS.

En vérité, Simon, l’épreuve est dangereuse !

SIMON.

Çà, je le veux, prenons que la chose est douteuse.

S’il arrivait, pourtant, ce que je ne crains pas,

Quelque désordre : eh bien ! sans faire de fracas

Nous les séparerions. Regardez, je vous prie ;

Voilà le plus grand mal. Mais, s’il change de vie,

Considérez les biens que vous nous donnerez.

D’abord notre amitié, que vous conserverez ;

En second lieu, le fils que vous rendez au père :

Pour vous un gendre acquis et soigneux de vous plaire,

À Philumène enfin un époux vertueux.

CHRÉMÈS.

Oh bien ! soit, que l’hymen les unisse tous deux.

SIMON.

Ah ! c’est avec raison, Chrémès, que je vous aime,

Je vous le dis sans fard, à l’égal de moi-même.

CHRÉMÉS.

Je vous suis obligé. Qui vous a donc appris

Que l’Andrienne enfin ne voit plus votre fils ?

SIMON.

Vous me feriez grand tort, mon cher Chrémès, de croire

Que je voulusse ici vous forger une histoire.

C’est Dave, à qui mon fils ne cache jamais rien,

Qui me l’a dit tantôt par forme d’entretien.

C’est de lui que je sais, comme chose certaine,

Le désir qu’a mon fils d’épouser Philumène.

Je m’en vais l’appeler. Cachez-vous dans ce coin ;

De tout ce qu’il dira vous serez le témoin.

CHRÉMÉS.

Je fais ce qu’il vous plaît.

SIMON, apercevant Dave.

Ah ! le voilà lui-même.

Chrémès se cache dans un coin.

 

 

Scène V

 

DAVE, SIMON, CHRÉMÈS, caché dans un coin du théâtre

 

DAVE, à Simon.

Pourquoi nous laissez-vous dans cette peine extrême ?

Il se fait déjà tard. C’est se moquer, aussi !

L’épouse ne vient point, et devrait être ici.

Nous sommes de la voir dans une impatience...

SIMON, l’interrompant.

Va, Dave, elle y sera plus tôt que l’on ne pense.

DAVE.

Elle n’y peut venir assez tôt.

SIMON.

Je le croi.

Et Pamphile ?

DAVE.

Il l’attend plus ardemment que moi.

SIMON, toussant.

Hem, hem, hem !

DAVE.

Vous toussez ?

SIMON.

Ce n’est rien.

DAVE.

Je l’espère.

Tous ces petits enfants, dont vous serez grand-père,

Auront besoin de vous. Cela donne à rêver ;

Et pour eux et pour nous il faut vous conserver.

SIMON.

Que fait mon fils ?

DAVE.

Il court, il arrange, il ordonne,

Et se donne, ma foi, plus de soin que personne.

SIMON.

Mais encor, que dit-il ?

DAVE.

Oh ! vraiment, ce qu’il dit ?...

Je crois qu’à tous moments il va perdre l’esprit.

SIMON.

Eh ! comment donc cela ?

DAVE.

Son âme impatiente

Ne saurait supporter une si longue attente.

SIMON, toussant encore.

Hem, hem !

DAVE.

Mais, cependant, ce rhume est obstiné.

SIMON.

Un peu de mouvement que je me suis donné...

Laissons... Il parle donc souvent de Philumène ?

DAVE.

C’est son petit bouchon, sa princesse, sa reine.

SIMON.

Cela me fait plaisir.

DAVE, riant.

Et le pauvre garçon

A déjà composé pour elle une chanson.

SIMON.

Je pense que tu ris ?

DAVE.

Il faut bien que je rie ;

Je n’ai jamais été plus joyeux de ma vie.

SIMON.

Dave, il faut maintenant t’avouer mon secret.

J’avais toujours de toi craint quelque mauvais trait,

Et l’amour de mon fils avec cette étrangère

Me rendait défiant ; je ne puis plus le taire.

DAVE.

Moi, vous tromper ? Bons dieux ! que me dites-vous là ?

Je ne suis vraiment pas capable de cela.

SIMON.

Je l’ai cru. Maintenant que ton zèle m’impose,

Je te vais découvrir ingénument la chose.

DAVE.

Quoi donc ?

SIMON.

Tu le sauras, car je me fie à toi.

DAVE.

J’aimerais mieux cent fois...

SIMON, l’interrompant.

C’est assez, je te croi.

L’hymen en question ne se devait point faire.

DAVE.

Comment ?

SIMON.

Pour vous tromper j’ai fait tout ce mystère.

DAVE.

Que me dites-vous là ?

SIMON.

Que la chose est ainsi.

DAVE.

Non, je n’eusse jamais deviné celui-ci...

Ah ! que vous en savez !

CHRÉMÈS, à Simon, en sortant du lieu où il était caché.

C’est trop longtemps attendre,

Et j’en sais beaucoup plus qu’il n’en fallait entendre.

Je vais chercher ma fille, et l’amener chez vous.

Il s’en va.

 

 

Scène VI

 

SIMON, DAVE

 

SIMON.

Tu comprends bien ?

DAVE, à part.

Ah ciel ! où nous fourrerons-nous ?

SIMON.

Et, sans te fatiguer d’inutile redite,

Tu vois de tout ceci la naissance et la suite.

DAVE.

Il ne m’échappe rien, monsieur, je comprends tout.

SIMON.

Je te le veux conter de l’un à l’autre bout.

DAVE.

Ne vous fatiguez point.

SIMON.

Je veux...

DAVE, l’interrompant.

Je vous en prie.

SIMON.

Mais, du moins, il faut bien que je te remercie.

Ce mariage, enfin, dont je me sais bon gré,

C’est toi, Dave, c’est toi qui me l’es procure.

DAVE, à part.

Ah ! je suis mort !

SIMON.

Plaît-il ?

DAVE.

Fort bien ! le mieux du monde !

SIMON.

Et je m’en souviendrai.

DAVE, à part.

Que le ciel te confonde !

SIMON.

Que murmures-tu là, tout bas, entre tes dents ?

DAVE.

Il m’a pris tout d’un coup des éblouissements.

SIMON.

Cela se passera. Désormais fais en sorte

Que mon fils dans l’hymen sagement se comporte.

DAVE.

Allez, vous n’en aurez que du contentement.

SIMON.

Dave, mieux que jamais tu le peux maintenant.

L’Andrienne et Pamphile étant brouillés ensemble,

C’est pour ce mariage un grand bien, ce me semble ?

DAVE.

Reposez-vous sur moi, puisque je vous le dis.

SIMON.

N’est-il pas à présent ?...

DAVE, l’interrompant.

Il est dans le logis.

SIMON.

Je m’en vais le trouver ; cette affaire le touche.

Il faut de tout ceci l’instruire par ma bouche.

Il rentre chez lui.

 

 

Scène VII

 

DAVE, seul

 

Où suis-je ? où vais-je ?... Hélas ! quel destin est le mien ?

Je ne me connais plus, et je suis moins que rien.

Ne pourrai-je obtenir, par grâce singulière,

Qu’on me jette dans l’eau, la tête la première ?

Je l’entreprendrais bien ; mais, malheureux en tout,

J’y ferais mes efforts sans en venir à bout.

Quelque mauvais démon, par quelque diablerie,

Me retiendrait en l’air, pour conserver ma vie.

Que deviendrai-je donc ?... Je suis bien avancé !

J’ai tout perdu, brouillé ; j’ai tout bouleversé.

Sans en tirer de fruit, j’ai trompé mon vieux maître.

Dans ces noces, enfin, qui ne dévoient point être,

Misérable ! j’embarque et j’engage son fils,

Malgré tous ses conseils, que je n’ai point suivis...

