L’Amour doit se taire (Georges FEYDEAU)

Drame en un acte (Inédit).

 

Personnages

 

RENÉ

ROBERT

MADAME DE SORGES

GERMAINE

 

 

Scène première

 

ROBERT, GERMAINE

 

Un grand salon de château. Grandes portes vitrées au fond, donnant sur une terrasse. On aperçoit le parc. À droite second plan, une grande porte donnant sur les appartements. À droite, premier plan, une porte donnant chez Germaine. À gauche, second plan, une porte donnant sur les communs. À gauche, premier plan, une grande cheminée. À droite, au milieu de la scène, une table chargée de journaux et de papiers, deux ou trois chaises près de la table. À gauche, au milieu de la scène, un petit guéridon avec un grand fauteuil faisant face au public et un canapé un peu éloigné du guéridon, à gauche.

ROBERT.

Là ! Monsieur René m’a dit : « va m’attendre au salon ! j’ai à te parler ». Il ne peut tarder : attendons !

GERMAINE, en costume de pêche, tenant une ligne et un filet vide.

Bonjour Robert !

ROBERT.

Mademoiselle ! déjà levée !

GERMAINE.

Oh ! Et depuis longtemps !... j’arrive de la pêche. Oh ! mais bredouille, mon ami, absolument bredouille ! et comme dans le parc il n’existe pas le moindre marchand de poissons, on est bien forcé de convenir honteusement de son échec.

ROBERT.

Alors, pas la plus petite morsure !

GERMAINE.

Si, une fois... un petit imprudent, gourmand comme on l’est à son âge, s’est jeté sur mon hameçon... Mais je l’ai rejeté à l’eau. Ils étaient là une bande, c’étaient des truites... et je les apercevais à travers cette eau courante, transparente comme du cristal... Une truite plus grosse était au milieu de tout ce frétillon... je me suis dit que c’était la mère... et alors... c’est bête n’est-ce-pas, mais je ne sais pourquoi, je me suis vue dans l’avenir, j’étais la femme de René, et j’avais des bébés blancs et roses, puis soudain l’on m’arrachait l’un d’eux... et alors... oh ! alors j’ai bien vite rejeté son petit à la vieille truite.

ROBERT.

Oh bien ! si tous les pêcheurs avaient de ces sentimentalités là... Je ne sais pas trop ce que l’on mangerait en carême.

GERMAINE.

Oui, je te dis, cela n’a pas de raison d’être, et franchement quand on aime la pêche et la chasse on ne s’érige pas en protecteur des animaux. Je me fais l’effet d’un Mandrin doublé d’un Saint Vincent de Paul.

ROBERT.

Je ne connais pas !

GERMAINE.

Ça ne m’étonne pas !... Dis donc, tu n’as pas vu mon cousin, ce matin ?

ROBERT.

Monsieur René, justement je l’attends en ce moment : c est pourquoi je suis dans ce salon... il a quelque chose de particulier à me dire...

GERMAINE.

De particulier... Oh ! oh ! du mystère... C’est à dire qu’il faut que je te laisse !... Oh ! c’est bien, c’est bien, je m’en vais.

ROBERT.

Mais mademoiselle...

GERMAINE.

Oh ! non, non, non, je m’en vais... Quelque chose de particulier ! voyez vous ça !

Avec importance.

Ah ça ! est-ce qu’il aurait commis l’impardonnable oubli de te demander ton consentement à notre mariage... Oh ! en ce cas ne sois pas cruel !

Riant.

Allons, allons ! puisque je suis de trop, je me retire.

Elle se sauve en courant.

 

 

Scène II

 

ROBERT, puis RENÉ

 

ROBERT.

La chère petite... est-elle gentille... je la considère comme mon enfant. Une enfant que j’appelle mademoiselle, voilà tout...

Il se promène de long en large puis, après un moment.

Non, mais qu’est-ce que Monsieur René peut avoir à me dire... il avait un air grave, lui si gai d’habitude !... Ah ! ma pauvre défunte disait toujours : « Mon Robert, n’est pas un nigaud, il y voit clair, avec ses petits yeux en vrille ! Eh bien ! je suis sûr qu’il se passe ici quelque chose... Voilà deux jours qu’il est préoccupé, mon maître ; il s’enferme, et travaille sans cesse, il écrit, et madame elle-même a l’air tout soucieux. Ah ! non, ça n’est pas naturel !

RENÉ, arrivant avec des papiers.

Ah ! te voilà ! tu m’attendais !

ROBERT.

Je ne fais que d’arriver, monsieur René.

RENÉ.

C’est bien ! Robert, j’ai une confidence à te faire.

ROBERT.

À moi !

RENÉ.

À toi ! Mais tu me jures de me garder le plus grand secret ! donne-moi, ta main, tu m’aimes bien, n’est-ce pas ?

ROBERT.

Si je vous aime, mon cher maître ! Ah ! Dieu du ciel ! vous que j’ai élevé, vous que j’ai fait sauter sur mes genoux !

RENÉ.

Robert, je vais me battre.

ROBERT.

Vous ?...

RENÉ.

Moi !

ROBERT.

Avec de vraies armes !

RENÉ.

Avec de vraies ! Tu comprends que tout le monde l’ignore ici, et que personne ne doit le savoir ; dans un quart d’heure mes témoins seront là... tu les feras entrer dans mon cabinet, sans qu’on les remarque et aussitôt, tu viendras me prévenir ! Est-ce dit ?

ROBERT.

Mais !...

RENÉ.

Est-ce dit ?...

ROBERT.

C’est bien, monsieur René, mais...

RENÉ.

Oh ! Il n’y a pas de mais... Tu prépareras mes armes, les fleurets qui sont dans ma chambre.

ROBERT.

Les pointus ?

RENÉ.

Dame !

ROBERT.

Oh ! ils sont si piquants !

RENÉ, souriant.

Ah ! bon Robert, va !

Il lui serre la main.

ROBERT, brusquement.

Eh bien ! non, ce combat n’aura pas lieu. je ne veux pas que vous vous battiez, moi... laissez-moi aller le trouver, votre adversaire ! Je lui parlerai ! je lui dirai... je ne sais pas ce que je lui dirai, mais j arrangerai tout.

RENÉ.

Merci, mon pauvre ami ! Il est des choses qu’on n’arrange pas !... Ce duel, personne ne peut l’empêcher, il s’agit de la plus grave des insultes, entends-tu, une insulte qui suffirait à ternir notre réputation, et ce sont là de ces choses qui ne s’effacent que dans le sang.

ROBERT.

Une insulte ! monsieur ! Est-ce qu’on se bat pour une insulte ? Mais moi qui vous parle, j’en ai reçu plus d’une dans ma vie et je ne me suis jamais battu ! je ne m’en porte pas plus mal, voyez-vous. Tenez : un jour, Émile, votre ancien cocher, m’a appelé, je ne sais pas pourquoi, « vieux dindon ! » savez-vous, ce que j’ai fait, je l’ai traité de « grand veau ». Nous, nous en sommes dit de toutes les couleurs, nous avons eu chacun notre part, de sottises, et nous n’avons pas pour ça versé une goutte de notre sang.

RENÉ.

Ce n’est pas la même chose, mon bon Robert : ici, c’est une affaire d’honneur ! le nom de ma mère a été calomnié indignement par un journaliste infâme... un de ces écrivassiers tarés qui trouvent un renom facile en versant le venin sur tout ce qu’il y a de saint et de respectable ! Ma mère a été cruellement blessée, je le sens, je le vois... Mais son amour pour moi la force à se taire ! son cœur saigne en silence et elle préfère se sacrifier dans sa tendresse aveugle plutôt que de me voir exposer ma vie... Heureusement, cet article, je l’ai lu ; et avant peu, vois-tu, ma mère aura été vengée et notre honneur satisfait.

ROBERT.

Calmez-vous, monsieur René !

RENÉ.

Oh ! je suis calme !... Écoute, Robert, j’aime à croire que tout se passera bien... Cependant on ne peut répondre de rien, n’est-ce pas ?... Si, par hasard, quelque malheur arrivait...

Essuyant une larme.

si je ne devais plus vous revoir, voici certains papiers que tu remettrais à ma mère ainsi que cette lettre, une lettre où je lui demande pardon pour toute la douleur que je lui aurai causée, et cette autre pour ma petite Germaine, ma fiancée ; les deux seuls êtres que j’aime au monde avec toi, mon bon Robert.

Il lui serre les mains avec effusion.

ROBERT, essuyant une larme.

Mon cher maître !

RENÉ.

Allons, n’est-ce pas, je puis compter sur toi !...

ROBERT.

Ce sera pour moi, une chose sacrée.

RENÉ.

C’est bien, mon ami, va, et surtout, ne dis rien à personne !

ROBERT.

Je ne dirai rien !

Il va pour sortir puis se retourne avant de s’en aller et avec une tendresse pleine d’admiration.

Se battre, lui ! si c’est Dieu possible ! un gamin que j’ai vu, c’était gros comme rien !

 

 

Scène III

 

RENÉ, puis MADAME DE SORGES et GERMAINE

 

RENÉ.

Pauvre Robert ! En voilà un qui m’aime vraiment ! Ah ! l’on n’en trouve plus beaucoup comme lui !

Madame de Sorges entre, suivie de Germaine.

RENÉ, va à la rencontre de sa mère et lui baise la main.

Ma mère !

MADAME DE SORGES.

Mon cher enfant !...

Elle va s’asseoir sur le fauteuil.

GERMAINE.

Bonjour, monsieur mon fiancé.

RENÉ, la baisant au front.

Vous allez bien, ma petite Germaine ?

GERMAINE.

Mais oui... Ah ! je suis bien aise de vous trouver... À nous deux, peut-être parviendrons nous a dissiper ce vilain nuage de tristesse qui assombrit le visage de ma tante... Oh ! ne dites pas non, ma petite maman, vous êtes toute chagrine depuis deux jours.

Elle embrasse Madame de Sorges.

MADAME DE SORGES.

Mais non, je t’assure... J’ai un peu de migraine, voilà tout.