Si je puis revenir du danger qui me presse,

Je fais vœu désormais à la sainte paresse

De chercher le repos et la tranquillité

Au fond de la mollesse et de l’oisiveté.

Pour lors je passerai, sans trouble, sans affaire,

La nuit à bien dormir, le jour à ne rien faire.

Finesse, ruse, fourbe, adresse, activité,

Tant de soins, tant de pas que m’ont-ils rapporté ?

Si j’eusse demeuré dans une paix profonde,

Maintenant nous serions les plus heureux du monde...

Ah ! je le vois... grands dieux ! c’en est fait, et je crois

Qu’il me va voir ici pour la dernière fois.

 

 

Scène VIII

 

PAMPHILE, DAVE

 

PAMPHILE, à part, sans voir d’abord Dave.

Où trouverai-je donc ce scélérat, ce traître ?

DAVE, à part.

Je me meurs !

PAMPHILE, à part.

À mes yeux osera-t-il paraître ?

Des rigueurs du destin je n’ose murmurer.

Des conseils d’un maraud que pouvais-je espérer ?

Mais il partagera le tourment que j’endure.

DAVE, à part.

Si je puis échapper d’une telle aventure,

Je ne dois désormais plus craindre pour mes jours.

PAMPHILE, à part.

Que dirai-je à mon père ?... Il n’est plus de secours,

Moi qui lui paraissais rempli d’obéissance,

De changer à ses yeux aurai-je l’insolence ?

Que faire ?... Je ne sais.

DAVE, à part.

Ni moi, de par les dieux !...

Et, cependant, en vain j’y rêve de mon mieux.

PAMPHILE, apercevant Dave.

Ah ! c’est vous ?

DAVE, à part.

Il me voit.

PAMPHILE.

Effronté ! misérable !

Eh bien ! où me réduit ton conseil détestable ?

Dans quel abîme affreux...

DAVE, l’interrompant.

Je vous en tirerai.

PAMPHILE.

Tu m’en retireras ?

DAVE.

Ou bien j’y périrai.

PAMPHILE.

Oui, comme tu l’as fait, double chien ! tout à l’heure.

DAVE.

Non, je m’y prendrai mieux, Pamphile, que je meure !

PAMPHILE.

Quoi donc ! je me fierais encore à toi, bourreau !

À toi qui m’as tendu cet horrible panneau ?

Ne t’avais-je pas dit qu’il valait mieux se taire ?

DAVE.

Oui, vous me l’aviez dit.

PAMPHILE.

Que te faut-il donc faire ?

DAVE.

Me pendre. Mais, avant cette exécution,

Donnez-moi quelque temps pour la réflexion.

Il ne faut qu’un moment pour nous tirer d’affaire.

PAMPHILE.

Non, je n’entends plus rien qui ne me désespère.

Infâme ! tu peux bien t’apprêter à mourir ;

Mais je veux y rêver pour te faire souffrir.

 

 

Scène IX

 

CARIN, PAMPHILE, DAVE

 

CARIN, à Pamphile.

Ose-t-on le penser ? oserait-on le croire ?

Peut-on exécuter une action si noire ?

PAMPHILE, montrant Dave.

Je suis au désespoir, Carin : ce malheureux,

En voulant nous servir, nous a perdus tous deux.

CARIN.

En voulant nous servir ? Le prétexte est honnête !

PAMPHILE.

Comment ?

CARIN.

À ces discours croit-on que je m’arrête ?

PAMPHILE.

Que veut dire ceci ?

CARIN.

Mon malheureux amour

A fait un changement bien cruel en un jour.

Vous abandonnez donc cette pauvre Andrienne ?

Hélas ! je vous croyais l’âme comme la mienne.

PAMPHILE.

Cela n’est point ainsi, vous dis-je ; croyez-moi.

CARIN.

Le plaisir n’était pas assez grand, je le voi,

Si vous ne me flattiez d’une fausse espérance.

Épousez Philumène.

PAMPHILE.

Une vaine apparence

Vous abuse, Carin...

Montrant Dave.

Vous ne comprenez pas

Que c’est ce malheureux qui fait notre embarras,

Il devient mon bourreau. Mes intérêts, les vôtres...

CARIN, l’interrompant.

Vous traite-t-il plus mal que vous traitez les autres ?

PAMPHILE.

Si vous me connaissiez, ou l’amour que je sens,

Je vous verrais bientôt changer de sentiments.

CARIN.

Ah ! je vois ce que c’est : malgré l’ordre d’un père,

Malgré tous ses discours et toute sa colère,

Il n’a pu vous contraindre enfin à l’épouser ?

PAMPHILE.

Écoutez ; un moment va vous désabuser.

On ne me forçait point de prendre Philumène.

CARIN.

Et vous la prenez donc pour jouir de ma peine ?

PAMPHILE.

Attendez.

CARIN.

Mais enfin l’épousez-vous, ou non ?

PAMPHILE.

Vous me faites mourir !...

Montrant Dave.

Ce méchant, ce fripon

M’a tant prié, pressé d’aller dire à mon père

Qu’en tout absolument je voulais lui complaire,

Qu’il a fallu céder, après un long débat.

CARIN.

Qui vous l’a conseillé ?

PAMPHILE, montrant Dave.

Ce chien, ce scélérat !

CARIN.

Dave ?

PAMPHILE.

Dave a tout fait.

CARIN.

Eh ! pourquoi ?

PAMPHILE.

Je l’ignore.

CARIN, à Dave.

Dave, as-tu fait cela ?

DAVE.

Je l’ai fait.

CARIN.

Ciel ! encore ?

Montrant Pamphile.

Eh quoi ! le plus mortel de tous ses ennemis

Pouvait-il inventer quelque chose de pis ?

DAVE.

Je me suis abusé, monsieur, je vous l’avoue ;

Ainsi de nos projets la fortune se joue.

Je ne suis pourtant point tout-à-fait abattu.

Laissez-moi respirer.

PAMPHILE.

Eh bien ! que feras-tu ?

Parle vite ; il est temps.

DAVE.

Ce que je me propose

Pourrait déjà donner un grand branle à la chose.

PAMPHILE.

Enfin, nous diras-tu ?...

DAVE, l’interrompant.

Je n’ai pas commencé.

Il unit me pardonner d’abord tout le passé.

CARIN.

Soit.

PAMPHILE.

          Ah ! si je remets en ses mains ma fortune,

Je serai marié quatre fois au lieu d’une.

DAVE, après avoir un peu rêvé.

Je le tiens... C’en est fait, nous serons tous contents.

Vous entendrez parler de moi dans peu de temps.

PAMPHILE.

Quoi ! nous ne saurons point ?...

DAVE, l’interrompant.

Allez, laissez-moi faire.

Je veux avoir, moi seul, l’honneur de cette affaire.

Si je ne réussis selon votre désir.

Vous me pendrez après, tout à votre loisir.

PAMPHILE.

Remets-nous dans l’état où nous étions.

DAVE.

J’enrage ! Allez, je vous réponds d’en faire davantage.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

MISIS, seule

 

Ah ciel ! qui vit jamais vin tel empressement ?

« Allez, soyez ici dans le même moment.

« Marchez, courez, volez ; faites toute la ville,

« Et ne revenez pas sans amener Pamphile... »

Cet ordre me paraît très facile à donner ;

Mais pour l’exécuter de quel côté tourner ?...

Voyant paraître Dave.

Dave vient à propos : il nous dira, peut-être,

Ce que dit, ce que fait, où se cache son maître.

 

 

Scène II

 

DAVE, MISIS

 

MISIS.

Pamphile veut-il donc la mettre au désespoir ?

Peut-elle, sans mourir, être un jour sacs le voir ?