GERMAINE, à René.

Ah ! vous savez, j’ai réfléchi.

RENÉ.

Vraiment, cela m’étonne.

GERMAINE.

Vilain !... Oui ! nous n’allons pas en Italie, c’est trop banal ! je préfère l’Espagne !

RENÉ, tristement.

Ah ! pour notre voyage de noces ?

GERMAINE.

Eh ! bien oui ! L’on dirait que cela vous est indifférent. Croyez-vous que je n’y pense pas, à notre mariage, moi... Allons, venez ici !

Elle s’assied sur le divan.

Asseyez-vous là, près de moi, et tenez cet écheveau.

René s’assied près de Germaine et lui tient son écheveau pendant que Germaine enroule sa laine.

MADAME DE SORGES, à part.

Je tremble que René ne sache tout ; il n’est plus le même depuis deux jours ; en vain je lui ai caché cet article odieux... quelque âme charitable se sera trouvée pour le lui adresser... et s’il l’a lu... Oh ! je le connais, il est fier... et il fera son devoir. Ah ! je souffre bien !

RENÉ.

À quoi songez-vous ainsi, ma mère ?

MADAME DE SORGES.

Moi ! À rien, mon enfant ! Je vous regarde et je suis heureuse ! Vous faites un si joli petit couple tous les deux !

GERMAINE.

N’est-ce pas ? quel beau mari !

RENÉ, lui prenant les mains.

Et quelle jolie petite femme... Que je vous trouve de grâces et de séductions ! et aujourd’hui surtout, je ne sais pourquoi, il me semble que jamais je ne vous ai vue plus belle, je vous regarde, je vous admire et j’éprouve en vous contemplant une impression étrange.

GERMAINE.

Ah ! Flatteur !... d’abord, aujourd’hui, j’ai la coiffure que vous aimez... et je tiens à vous plaire.

RENÉ.

Ma chère Germaine ! Ah ! combien nous allons être heureux tous les deux ! Vous serez mon enfant gâtée à moi ; tous vos caprices seront des ordres, je vous aimerai, je vous cajolerai, et ces jolis yeux où mes regards se perdent, ignoreront toujours ce que c’est qu’une larme !... Ah ! ce sera le bonheur... et ce bonheur n’est pas loin. Encore quinze jours d’attente et vous serez à moi, rien qu’à moi !... qu’il me tarde, mon Dieu, que ce rêve charmant devienne la réalité...

GERMAINE, à voix basse.

René, je suis heureuse !

MADAME DE SORGES.

Oui. Et moi l’on me laisse dans mon coin pendant ce temps là. Oh ! les enfants, quels ingrats !...

RENÉ.

Ma mère !

MADAME DE SORGES.

Allez, je ne suis pas jalouse ! Aimez-vous ! vous ne savez pas combien je suis heureuse.

 

 

Scène IV

 

RENÉ, MADAME DE SORGES, GERMAINE, ROBERT

 

ROBERT, entrant avec précipitation.

Monsieur René... Pardon mesdames... Monsieur René !

RENÉ, allant au devant de Robert.

Quoi !

ROBERT, bas à René.

Ces messieurs sont là... ils vous attendent dans votre cabinet.

RENÉ.

Ah ! C’est vrai...

À part.

Ce rêve m’avait fait un moment tout oublier...

Haut.

C’est bien, dis-leur que je suis à eux.

MADAME DE SORGES, inquiète.

Qu’y a-t-il, René ? et que nous veut Robert ?

RENÉ, embarrassé.

Oh ! Rien, ma mère ! une affaire importante... un ami !... pardonnez-moi, il faut que je vous quitte.

MADAME DE SORGES.

Que dit-il ?

GERMAINE.

Vous partez si brusquement !

MADAME DE SORGES, allant à René.

Et pourquoi faut-il que tu sortes ?...

RENÉ, très troublé.

C’est indispensable, ma mère.

MADAME DE SORGES.

René, tu me caches quelque chose.

RENÉ.

Moi, mais je vous certifie...

MADAME DE SORGES.

René, tu ne me dis pas la vérité ! n’essaie pas de mentir... quand il s’agit de toi, mon cœur ne se trompe jamais et d’ailleurs ton trouble te trahit... je veux tout savoir entends-tu ?...

RENÉ.

Mais je vous assure, ma mère, que vous vous inquiétez à tort.

MADAME DE SORGES.

Non ! te dis-je, non !

À Robert.

Robert ! où va mon fils ?

RENÉ, vivement.

Robert, tais-toi !

MADAME DE SORGES.

Ah ! tu vois bien que tu me caches quelque chose !... René, je ne veux pas que tu sortes.

Elle l’étreint dans ses bras.

RENÉ, avec effort.

Ah ! laissez-moi, ma mère !

MADAME DE SORGES.

Je ne veux pas que tu me quittes.

RENÉ.

Ma mère il le faut ! je vous aime et je vous vénère... mais je ne puis vous obéir.

Il l’embrasse avec émotion, puis brusquement.

Viens, Robert !

Ils sortent.

MADAME DE SORGES.

René !

Elle tombe sur une chaise.