DAVE.

Misis, ma chère enfant, en un mot, comme en mille,

C’en est fait, pour le coup, il n’est plus de Pamphile.

MISIS.

Qu’est-il donc arrivé ?

DAVE.

C’est un traître, un ingrat,

Un imposteur, un fourbe, un lâche, un scélérat.

MISIS.

Abandonnerait-il la pauvre Glicérie ?

DAVE.

Il l’abandonne.

MISIS.

Ah ciel !

DAVE.

Ce soir on le marie.

MISIS.

Glicérie en mourra.

DAVE.

Moi, j’en suis presque mort.

MISIS.

Quoi donc ! y consent-il ?

DAVE.

Il y consent très fort.

MISIS.

Dave, tu t’es trompé, cela n’est pas croyable.

DAVE.

Je ne t’ai jamais rien dit de plus véritable.

MISIS.

Et les dieux permettront qu’une telle action ?...

DAVE, l’interrompant.

Eh ! ce n’est pas cela dont il est question.

MISIS.

Pour le punir est-il une assez rude peine ?

DAVE.

Non.

MISIS.

Il aura le front d’épouser Philumène ? 

DAVE.

Oui.

MISIS.

Qu’as-tu dit, enfin, qu’as-tu fait là-dessus ?

DAVE, hésitant.

J’ai dit... J’ai fait...

MISIS.

En bien ?

DAVE.

Cent discours superflus.

MISIS.

Eh ! que te répond-il ?

DAVE.

Planté comme une idole,

Il n’ose proférer une seule parole.

MISIS.

Il ne te parle point ?

DAVE.

Il est comme un benêt,

Et m’entend sans souffler dire ce qui me plaît.

MISIS.

Pas un mot ?

DAVE.

Pas un mot.

MISIS, voulant l’emmener.

Allons voir Glicérie.

DAVE, la retenant.

Ma chère enfant, Simon n’entend point raillerie.

Je n’en ai que trop fait ; je viens vous avertir...

Bon dieu ! si de chez vous on me voyait sortir...

MISIS, l’interrompant.

Eh ! tu me parles bien au milieu de la rue ?

DAVE.

Je puis dire que c’est une chose imprévue.

MISIS, en s’en allant.

Ne t’écarte donc pas ; je reviens.

DAVE.

Je t’attends.

 

 

Scène III

 

CRITON, DAVE

 

CRITON, à part.

Perdrai-je à la chercher bien des pas et du temps ?

DAVE, à part, en apercevant Criton.

Voici quelque étranger.

CRITON, à part.

Oui, c’est dans cette place.

DAVE, à part.

À qui donc en veut-il ?

CRITON.

Me ferez-vous la grâce

De vouloir, s’il vous plaît, m’enseigner le logis

De Glicérie, ou bien de la sœur de Chrysis ?

DAVE, lui montrant la maison où demeure Glicérie.

Vous voilà maintenant, monsieur, devant sa porte.

Pour Chrysis, vous savez ?...

CRITON, l’interrompant.

Oui, je sais qu’elle est morte.

Vous la connaissiez donc ?

DAVE.

Si je la connaissais ?

J’étais son serviteur, monsieur, et l’honorais

Comme elle méritait.

CRITON.

Elle était Andrienne ?

DAVE.

Je le sais.

CRITON.

Et, de plus, ma cousine germaine ;

Et je viens, tout exprès, prendre possession

De ce qui m’appartient de sa succession :

Car j’ai lieu d’espérer que déjà Glicérie,

Rendue heureusement au sein de sa patrie,

A recouvré son bien et ses parents aussi ?

DAVE.

Elle est comme elle était en arrivant ici,

Sans parents et sans bien, monsieur, je vous le jure.

CRITON.

Ah ! que j’en suis facile !... La pauvre créature !...

Si j’eusse su cela, loin de partir d’Andros,

J’y serais demeuré, chez moi, bien en repos.

Tout le monde la croit la sœur de ma parente ;

Sous ce titre elle a pris et le fonds et la rente.

Étranger, moi, que j’aille intenter un procès ?

Je n’en dois espérer qu’un malheureux succès,

Glicérie est fort jeune ; elle doit être belle :

Tous ses amants iront solliciter pour elle.

Ils diront que je suis un fourbe, un affronteur,

Qui, n’ayant aucun bien, vient usurper le leur.

Quand toutes ces raisons ne seraient pas valables,

Ne doit-on pas toujours aider les misérables ?

DAVE.

Oh ! par ma foi ! monsieur, dont j’ignore le nom...

CRITON, l’interrompant.

Eh bien ! mon cher enfant, on m’appelle Criton.

DAVE.

Monsieur Criton, donc, soit ; un aussi galant homme

Ne se trouverait pas d’Athènes jusqu’a Rome.

CRITON.

Je vous suis obligé de ces boas sentiments.

DAVE.

Ce ne sont point ici de mauvais compliments.

CRITON.

Vous m’avez bien instruit : je vous en remercie ;

Et dans un autre esprit je vais voir Glicérie.

DAVE, voyant paraître Glicérie.

Eh ! la voilà qui sort, la pauvre femme !

CRITON.

Hélas !

 

 

Scène IV

 

GLICÉRIE, MISIS, ARQUILLIS, CRITON, DAVE

 

GLICÉRIE, à part, en reconnaissant Criton, avec étonnement, et lui tendant les bras.

Ô Ciel ! je vois Criton !

DAVE, à Criton.

Elle vous tend les bras.

CRITON, à Glicérie.

C’est vous, ma chère enfant ?

GLICÉRIE, pleurant.

C’est cette infortunée

Aux rigueurs des destins toujours abandonnée.

CRITON.

Ah ! que le ciel ici me conduit à propos !

Allons, ne tardons point, retournons voir Andros.

Tous mes enfants sont morts ; je n’ai plus de famille :

Venez, vous y serez comme ma propre fille...

Quel pitoyable état ! Les yeux baignés de pleurs,

Languissante, abattue.

GLICÉRIE.

Ah ! Criton, je me meurs !

CRITON.

Pourquoi vous levez-vous ?

GLICÉRIE.

Une importante affaire

M’oblige de sortir... Je ne tarderai guère...

À Arquillis, en lui montrant Criton.

Conduisez-le, Arquillis, dans mon appartement...

À Criton.

Reposez-vous ; je suis à vous dans un moment.

CRITON.

Qu’un destin plus heureux vous guide et vous conduise,

Et qu’en tous vos desseins le ciel vous favorise !

Criton entre dans la maison de Glicérie, avec Arquillis.

 

 

Scène V

 

CLICÉRIE, DAVE, MISIS

 

GLICÉRIE, à Dave.

Dave, tu vois l’état où Chrysis m’a réduit.

De ce beau mariage enfin voilà le fruit !

Carin n’est que trop vrai, Pamphile m’abandonne.

DAVE.

Je ne le comprends pas.

GLICÉRIE.

Et, pour moi, je m’étonne,

Vu le peu que je vaux, que mes faibles appas

Aient pu le retenir si longtemps dans mes bras.

Son amour fut l’effet d’un aveugle caprice ;

À mon peu de mérite il a rendu justice.

Sans parents, sans amis, sans naissance, sans bien,

Je n’ai pas du prétendre un cœur comme le sien.

Fuyons l’éclat ; sans bruit, rompons ce mariage...

À des égards, au moins, ma tendresse l’engage.

En tout soumise aux lois qu’il voudra ni imposer...

DAVE, l’interrompant.

À ces visions-là faut-il vous amuser ?

Oui-dà, dans un roman ce discours, avec grâce,

Ingénieusement pourrait trouver sa place ;

Mais les contes en l’air ne sont plus de saison :

Il faut parler, madame, et sur un autre ton.

MISIS, à Glicérie.

Ne vous abusez plus, laissez là ces chimères,

Et sérieusement pensez à vos affaires.

GLICÉRIE.

Je ne puis plus longtemps supporter mon ennui.

Le ciel me rend Criton, et je pars avec lui.

Il faut, loin de ces lieux, chercher une retraite,

Et pleurer à loisir la faute que j’ai faite.

DAVE.

Prête à perdre l’époux qu’on veut vous arracher,

Quoi ! vous ne ferez pas un pas pour l’empêcher ?

MISIS, à Glicérie.

Avant que de quitter ces objets de colère,

Il nous reste en ces lieux bien des choses à faire.

GLICÉRIE.

Hélas ! que puis-je encor ?

DAVE.

Vous taire, m’écouter,

Recevoir mes conseils, et les exécuter.

MISIS, à Glicérie.

Employer hardiment et l’honnête et l’utile,

Afin de conserver votre honneur et Pamphile.

GLICÉRIE.

Hélas ! après des soins inutilement pris,

Je ne remporterai que honte et que mépris.

MISIS.

Si rien ne réussit, si tout nous désespère,

Nous ferons enrager le père, le beau-père,

La bru, le gendre encore ; et, sans autre façon ;

Il faut les aller tous brûler dans leur maison.

Allez, de ce projet laissez-moi la conduite.

Songeons à nous venger ; nous partirons ensuite.

GLICÉRIE.

De semblables discours augmentent mes ennuis,

Et ne conviennent point à l’état où je suis.

DAVE.

Mais, madame, en un mot, que prétendez-vous faire ?

GLICÉRIE.

Fuir, pleurer, et cacher ma honte et ma misère.

DAVE.

Prenez des sentiments plus justes et plus doux :

Eh ! de grâce, une fois, madame, écoutez-nous.

MISIS, à Glicérie, qui détourne la tête.

Mais écoutez-le au moins... Pour moi, je vous admire.

GLICÉRIE.

Eh quoi ! ne sais-je pas tout ce qu’il me veut dire ?

DAVE.

Ah ! juste ciel !

GLICÉRIE.

Il veut que je parle à Simon,

Et que j’aille à ses pieds lui demander...

DAVE.

Eh non !

Il s’en faut bien garder. C’est à Chrémès, madame,

Que vous devez ouvrir votre cœur et votre âme ;

Le porter, l’exciter à la compassion,

De Pamphile avec vous déclarer l’union,

Et lui dire surtout, mais qu’il vous en souvienne,

Que, très certainement, vous êtes citoyenne.

Conjurez-le, pressez-le, embrassez ses genoux ;

Demandez-lui s’il veut vous ôter votre époux :

Du saint nœud qui vous joint faites-lui voir le gage,

Et de fréquents soupirs ornez votre langage.

Si vous vous y prenez de la sorte, soudain

Vous lui ferez tomber les armes de la main ;

Pour la troisième fois il rompra cette affaire,

Et sera prêt, lui-même, à vous servir de père.

GLICÉRIE.

Je veux bien me soumettre encore à tes avis,

Dave ; de point en point tu les verras suivis :

Mais si le sort se montre à mes désirs contraire,

Dès demain je m’impose un exil volontaire.

DAVE.

Allez, tout ira bien ; oui, je vous le promets,

Et mes pressentiments ne me trompent jamais.

Le foudre menaçant gronde sur notre tête ;

Mais le calme toujours succède à la tempête...

Pour plus d’une raison il est bon qu’en ce lieu

Ou ne nous trouve point tous trois ensemble. Adieu.

Il s’éloigne.

 

 

Scène VI

 

GLICÉRIE, MISIS

 

GLICÉRIE, à part.

Soulage mes douleurs, ciel, je te le demande.

MISIS.

Retenez bien cela, mais que Chrémès l’entende.

Allons-nous-en chez lui ; point de retardement.

CLICÉRIE.

Ah ! du moins laisse-moi respirer un moment.

MISIS.

Songez à vous tirer d’un embarras funeste ;

Il faut pour respirer avoir du temps de reste.

GLICÉRIE.

Ne prends-tu point pitié de l’état où je suis ?

Misis, crois-moi, je fais bien plus que je ne puis.

MISIS.

Là, ne nous fâchons point... Mais, dites-moi, de grâce,

Serons-nous tout le jour dans cette même place ?

GLICÉRIE.

Çà donne-moi la main ; allons, Misis...

À part.

Grands dieux,

Sur l’excès de mes maux daignez jeter les yeux...

À Misis, en voyant ouvrir la porte de la maison à Simon.

Ah ! Misis, que je crains !... on ouvre cette porte.

MISIS.

Vous craignez ?

GLICÉRIE.

Que Simon ou ne rentre ou ne sorte.

MISIS.

Eh ! laissons-le rentrer ou sortir, et passons.

GLICÉRIE.

Ah ! ma chère Misis, un instant demeurons.

 

 

Scène VII

 

SIMON, SOSIE, GLICÉRIE, MISIS

 

SIMON, à Sosie dans le fond.

Allez, ne tardez pas, dépêchez-vous, Sosie ;

Amenez Philumène et Chrémès, je vous prie.

Dites-lui qu’on l’attend avec empressement.

Simon rentre chez lui, et Sosie s’éloigne.

 

 

Scène VIII

 

GLICÉRIE, MISIS

 

GLICÉRIE, à part.

Ô ciel ! quel coup de foudre et quel triste moment !

Tous mes sens sont troublés, et je sens que mon âme...

 

 

Scène IX

 

DAVE, GLICÉRIE, MISIS

 

DAVE, bas, à Glicérie.

Allons, préparez-vous, voici Chrémès, madame.

Il s’en va.

 

 

Scène X

 

CHRÉMÈS, GLICÉRIE, MISIS

 

MISIS, bas, à Glicérie.

Vous hésitez ? Il n’est plus temps de reculer.

Le sort en est jeté, madame, il faut parler...

Il vient, de votre cœur qu’il sache les alarmes.

Jetez-vous à ses pieds, baignez-les de vos larmes.

GLICÉRIE, à Chrémès, en se jetant à ses pieds.

Permettez-moi, monsieur, d’embrasser vos genoux,

Et de vous demander...

CHRÉMÈS, l’interrompant, et voulant la relever.

Madame, levez-vous.

GLICÉRIE.

Laissez-moi ; cet état convient à ma disgrâce.

CHRÉMÈS.

Madame, levez-vous, ou je quitte la place.

GLICÉRIE, se relevant.

Il faut vous obéir, puisque vous le voulez.

CHRÉMÈS.

Çà, de quoi s’agit-il ? Je vous entends, parlez.

GLICÉRIE, hésitant.

Pamphile, qui doit être aujourd’hui votre gendre...

CHRÉMÈS.

Eh bien ?

GLICÉRIE.

C’est mon époux.

CHRÉMÈS.

Que venez-vous m’apprendre ?

GLICÉRIE,
tirant de sa poche son contrat de mariage, et le lui présentant.

Tenez, lisez, voilà des gages de sa foi...

Montrant Misis.

De plus, j’ai pour témoins les dieux, Misis et moi.

Vous, en qui je crois voir un protecteur, un père,

Ne m’abandonnez pas à toute ma misère.

En m’ôtant mon époux vous me donnez la mort.

Vous pouvez, d’un seul mot, faire changer mon sort.

C’est donc entre vos mains qu’aujourd’hui je confie

Mon repos, mon bonheur, ma fortune et ma vie.

CHRÉMÈS, à part, en examinant te contrat.

Que veut dire ceci ?... Je tremble, et dans mon cœur

Un secret mouvement me parle en sa faveur.