 

 

Scène V

 

MADAME DE SORGES, GERMAINE

 

GERMAINE, qui, pendant la fin de la scène, est restée interdite.

Ma tante, qu’est-ce que tout cela veut dire ?

MADAME DE SORGES.

Ah ! Germaine, mon enfant, je n’ai plus d’espoir qu’en toi ! tu es maintenant une grande jeune fille, je puis tout te dire, je n’ai rien de caché pour toi, écoute : René est en danger... Il va se battre !

GERMAINE.

Se... battre ?

MADAME DE SORGES.

Oui... pour moi, pour me venger d’une calomnie indigne... j’espérais jusqu’à présent qu’il ignorait cet affront, je me taisais, je m’efforçais de paraître gaie pour ne pas lui faire soupçonner mon chagrin. Mais, hélas ! je vois bien qu’il sait tout... et comme il n’écoute que son cœur...

GERMAINE.

Eh bien !

MADAME DE SORGES.

Eh bien ! Il court me venger !

GERMAINE.

Oh ! ma tante ! ma tante !

Elle se jette dans les bras de Madame de Serges.

MADAME DE SORGES.

Ah ! ne pleure pas, mon enfant ! À présent, il faut agir, je ne compte que sur toi... que sur l’énergie que tu puiseras dans ton amour pour empêcher René de se battre ! Peut-être t’écoutera-t-il, toi... Pour moi, toutes mes prières ne feraient que l’exciter davantage... tu comprends, il s’agit d’une injure qui m’est personnelle ! tout ce que je pourrais faire pour le détourner de ce duel, il le regarderait comme un sacrifice de ma part et ce sacrifice il ne l’accepterait pas... Mais toi, ma petite Germaine, toi, ce n’est pas la même chose, tu pourrais lui dire qu’un tel outrage ne m’atteint pas... et que j’ai bien trop de fierté pour me croire salie par cette calomnie, et que je serais dix fois plus malheureuse, si je le voyais exposer sa vie... Va, dis-lui tout cela ! que m’importe, à moi, cette infamie ! dis-lui tout ce que ton cœur te dictera et arrache de lui la promesse que ce duel n’aura pas lieu !

GERMAINE.

Oh ! non, non, jamais !... Il ne se battra pas.

MADAME DE SORGES.

Le voici ! du courage et n’oublie pas qu’il nous faut sa parole.

GERMAINE.

Je l’aurai.

Madame de Sorges l’embrasse et sort par la porte de droite, premier plan.

 

 

Scène VI

 

GERMAINE, puis RENÉ

 

GERMAINE, tout anéantie.

Oh ! que j’ai peur, mon Dieu !

La porte de droite second plan s’ouvre ; René en redingote entre d’un pas rapide et s’apprête à sortir... Germaine l’arrête au passage.

René, où allez-vous ?

RENÉ.

Pardonnez-moi je...

GERMAINE.

Restez ! Je sais tout ! vous allez vous battre.

RENÉ.

Moi !

GERMAINE.

Vous allez vous battre, vous dis-je !... Mais ce duel n’aura pas lieu !

RENÉ.

Germaine !

GERMAINE.

Non ! entendez-vous, non ! vous êtes à moi, maintenant... vous êtes mon bien, ma vie. Eh bien, je suis égoïste peut-être, mais je n’ai d’autre bonheur que vous et ce bonheur je ne veux pas m’exposer à le perdre... Voyons, René, je ne compte donc plus pour vous ! Avez-vous oublié ce que vous me disiez tout à l’heure : « Je veux que vos yeux ignorent toujours ce que c’est qu’une larme ! » Est-ce ainsi que vous tenez votre parole ?

RENÉ.

Ah ! Germaine que vous me faites du mal !

GERMAINE.

Mais vous n’avez donc pas un instant pensé à moi ! Vous ne vous êtes donc pas dit que s’il vous arrivait quoi que ce soit, j’en mourrais ? René, mon fiancé, mon époux, au nom du lien qui nous unit au nom de notre amour, sacrifiez-moi ce duel !

RENÉ, avec douleur.

Je ne peux pas, je ne peux pas !

GERMAINE.

Et qui vous en empêche, mon Dieu ! voyons, tous ceux qui vous connaissent savent que vous êtes brave, que vous avez du cœur, personne n’osera douter de vous... Le sacrifice que je vous demande est grand, je le sais ; mais il n’en aura que plus de prix... il me montrera toute la profondeur de votre amour, et je croirai n’avoir jamais assez de reconnaissance au cœur pour tout ce que vous aurez fait pour moi.

RENÉ.

Laissez-moi, Germaine !

GERMAINE.

Vous me repoussez ! Vous ne répondez pas !

RENÉ, avec effort.

C’est impossible !

GERMAINE.

René ! Vous êtes impitoyable. J’attendais mieux de votre amour.

Elle tombe en sanglotant sur le divan.

RENÉ.