 

 

Scène XI

 

DAVE, CHRÉMÈS, GLICÉRIE, MISIS

 

DAVE, à la cantonade.

Eh ! messieurs les nigauds ! eh bien ! c’est un homme ivre.

Pourquoi le harceler ? Cessez de le poursuivre...

À Glicérie et à Misis, avec une brusquerie feinte.

Peste soit des benêts !... Ah ! mesdames, c’est vous ?

Vous pourriez apporter du trouble parmi nous.

Détalez promptement. Vite, qu’on se retire.

GLICÉRIE, à Misis.

Misis, entendez-vous ce qu’il ose me dire ?

MISIS, à Dave.

Songes-tu bien, pendard ?...

DAVE, l’interrompant.

Ces cris sont superflus ;

Rendez-moi ce contrat, et qu’on n’en parle plus.

MISIS, à Glicérie.

Il rêve, il extravague.

DAVE, à Glicérie.

Un pareil mariage

Est, vous le savez bien, un conte, un badinage.

D’ailleurs, vous gagnerez dans un tel changement.

Vous perdrez un époux, conservant un amant.

Pamphile vous verra sans crainte, sans mystère,

Lorsque...

CHRÉMÈS, à part, après avoir examiné le contrat.

Je m’embarquais dans une belle affaire !

DAVE, avec une feinte surprise.

Qu’entends-je ?

CHRÉMÈS, à part.

Ah ! juste ciel ! quel horrible malheur !

DAVE.

Je ne me trompe point !... Eh quoi ! c’est vous, monsieur ?

Mais que faites-vous donc avec cette Andrienne ?

Bon dieu ! de l’écouter vous donnez-vous la peine ?

GLICÉRIE.

Quoi ! toi-même, méchant ! pour séduire mon cœur...

DAVE, l’interrompant.

Que vient-elle conter ?

MISIS, à Glicérie.

Le fourbe ! l’imposteur !

DAVE, à Chrémès.

N’a-t-elle pas juré qu’elle était citoyenne ?

GLICÉRIE.

Oui, je le suis.

DAVE, à Chrémès.

Pour peu qu’elle vous entretienne,

Elle vous en dira de toutes les façons ;

Mais vous, prenez cela pour autant de chansons.

CHRÉMÈS, montrant le contrat.

Le contrat que voici n’est pas une chimère.

DAVE.

Il est vrai ; mais enfin ce n’est pas une affaire :

En deux heures, au plus, on casse tout cela.

CHRÉMÈS.

Mais qu’ai-je affaire, moi, de cet embarras-là ?

DAVE.

Vous imaginez-vous qu’elle soit citoyenne ?

CHRÉMÈS, voulant rentrer chez Simon.

Qu’elle le soit ou non, ma fille Philumène

N’aura point pour époux Pamphile ; et je m’en vais...

DAVE, le retenant.

Mais vous n’y songez pas ?

CHRÉMÈS.

Il ne l’aura jamais.

DAVE.

Ah ! monsieur...

CHRÉMÈS, l’interrompant.

C’en est trop.

DAVE.

Écoutez, je vous prie.

CHRÉMÈS, voulant encore entrer chez Simon.

Retire-toi, te dis-je ; et, sans cérémonie...

DAVE, le retenant toujours.

Quoi ! vous voulez encor ?

CHRÉMÈS.

Je veux ce qu’il me plaît.

DAVE.

Mais vous ne savez pas la chose comme elle est.

CHRÉMÈS.

Ah ! je n’en sais que trop.

DAVE.

Que je vous parle.

CHRÉMÈS, levant son bâton et le menaçant.

Arrête,

Ou bien de ce bâton je te casse la tête.

DAVE.

Tuez-moi.

CHRÉMÈS.

Ce maraud veut me pousser à bout.

DAVE.

Allez où vous voudrez, je vous suivrai partout.

Chrémès entre chez Simon, et Dave le suit.

 

 

Scène XII

 

GLICÉRIE, MISIS

 

GLICÉRIE.

De tous les malheureux, non, le plus misérable

N’a jamais éprouvé d’infortune semblable !...

Quoi ! Misis, je me vois, et dans un même jour,

Trahir, persécuter, insulter tour à tour.

Au milieu de mes maux, j’ai souffert sans colère

La trahison du fils et l’injure du père ;

J’ai demeuré muette à toutes mes douleurs :

Un esclave à présent me fait verser des pleurs.

 

 

Scène XIII

 

PAMPHILE, GLICÉRIE, MISIS

 

PAMPHILE, à part, et sans voir d’abord Glicérie et Misis, et sans en être vu.

Ah ! fuyons... Puisque Dave a trompé mon attente,

C’est ma seule ressource, il faut que je la tente.

GLICÉRIE, à part.

Quel sort !

 

 

Scène XIV

 

DAVE, PAMPHILE, GLICÉRIE, MISIS

 

DAVE, à part.

Puisqu’envers nous le ciel est adouci,

Retournons, et voyons ce qui se passe ici.

PAMPHILE, à Glicérie, en l’apercevant.

Quoi ! c’est vous ?

GLICÉRIE.

À mes yeux, ingrat ! peux-tu paraître ?

MISIS, à Dave, qu’elle aperçoit.

Ah ! te voilà, bourreau !... Je t’étranglerai, traître !

GLICÉRIE, à Pamphile.

Lâche !

PAMPHILE.

Qu’injustement vous soupçonnez mon cœur !

MISIS, à Dave.

Ô chien !

DAVE.

Moi, qui deviens votre libérateur ?

GLICÉRIE, à Pamphile.

Va, monstre !

PAMPHILE.

Y songez-vous, ma chère Glicérie ?

MISIS, à Dave.

Je te veux...

DAVE, à Misis, qui se veut jeter sur lui.

Arrêtez, madame la furie !

Nous n’avons pas le temps de quereller en vain.

Remettons, s’il vous plaît, les procès à demain...

À Pamphile et à Glicérie.

Pour vous servir tous deux, j’ai fait une imposture...

À Pamphile.

J’ai dit que vous étiez un ingrat, un parjure...

Montrant Glicérie.

Devant Chrémès aussi je viens de l’insulter :

La fourbe sans cela ne pouvait subsister.

MISIS.

Maraud ! tu nous as fait une frayeur mortelle.

DAVE.

La chose en a paru beaucoup plus naturelle.

Chacun de vous a fait son rôle, mais fort bien,

Et je crois que l’on doit être content du mien.

Après bien des travaux, des soins et de la peine,

Je crois que nous aurons le temps de prendre haleine.

PAMPHILE.

Ah ! Dave !...

DAVE.

Les discours ne sont pas de saison...

Rentrons tous : vous saurez le reste à la maison.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

CHRÉMÈS, SIMON

 

CHRÉMÈS.

Mon amitié, Simon, et solide et sincère,

En a fait beaucoup plus qu’il n’était nécessaire.

Pour le bien de ma fille, enfin, grâces aux dieux,

Le hasard assez tôt m’a fait ouvrir les yeux.

Ne me parlez donc plus d’hymen, de votre vie.

SIMON.

Je ne cesserai point. Chrémès, je vous supplie

De conclure au plus tôt ; vous me l’avez promis.

CHRÉMÈS.

En vérité, monsieur, cela n’est pas permis.

À l’injuste désir, au soin qui vous possède,

Aveuglément soumis, il faudra que je cède ?

Sous les dehors trompeurs d’une vaine amitié,

Vous viendrez m’égorger, sans égards, sans pitié ?

Allez, pensez-y mieux. L’amitié qui nous lie

De moi n’exige point une telle folie.

SIMON.

Eh ! comment donc ?

CHRÉMÈS.

Cela se peut-il demander ?

À vos empressements obligé de céder,

le prenais pour mon gendre (oh le beau mariage !)

Un homme que l’on sait qu’un autre amour engage,

Et j’exposais ma fille à toutes les douleurs,

Aux troubles, au divorce, à mille autres malheurs ;

Et voulant retirer votre fils de l’abime,

Ma fille en devenait l’innocente victime.

À la chose, en un mot, je n’ai point résisté

Tant que j’ai cru la voir par un certain côté.

Je vous ai tout promis quand elle était faisable ;

Mais, enfin, aujourd’hui qu’elle est impraticable,

Ne perdez plus le temps en propos superflus.

C’est trop ; épargnez-vous la honte d’un refus.

Cette femme, bien plus, est, dit-on, citoyenne.

SIMON.

Est-ce là, dites-moi, ce qui vous met en peine ?

Quoi ! vous arrêtez-vous à de pareils discours ?

De ces sortes de gens voilà tous les détours.

Elles ont inventé cette fourbe, et bien d’autres,

Pour rompre absolument mes desseins et les vôtres ;

Si Philumène était liée avec mon fils,

Tous ces contes en l’air seraient bientôt finis.

CHRÉMÈS.

Il a, vous le savez, épousé Glicérie ?

SIMON.

Ah ! ne le croyez pas, monsieur, je vous en prie.

CHRÉMÈS.

Mais, j’ai vu le contrat.

SIMON.

Vision !

CHRÉMÈS.

Je l’ai vu.

SIMON.

Cela ne se peut point ; elles vous ont déçu.

CHRÉMÈS.

J’ai bien vu plus encor. Tantôt cette Andrienne

À Dave soutenait qu’elle était citoyenne :

Ils se sont querellés ; mais, vraiment, tout de bon !

SIMON.

Chanson que tout cela, mon cher Chrémès, chanson !

 

 

Scène II

 

DAVE, sortant de chez Glicérie, CHRÉMÈS, SIMON

 

DAVE, à la cantonade, sans voir d’abord Simon, ni Chrémès.

Soyez tous en repos, allez, je vous l’ordonne.

CHRÉMÈS, bas, à Simon.

Dave sort de chez elle.

SIMON, bas.

Ah ! bons dieux !

CHRÉMÈS, bas.

Je m’étonne...

DAVE, à la cantonade.

Et bénissez les dieux, cet étranger et moi.

SIMON, bas, à Chrémès.

Je ne puis vous cacher mon trouble et mon effroi.

DAVE, à la cantonade.

Jamais homme ne vint plus à propos, je meure !

SIMON, bas, a Chrémès.

Qui vante-t-il si fort ? Sachons-le tout à l’heure.

DAVE, à la cantonade.

Entre leurs jours heureux qu’ils comptent celui-ci.

SIMON, bas, à Chrémès.

Je m’en vais lui parler.

DAVE, à part, en apercevant Simon et Chrémès.

C’est mon maître, c’est lui :

Il m’aura vu sortir... Dans quelle peine extrême...

SIMON, l’interrompant.

C’est vous, le beau garçon ?

DAVE.

Oui, monsieur, c’est moi-même...

Voilà Chrémès encore, et je vous vois aussi.

Je me réjouis fort de vous trouver ici...

Montrant la maison de Simon.

Tout est prêt là-dedans ?

SIMON.

Tu t’en mets fort en peine !

DAVE.

Dans tous les environs, monsieur, je me promène.

Mais, à la fin, lassé d’aller et de venir,

J’attendais... Entrez donc. Ne peut-on pas finir ?

SIMON.

Va, va, nous finirons. Mais, d’s-moi, par avance...

DAVE, l’interrompant.

En vérité, monsieur, j’en meurs d’impatience !

SIMON.

Réponds-moi sur-le-champ ; point de digression.

Montrant la maison où loge Glicérie.

Tu sors de ce logis ? À quelle occasion ?

DAVE.

Moi ?

SIMON.

Toi.

DAVE.

Moi ?

SIMON.

Toi, toi, toi... Voilà bien du mystère !

DAVE.

Je n’y fais que d’entrer.

SIMON.

Ce n’est pas là l’affaire ;

Le temps ne nous fait rien. Je veux savoir pourquoi

Tu vas dans ce logis. Sans tarder, dis-le, moi.

DAVE.

Mais, moi-même, monsieur, j’ai peine à le comprendre.

SIMON.

Eh bien ?

DAVE.

Nous étions las et fatigués d’attendre.

SIMON.

Qui ?      

DAVE.

Votre fils et moi.

SIMON.

Pamphile est là-dedans ?

DAVE.

Nous y sommes entrés, tous deux, en même temps.

SIMON.

Que me dit ce maraud ?...

À part.

Ah ! juste ciel ! je tremble !

À Dave.

Ne m’avais-tu pas dit qu’ils étaient mal ensemble ?

DAVE.

Je vous le dis encore.

SIMON.

Eh ! pourquoi donc cela ?

CHRÉMÈS, ironiquement.

C’est pour la quereller, sans doute, qu’il y va ?

DAVE, à Simon.

Vous ne savez pas tout : et je vais vous apprendre

Une chose qui doit, sans doute, vous surprendre.

Il arrive, à l’instant, je ne sais quel vieillard,

Dont le port, la fierté, l’action, le regard

Nous l’ont fait croire à tous un homme d’importance.

Il a beaucoup d’esprit, n’a pas moins d’éloquence,

Et dans tous ses discours brille la bonne foi.

SIMON, à part.

Il me fera tourner la cervelle, je croi...

À Dave.

Mais, enfin, ce vieillard que tout le monde admire,

Que fait-il ?

DAVE.

Rien. Il dit ce que je vais vous dire.

SIMON.

Dis-le nous donc.

DAVE.

Monsieur, il jure par les dieux...

SIMON, l’interrompant.

Eh ! laisse-le jurer ; achève, malheureux !

DAVE, hésitant.

Mais...

SIMON.

Si tu ne finis...

DAVE, l’interrompant.

Il dit que Glicérie

Doit retrouver ici ses parents, sa patrie,

Et qu’elle est citoyenne, enfin.

SIMON.

Ah ! le fripon !...

Appelant.

Holà ! Dromon !

DAVE.

Eh quoi ?

SIMON, appelant encore.

Dromon ! Dromon ! Dromon !

DAVE.

Écoutez.

SIMON.

Pas un mot...

Appelant.

Dromon, Dromon... Ah ! traître !

DAVE.

Eh ! de grâce, monsieur...

SIMON, l’interrompant.

Je te ferai connaître...

 

 

Scène III

 

DROMON, SIMON, CHRÉMÈS, DAVE

 

DROMON, à Simon.

Que vous plaît-il, monsieur ?

SIMON, lui montrant Dave.

Enlève ce faquin.

DROMON.

Qui donc ?

SIMON.

Ce malheureux, ce pendard, ce coquin !

DAVE.

La raison ?

SIMON.

Je le veux...

À Dromon.

Prends-le tout au plus vite.

DAVE.

Qu’ai-je fait, s’il vous plaît ?

SIMON.

Tu le sauras ensuite.

DAVE.

Si je vous ai menti, qu’on m’étrangle !

SIMON.

Maraud !

Je suis sourd ; tu seras secoué comme il faut.

DAVE.

Et si ce crue j’ai dit se trouve véritable ?

SIMON, à Dromon.

Garde et serre-moi bien cette engeance du diable,

Pieds et poings garrottés.

DAVE.

Mon cher maître, pardon !

SIMON.

Va, va, je t’apprendrai si je le suis ou non.

Dromon emmène Dave.

 

 

Scène IV

 

SIMON, CHRÉMÈS

 

SIMON.