Ah ! Germaine !... Vous ne savez pas combien mon cœur saigne !... Demandez-moi tout, tout ce que vous voudrez, mais pas cela ! Je ne puis pas... Écoutez... ici, il s’agit de ma mère ; et ma mère, voyez-vous, c’est mon culte, c’est ma religion à moi, elle a toute ma vénération, je veux que lorsqu’on parle d’elle, cela soit avec respect, avec piété, et je n’admets pas, entendez-vous, je n’admets pas qu’il y ait de profane ! Ah ! si vous saviez ce qui s’est passé, si vous saviez ce que l’on a osé dire d’elle, quel chantage indigne, dans quelle fange on a traîné son nom !... Voyez-vous, quand on est fils et qu’on a quelque chose là, on se regarderait comme un lâche si l’on hésitait un instant à demander raison d’un tel outrage.

GERMAINE.

Ah ! Je vous attendais là !... Mais, René, quelle idée avez-vous ? Est-ce que votre mère n’est pas à l’abri de la calomnie ? Car enfin ce serait terrible, voyons, s’il suffisait que le premier venu traîne votre nom dans la boue pour que ce nom respectable en soit à jamais sali... Et tenez, je vous le dis sincèrement, si j’étais vous, je croirais offenser ma mère par un tel duel, car il pourrait laisser penser que je ne la tiens pas assez haut pour être au dessous de l’injure.

RENÉ.

Comme vous connaissez peu le monde, ma pauvre enfant ! Est-ce que vous supposez qu’il raisonne comme vous ? Il voit une femme outragée, diffamée, sa curiosité s’éveille : que va-t-il se passer ? Mais personne ne bouge ; personne ne demande raison de cet outrage ! Alors quelle pensée se présente à son esprit ? « ce qu’on raconte était donc vrai ! » Et il croit tout. Eh bien ! pour lui, ma mère, c’est cette femme, il ne la connaît pas, il ne sait pas qui elle est, et lorsqu’on vient lui dire : « vous savez, Madame de Sorges, elle a fait telle ou telle chose ! » il vous répond : « allons donc ! » et les commentaires vont leur train, on ne se demande pas un seul instant si tout cela est bien vrai, si ce n’est pas une calomnie et désormais la tâche demeure ineffaçable si l’on a hésité à l’enlever de suite. Ah ! croyez-moi, il est des cas où un duel est nécessaire.

GERMAINE.

Non, René ! le monde n’est pas tel que vous le voulez bien dire ! Et puis, ce duel, votre mère ne le veut pas... et je lui ai juré que vous ne vous battriez pas.

RENÉ.

Vous avez eu tort, ma chère Germaine, et puis, d’ailleurs, ma mère n’est pas seule en jeu ! Si je ne vengeais cette insulte, le nom de De Sorges en resterait à jamais sali et ce nom c’est le mien... c’est le vôtre bientôt, et si je vous apporte un nom, voyez-vous, je veux que rien ne l’ait taché et que vous puissiez comme moi être fière de le porter.

GERMAINE.

Quoi qu’il arrive, je suis fière de devenir votre femme.

RENÉ.

Ma pauvre chère, c’est l’amour qui vous fait parler de la sorte ! Mais écoutez ce que votre cœur vous dit aussi ! Voyons, ma mère est presque la vôtre... elle vous chérit comme sa fille et vous l’aimez comme si vous étiez son enfant, tout ce qui la touche doit vous toucher. Eh bien ! Dites-moi, en la voyant ainsi diffamée, est-ce que tout ne se révolte pas en vous ? Ne sentez-vous pas là, comme une rage profonde, une soif de vengeance qui vous étouffe et vous pousse à punir le misérable auteur de cette infamie... Ah ! Germaine, je vous le demande, si vous étiez homme, si vous étiez fils, ne feriez-vous pas comme moi.

GERMAINE.

Ah ! taisez-vous !

RENÉ.

N’iriez-vous pas, au péril de votre vie, sacrifiant même tous vos rêves de bonheur, sauvegarder votre honneur et venger celle à qui vous devez tout. Ma mère ne veut pas que je me batte, dites-vous ? Mais ne voyez-vous pas qu’en cela son amour pour moi la rend aveugle, oublieuse d’elle-même et croyez-vous qu’au fond, elle n’éprouve pas une douleur amère ! Elle a beau s’estimer au dessus de la calomnie, une injure blesse toujours et son cœur souffre, voyez-vous ! il souffre d’autant plus qu’il ne veut pas avouer sa souffrance. Eh bien ! soyez franche ! est-il juste que j’accepte un pareil dévouement, une telle abnégation ? Ah ! non, jamais ! Ma mère me demande de renoncer à ce duel, au nom de mon amour pour elle ! C’est au nom de cet amour que je repousserai sa prière ! Je ne veux pas qu’elle puisse se dire, un jour : « mon fils n’a pas fait son devoir. »

GERMAINE, avec douleur.

Non ! non !

RENÉ.

Et vous-même, Germaine, quand vous me suppliez, vous n’écoutez que votre sentiment qui vous égare. Mais oui, vous ne réfléchissez pas. Et plus tard, quand l’angoisse du moment sera passée, quand vous serez calmée, quand le raisonnement vous reviendra, vous serez la première à me dire : « René, vous avez bien agi ! » Ah ! Tenez, tenez, si je cédais à vos prières, quelle opinion auriez-vous de moi ?

GERMAINE, avec effort.

René ! faites votre devoir !

RENÉ, avec élan.

Ah ! je savais bien que vous étiez un brave !

GERMAINE.

Non ! je n’étais qu’une égoïste. Je ne pensais qu’à moi ! allez, mon cher époux ! et que Dieu vous protège !

RENÉ, d’un mouvement brusque l’étreint dans ses bras, il serre la tête de Germaine contre sa poitrine et la regarde un temps dans les yeux avec amour, puis lui donne un long baiser sur les yeux en lui murmurant.

Je t’aime !

Après quoi, il s’arrache à son étreinte.

Adieu !

Il sort brusquement.

GERMAINE, subitement.

René !

René s’arrête. Germaine faisant un effort sur elle-même.

Non ! va ! va !

 

 

Scène VII

 

GERMAINE, seule, elle tombe sur le fauteuil

 

Parti ! Il est parti ! Oh ! non ! c’est trop, je sens que mon cœur se brise. C’est mon fiancé qui s’en va... Oh ! Dieu ! Dans un instant, ils vont être aux prises et peut-être !... Oh ! non, non, quelle idée, c’est impossible, je ne le veux pas ! je ne le veux pas ! Oh ! pourquoi l’ai-je laissé partir... Je crois que j’en mourrai... Ciel ! sa mère ! Ah ! Dieu, mais c’est au-dessus de mes forces !

Elle fait un effort sur elle-même, s’essuie rapidement les yeux et attend Madame de Sorges d’un air qu’elle s’efforce de rendre calme.

 

 

Scène VIII

 

GERMAINE, MADAME DE SORGES

 

MADAME DE SORGES, vivement.

Eh bien ?

Germaine fait un signe de tête affirmatif, prenant les mains de Germaine.

Il a promis ?

GERMAINE, avec effort.

Oui !

MADAME DE SORGES, avec une joie croissante.

Il ne se battra pas !

GERMAINE, même jeu.

Non !

MADAME DE SORGES, éclatant.

Ah ! Germaine, mon enfant, ma chère enfant !

Elle la serre dans ses bras.

GERMAINE, se détachant.

Oh ! non, non ! non !

MADAME DE SORGES.

Quoi ?

GERMAINE.

Rien... Vous m’embrassez... Mais pourquoi ?

MADAME DE SORGES.

Pourquoi ? Ah ! tiens, je t’adore !

Elle l’embrasse.

GERMAINE, à part.

Oh ! misérable ! misérable !

MADAME DE SORGES.

Si tu savais combien tes paroles me causent de bonheur ! Il me semble que tu me rends mon fils ! Je souffrais tant depuis deux jours ! Non, pas de cette injure, crois-le bien, je la considérais comme une lâcheté digne tout au plus de mon mépris. Non, ce qui me torturait c’était cette idée horrible qui me poursuivait sans cesse que mon fils pourrait aller à cause de moi exposer sa vie ! Je le voyais sur le terrain ! On me le rapportait blessé.

GERMAINE.

C’est vrai !

MADAME DE SORGES.

Mourant !...

GERMAINE.

C’est vrai ! Oh ! taisez-vous !

MADAME DE SORGES.

Que sais-je, moi ? Quand on a peur, on voit tout en noir, on ne se raisonne pas, on perd la tête ! Ah ! mon enfant ! mon enfant, c’est un coup qui m’aurait tuée !

GERMAINE.

Ma bonne tante ! maman ! Calmez-vous !

MADAME DE SORGES.

Oh ! va, maintenant je suis rassurée, je me sens tout heureuse... et c’est à toi ; chère enfant que je le dois... Ah ! je n’aurai jamais assez de tendresse pour te remercier de tout le bonheur que tu me donnes.

GERMAINE.

Ah ! quelle torture ! On me fait souffrir !

MADAME DE SORGES.

Mais sais-tu que je vais être jalouse de toi ? Faut-il qu’il t’aime, mon René, pour que tu aies une telle puissance sur lui ! Faut-il que tu sois maîtresse de son cœur... Ah ! je t’engage a être fière de ton triomphe, car mon fils t’a fait là un sacrifice qui a dû bien lui coûter. C’est la plus grande preuve d’amour qu’il ait pu te donner.

GERMAINE.

Hélas !

MADAME DE SORGES.

Mais cela n’a pas été sans peine, n’est-ce pas ? Dis-moi, la lutte a été bien longue ?

GERMAINE.

Oh ! oui !

MADAME DE SORGES.

Pauvre garçon ! Il a tant de cœur ! Ah ! j’avais bien raison, lorsque je ne comptais que sur toi, car il n’y avait que sa fiancée qui pût emporter sur lui une telle victoire. Quand l’amour s’en mêle, il faut plier les armes. Ah ! Germaine tu l’aimes donc bien, mon René ?

GERMAINE.

Oh ! oui, je l’aime !

MADAME DE SORGES.

Et tu seras heureuse quand tu seras à lui. Encore quinze jours et vous vous appartiendrez tout à fait !

GERMAINE.