Et pour monsieur mon fils, dans peu de temps, j’espère

Que je lui montrerai ce qu’or, doit à son père.

CHRÉMÈS.

Modérez vos transports ; un peu moins de courroux.

SIMON.

En use-t-on ainsi ? Je m’en rapporte à vous.

Pour savoir, pour sentir mon affreuse disgrâce,

Hélas ! il faudrait être un moment à ma place ;

Tant de peines, de soins, d’égards et d’amitié !

De mon sort malheureux n’avez-vous point pitié ?...

Appelant.

Holà ! Pamphile, holà !... Pamphile, holà ! Pamphile !...

À Chrémès.

Tant d’éducation lui devient inutile.

 

 

Scène V

 

PAMPHILE, SIMON, CHRÉMÈS

 

PAMPHILE, à part, sans voir d’abord son père, et sans avoir reconnu que c’était lui qui l’appelait.

Pourquoi donc tant crier ? Qui m’appelle si fort ?

Que me veut-on ?...

Apercevant son père.

Mon père !... Ah ! bons dieux ! je suis mort.

SIMON.

Eh bien ! le plus méchant...

CHRÉMÈS, l’interrompant.

Mon cher Simon, de grâce,

N’employez point ici l’injure et la menace.

SIMON.

Eh quoi ! me faudra-t-il dans ces occasions

Chercher, choisir des mots et des expressions ?

En est-il d’assez forts ?...

À Pamphile.

Enfin, ton Andrienne,

Qu’en dit-on à présent ? Est-elle citoyenne ?

PAMPHILE.

On le dit.

SIMON.

Juste ciel ! quelle audace !... On le dit ?

À Chrémès.

Eh quoi ! le malheureux a-t-il perdu l’esprit ?

S’excuse-t-il enfin ? Voit-on sur son visage

D’un léger repentir le moindre témoignage ?

Malgré les lois, les mœurs, contre ma volonté,

Il aura l’insolence et la témérité

D’épouser avec honte une femme étrangère ?

PAMPHILE, à part.

Que je suis malheureux !

SIMON.

Vous ne pouvez le taire.

Mais est-ce d’aujourd’hui que vous le connaissez ?

Vous l’êtes, dès longtemps, plus que vous ne pensez.

Dès lors que votre cœur s’est plongé dans le vice,

Qu’il n’a plus écouté qu’un aveugle caprice,

Dès ce temps, dès ce temps, Pamphile, vous deviez

Vous donner tous les noms qu’alors vous méritiez...

À Chrémès.

Mais pourquoi vainement travailler ma vieillesse ?

Pourquoi pour un ingrat me tourmenter sans cesse ?

Qu’il s’en aille, qu’il vive avec elle ; il le peut.

Il faut abandonner un fils lorsqu’il le veut.

PAMPHILE.

Mon père !

SIMON.

Votre père ?... Ah ! ce père, Pamphile,

Ce père désormais vous devient inutile.

Vous vous êtes choisi vous-même une maison ;

Vous avez pris vous-même une femme. À quoi bon

Proférez-vous encor ce sacré nom de père,

Vous qui n’avez plus d’yeux que pour cette étrangère ;

Vous qui prenez le soin, contre la bonne foi,

D’aposter un témoin pour agir contre moi ?

Qu’il nous montre comment il la croit citoyenne.

PAMPHILE.

Mon père, un seul moment, que je vous entretienne.

SIMON, à Chrémès.

Eh ! que me dira-t-il ?

CHRÉMÈS.

Écoutez ; il faut voir.

SIMON.

Que j’écoute ?

CHRÉMÈS.

Monsieur, c’est le moindre devoir.

SIMON.

Par de trompeurs discours pense t-il me surprendre ?

CHRÉMÈS.

Mais pour le condamner, au moins faut-il l’entendre.

SIMON.

Eh bien ! soit ; j’y consens, qu’il parle promptement.

PAMPHILE.

J’avouerai donc, mon père, et sans déguisement,

Dussé-je être cent fois plus malheureux encore,

Qu’après vous Glicérie est tout ce que j’adore :

Et si le crime est grand d’adorer ses appas

C’est un crime qu’au moins je ne vous cache pas.

Après cela, parlez ; je n’ai plus rien à dire :

Ordonnez, à vos lois je suis prêt à souscrire.

Malgré des feux enfin dès longtemps allumés.

Brisez les plus beaux nœuds que l’amour ait formés.

Je suis près, s’il le faut, d’en épouser une autre ;

Je n’ai de volonté, mon père, que la vôtre.

Mais une grâce encor que j’ose demander,

Ne la refusez pas, daignez me l’accorder.

Pour détruire un soupçon que ce vieillard fait naître,

Permettez qu’à vos yeux on le fasse paraître...

SIMON.

Qu’il paraisse à mes yeux ?

PAMPHILE.

Mon père, s’il vous plaît.

CHRÉMÈS, à Simon.

Ce qu’il demande est juste, et pour son intérêt

Il doit...

PAMPHILE, à Simon.

Accordez-moi cette dernière grâce.

SIMON.

Qu’il vienne.

Pamphile va dans la maison où sont Criton et Glicérie.

 

 

Scène VI

 

SIMON, CHRÉMÈS

 

SIMON.

Je fais tout ce qu’il veut que je fasse ;

Pourvu que je sois sûr qu’il ne me trompe pas !

CHRÉMÈS.

Monsieur, il faut surtout éviter les éclats :

Et plus la faute est grande, et plus on doit se taire.

Punir légèrement, c’est assez pour un père.

 

 

Scène VII

 

CRITON, PAMPHILE, SIMON, CHRÉMÈS

 

CRITON, à Pamphile.

Glicérie, en un mot, ou plutôt l’équité,

M’oblige à soutenir la simple vérité.

CHRÉMÈS, à Criton, en le reconnaissant, avec surprise.

N’est-ce pas là Criton d’Andros ?

CRITON.

Oui, c’est lui-même.

CHRÉMÈS.

Quel plaisir de vous voir !

CRITON.

Ah ! ma joie est extrême.

CHRÉMÈS.

Mais dans Athènes, vous, quel hasard vous conduit ?

CRITON.

Plus à loisir, monsieur, vous en serez instruit...

Montrant Simon.

N’est-ce pas là Simon, le père de Pamphile ?

CHRÉMÈS.

C’est lui-même.

SIMON, à Criton.

Le bruit qu’on répand dans la ville

Partirait-il de vous, en seriez-vous l’auteur ?

CRITON.

Je ne sais pas quel bruit il court ici, monsieur.

SIMON.

Quoi ! n’avez-vous pas dit que cette Glicérie

Est citoyenne ?

CRITON.

Oui, j’en réponds, sur ma vie !

SIMON.

Arrivez-vous exprès pour soutenir ceci ?

CRITON.

Comment donc ! eh ! pour qui me prenez-vous ici ?

SIMON.

Vous imaginez-vous que, sans bruit, sans murmure,

On laissera passer une telle imposture ?

Qu’il vous sera permis d’employer vos talents

À corrompre l’esprit, les mœurs des jeunes gens,

Sous le flatteur espoir d’une fausse promesse ?

CRITON.

Juste ciel ! est-ce à moi que ce discours s’adresse ?

SIMON.

Et vous figurez-vous qu’un mariage heureux

Soit le terme et le prix d’un amour si honteux ?

PAMPHILE, à part.

Grands dieux ! cet étranger aura-t-il le courage ?...

CHRÉMÈS, à Simon.

Vous changeriez bientôt de ton et de langage,

Si vous le connaissiez. Il est homme de bien ;

Tout le monde le sait.

SIMON.

Et moi, je n’en crois rien.