Tout à fait... Oh Dieu et si tout à l’heure. Oh ! non ! assez, assez !

MADAME DE SORGES.

Quoi ?... Qu’as-tu

GERMAINE.

Moi Rien ! Rien !

À part.

Ah ! j’étouffe !

MADAME DE SORGES.

Mais si ! tu as l’air inquiète, agitée... Est-ce que tu n’es pas contente de René ?

GERMAINE.

Si ! Si !

MADAME DE SORGES.

Alors, explique-moi !

GERMAINE.

Non rien !... Attendez, chut !...

Elle remonte vers la fenêtre.

Non j’avais cru entendre, oh ! mon Dieu, mon Dieu !

MADAME DE SORGES.

Mais enfin, qu’est-ce que tu as, voyons ! tu as quelque chose !

GERMAINE, très agitée.

Moi, non... non...

MADAME DE SORGES.

Regarde-moi, tu détournes les yeux.

Subitement.

Oh ! mon Dieu ! quel pressentiment !

GERMAINE.

Oh ! non, non !

MADAME DE SORGES.

Germaine, tu m’as menti !

GERMAINE.

Moi !

MADAME DE SORGES.

Tu m’as menti ! René se bat !

GERMAINE.

Je vous jure !

MADAME DE SORGES.

Alors où est-il ? Pourquoi n’est-il pas ici, puisqu’il a renoncé à ce duel ?

Remontant au fond et appelant.

René ! René ! Tu vois, personne ne répond. La maison est vide ! Mais avoue-moi donc que tu l’as laissé partir !

GERMAINE.

Ma mère ! Au nom du ciel !

MADAME DE SORGES.

Ah ! misérable ! misérable ! C’est donc vrai ! Mais voyons ! mais parle donc... mais dis-moi où ils sont... Je vais courir, il est peut-être temps encore. Songe que sa vie est en danger. Mais tu veux donc la mort de mon fils ! Ah ! s’il lui arrive quelque chose... Malheur à toi !

GERMAINE, tombant à genoux.

Grâce ! ne m’accablez pas !

MADAME DE SORGES.

Ah ! laisse-moi, laisse-moi passer !

GERMAINE, s’accrochant aux vêtements de Madame de Sorges.

Non ! non !

MADAME DE SORGES, la traînant sur les genoux.

Lâche-moi, te dis-je !

GERMAINE.

Vous n’irez pas !

MADAME DE SORGES.

Ah ! tu me lâcheras entends-tu !

Elle fait un violent effort et repousse brutalement Germaine qui tombe anéantie.

GERMAINE.

Ma mère !... Ah ! je suis maudite !

MADAME DE SORGES.

Ah ! Dieu, protégez-moi !

Elle remonte vivement vers le fond et s’arrête brusquement en entendant la voix de René.

RENÉ, dans le coulisse.

Je vous remercie messieurs, le bras de Robert me suffira !

 

 

Scène IX

 

GERMAINE, MADAME DE SORGES, RENÉ, la redingote jetée sur les épaules, les bras hors des manches, ROBERT, soutenant René

 

MADAME DE SORGES.

Mon fils !

GERMAINE.

René !

RENÉ.

Ma mère ! Ma chère Germaine !

GERMAINE.

Vivant ! Vivant ! ma tante, il est vivant !

Elles se sont élancées au cou de René, mais en les recevant, René pousse un petit cri.

RENÉ.

Ah !

MADAME DE SORGES.

Qu’est-ce que tu as ? Est-ce que tu serais blessé ?

RENÉ.

Oh ! peu de chose !

GERMAINE.

Blessé ! Oh ! mon Dieu !

MADAME DE SORGES.

Tu es blessé !... Oh ! montre-moi vite ! Tu es sûr que cela n’est pas grave... tu me le jures... mais assieds-toi, ne reste pas debout comme cela ! Dis-moi, tu ne souffres pas...

RENÉ.

Oh ! presque pas... Je suis un peu fatigué, voilà tout.

GERMAINE.

Oh ! vite, un coussin, un oreiller, non ! je vais le chercher moi-même.

RENÉ.

Non, non !...

GERMAINE.

Si, si !

Elle sort en courant.

RENÉ.

La chère petite !

MADAME DE SORGES.

As-tu besoin de quelque chose ? Veux-tu de l’eau fraîche, du linge ?

RENÉ.

Je vous remercie, le docteur m’a fait son premier pansement... et tenez, vous voyez qu’il n’est pas bien inquiet de ma piqûre... puisqu’il m’a laissé partir seul avec Robert... il est vrai qu’il est occupé ailleurs.

Souriant.

Mais pourquoi me regardez-vous ainsi ma mère ?

MADAME DE SORGES.

Ah ! c’est que je suis heureuse et je sens que je revis. Quelle frayeur tu m’as faite, et dans quelle émotion j’étais ! Tu t’es battu, toi, mon René... Oh ! comme je vais te gronder ! Est-ce ainsi que tu me mets dans des transes mortelles ? Vilain fils, tu t’es battu !

ROBERT.