Quoi donc ! impunément ose-t-il dans Athènes

Renverser nos desseins et rire de nos peines ?

À de semblables gens peut-on ajouter foi ?

PAMPHILE, à part.

Ah ! si cet étranger était proche de moi,

J’aurais à lui donner un conseil admirable.

SIMON, à Criton.

Affronteur !

CRITON.

Écoutez...

CHRÉMÈS, à Simon.

Êtes-vous raisonnable ?...

À Criton.

Ne vous attachez point à ce qu’il dit, Criton.

La colère l’aveugle et trouble sa raison.

CRITON.

Et moi, je lui dirai, s’il n’apprend à se taire,

Des choses sûrement qui ne lui plairont guère.

S’il a tant de chagrins, qu’il accuse le sort ;

Mais de s’en prendre à moi, certes il a grand tort.

Je n’ai rien dit de faux : c’est ici la patrie

De celle que l’on nomme aujourd’hui Glicérie ;

Et je puis le prouver, et même en quatre mots.

CHRÉMÈS.

Faites-le donc, monsieur.

CRITON.

Assez proche d’Andros,

Un vieux Athénien tourmenté par l’orage...

SIMON, l’interrompant.

Ce vieux Athénien, sans doute, fit naufrage ?

C’est le commencement d’un roman : écoutons.

CRITON.

Je ne dirai plus mot.

CHRÉMÈS.

De grâce ! poursuivons.

CRITON.

Ce vieux Athénien et cette jeune fille

Du père de Chrysis, de toute sa famille,

Reçurent les secours qu’on doit aux malheureux.

L’Athénien mourut, l’enfant resta chez eux.

CHRÉMÈS.

De cet Athénien le nom ?

CRITON.

Le nom ? Phanie.

CHRÉMÈS

Ah dieux !

CRITON.

Oui, c’est son nom.

CHRÉMÈS.

Que j’ai l’âme saisie !

CRITON.

Bien plus, il se disait, je crois, Rhamnusien.

CHRÉMÈS.

Ô ciel !

CRITON.

Ce que je dis, tous Andros le sait bien.

CHRÉMÈS.

De cette fille, enfin, se disait-il le père ?

CRITON.

Il disait que c’était la fille de son frère.

CHRÉMÈS.

C’est ma fille ; c’est elle ! enfin donc, la voilà !...

À part.

Ah ! Jupiter !

SIMON.

Comment ! que me dites-vous là ?

PAMPHILE.

En croirais-je mes yeux, mon cœur et mon oreille ?

SIMON, à part.

Je ne sais si je dors, je ne sais si je veille...

À Chrémès.

Mais éclaircissez-nous, faites-nous concevoir...

CHRÉMÈS, l’interrompant.

En un instant, monsieur, vous allez tout savoir.

Phanie...

Il hésite.

SIMON.

Eh bien ! Phanie ?

CHRÉMÈS.

Eh bien ! c’était mon frère,

Qui, cherchant un destin à ses vœux moins contraire

S’embarqua pour aller en Asie, où j’étais,

Prit ma fille avec lui, comme je souhaitais ;

Et depuis en voici la première nouvelle :

Je n’ai plus entendu parler de lui ni d’elle.

PAMPHILE, à part.

Je ne puis revenir de mon étonnement.

Les dieux changeraient-ils mon sort en un moment ?

CHRÉMÈS, à Criton.

Ce n’est pas encor tout ; il me reste un scrupule.

Le nom ne convient pas...

CRITON, l’interrompant.

Attendez...

PAMPHILE, l’interrompant à son tour.

Pasibule.
Je ne puis plus longtemps demeurer aux abois ;

Elle m’a dit ce nom plus de cent mille fois.

CRITON.

Justement, le voilà !

CHRÉMÈS.

Mon cher Criton, c’est elle.

SIMON.

Vous voulez bien, monsieur, que, plein du même zèle,

Plus content, plus surpris qu’on ne saurait penser...

CHRÉMÈS, à Criton.

Allons, Criton, allons la voir et l’embrasser...

À Simon.

Monsieur, un long discours me ferait trop attendre.

Je vous donne une bru, vous me donnez un gendre :

Il suffit.

Chrémès et Criton entrent dans la maison où est Glicérie.

 

 

Scène VIII

 

PAMPHILE, SIMON

 

PAMPHILE, se jetant aux pieds de son père.

Mon cher père !

SIMON, le relevant.

Ah ! mon fils, levez-vous,

Et bénissez les dieux qui travaillent pour nous.

PAMPHILE.

Mais Dave ne vient point.

SIMON.

Une importante affaire

Le retient.

PAMPHILE.

Eh ! quoi donc ?

SIMON.

Il est lié.

PAMPHILE.

Mon père !...

SIMON, l’interrompant.

Je vais à la maison ; mais calmez vos transports.

PAMPHILE.

Mon père, j’y ferais d’inutiles efforts.

Simon rentre chez lui.

 

 

Scène IX

 

CARIN, PAMPHILE

 

PAMPHILE, à part, et sans voir Carin qui paraît.

Non, les dieux tout-puissants, dans leur gloire suprême,

N’ont rien de comparable à mon bonheur extrême.

CARIN, à part.

Tout succéderait-il au gré de nos désirs ?

PAMPHILE, à part.

À qui pourrai-je donc annoncer mes plaisirs ?

CARIN.

Mais, dites-moi, d’où part une si grande joie ?

PAMPHILE, à part, sans écouter Carin et en voyant paraître Dave.

Voici Dave, à propos, que le ciel me renvoie :

Je sais combien pour moi son zèle et son ardeur

Lui feront partager ma joie et mon bonheur.

 

 

Scène X

 

DAVE, PAMPHILE, CARIN

 

PAMPHILE, à Dave.

Dave, je t’affranchis.

DAVE.

Monsieur, je vous rends grâce.

PAMPHILE.

D’un injuste destin je brave la menace :

Ignores-tu le bien qui vient de m’arriver ?

DAVE.

Ignorez-vous le mal que je viens d’éprouver ?

PAMPHILE.

Je le sais, mon enfant.

DAVE.

Monsieur, c’est l’ordinaire ;

Le mal se sait d’abord ; du bien on fait mystère.

PAMPHILE.

Ma chère Glicérie a trouvé ses parents.

DAVE.

Que dites-vous ?

PAMPHILE.

Je suis dans des ravissements...

Son père est mon ami... Chrémès !

DAVE.

Est-il possible ?

CARIN, à Pamphile.

Que je vous marque, au moins, combien je suis sensible.

PAMPHILE, l’interrompant.

Vous ne pouviez venir plus à propos, monsieur.

Partagez mes plaisirs, partagez mon bonheur.

CARIN.

Je sais tout. Maintenant...

PAMPHILE, l’interrompant.

Soyez en assurance :

Je ne vous donne point une vaine espérance.

CARIN.

Hélas ! si vous pouviez...

PAMPHILE, l’interrompant.

Tous les dieux sont pour moi...

À Dave.

Allons chez Glicérie, et nous verrons... Pour toi,

Va-t’en dans le logis, et reviens pour me dire

Si tout est prêt, et quand je pourrai l’y conduire.

Il entre chez Glicérie avec Carin.

 

 

Scène XI

 

DAVE, seul

 

Pour vous, messieurs, je crois (et soit dit entre nous)

Qu’à présent vous pouvez aller chacun chez vous.

Ils auront là-dedans beaucoup plus d’une affaire,

Des contrats à passer, mille contes à faire :

Ils ne sortiront pas, j’en réponds, de longtemps :

Faites donc retentir vos applaudissements.


[1] On a dit que je prêtais mon nom à l’Andrienne, et que d’autres que moi l’avaient faite.

PDF