Oh ! et gaillardement, madame, je vous le jure ! C’est que j’étais là, derrière un buisson, monsieur René ne le savait pas, je m’étais dit : « Si l’autre est le plus fort, et bien je m’en mêlerai, moi aussi et à nous deux ! » et j’ai tout regardé... en fermant les yeux... Ah ! nous nous sommes vaillamment conduits et je vous assure, madame, que pour moi qui n’ai jamais été au collège, il m’a fallu de la bravoure pour ne pas perdre courage en ayant aussi peur.

RENÉ.

Ah ! par exemple quelqu’un qui a été bien atteint c’est mon excellent adversaire, il en aura pour trois semaines... Figurez-vous ma mère, deux bons pouces de fer dans le côté.

MADAME DE SORGES.

Oh !

ROBERT.

Oh ! le fait est que monsieur René l’a embroché. Oh ! mais là, avec art...

RENÉ, gaiement.

C’est alors qu’instinctivement, il a tendu le bras, et que je me suis enfilé moi-même comme un novice.

Voyant un mouvement de madame de Sorges, souriant.

Oh ! mais n’ayez pas peur ! je m’en suis tout de suite aperçu... On s’aperçoit bien vite de ces erreurs là... et j’ai rebroussé chemin. C’est égal, il était temps, car si la blessure eût été plus profonde, l’endroit était dangereux. Un moment, l’on redoutait quelque lésion interne, mais l’examen a prouvé qu’il n’y avait rien à craindre : ainsi l’a déclaré le docteur, que je laissai beaucoup moins rassuré sur l’état de son autre blessé. Bref, nous en sommes quittes chacun à plus ou moins bon compte... et le combat finit faute de combattants !

MADAME DE SORGES.

René, tu parles trop, ce n’est pas prudent ! Tu vas te fatiguer !

GERMAINE, entrant avec l’oreiller.

Voilà l’oreiller ! Levez votre tête !

RENÉ.

Alors, toutes vos volontés ! Quelle charmante petite enfant gâtée vous êtes !

GERMAINE.

Il faut bien que je vous soigne et que j’adoucisse le mal dont je suis cause.

RENÉ.

Dont vous êtes cause ?...

Robert remonte dans le fond et va sur la terrasse sans cesser d’être visible au public.

MADAME DE SORGES.

C’est vrai, ma pauvre enfant, j’ai été injuste envers toi, je t’en demande pardon.

GERMAINE.

Pardon ! oh ! oh ! maman !

MADAME DE SORGES.

Oui, pardon... Je t’ai fait pleurer, tu m’as trouvée dure envers toi. Je t’ai accusée, maltraitée, brutalement repoussée. Eh bien ! oui ! je t’en demande pardon. J’étais folle, vois-tu, mon amour pour René, l’idée qu’il était en danger me faisait perdre la tête... et lorsque tu accomplissais un acte d’héroïsme, moi qui ne suis qu’une mère, je t’accusais de lâcheté... Je me disais que tu n’aimais pas René... et que tu n’avais pas essayé de le retenir.

RENÉ.

Elle ma mère... mais c’est le plus noble cœur que je connaisse... Vous l’avez accusée, elle, pauvre chère petite : Ah ! vous ne saviez pas à quel avocat vous aviez confié votre cause ! et n’était l’amour profond qu’elle a pour vous, auquel j’ai fait appel, je ne sais pas comment, j’en serais venu à bout.

GERMAINE.

René, je vous en prie...

MADAME DE SORGES.

Oh ! mais va, je suis bien heureuse !

GERMAINE.

Ah ! je le savais bien !

MADAME DE SORGES.

Mes chers enfants !

RENÉ.

Enfin, maintenant, c’est fini, Dieu merci, tout s’est bien passé et...

Il a un frisson.

MADAME DE SORGES.

Qu’est-ce que tu as !

RENÉ.

Rien ! un peu de fièvre... C’est l’effet de ma piqûre.

MADAME DE SORGES.

Robert fermez les fenêtres !...

Robert ferme les portes vitrées du fond.

Il ne faut pas que tu prennes froid et puis tu serais mieux, couché, ta tête est brûlante. Je vais monter moi-même te préparer tout dans ta chambre.

RENÉ.

Oh ! laissez ce soin à d’autres, ma mère !

MADAME DE SORGES.

Non, non, du tout ! je veux que ce soit moi. Quand mon fils est malade, c’est à moi sa mère de le soigner... c’est bien le moins !

Elle sort.

 

 

Scène X

 

GERMAINE, RENÉ, ROBERT

 

GERMAINE.

Comme votre mère vous aime, René ! Ah ! si vous l’aviez vue tout à l’heure ; elle, si douce et si bonne, elle me faisait peur !... Heureusement, Dieu a été pour nous ! Il n’a pas voulu qu’il vous arrivât malheur.

RENÉ, souriant.

Mais ni moi non plus ! Et je vous assure que j’ai tout fait pour cela !

GERMAINE.

Ah ! votre mère eût été impitoyable pour moi... moi-même je me demandais si j’avais bien agi, si j’avais fait mon devoir et si je ne m’étais pas laissé entraîner par vos paroles. Oh ! quel bonheur inexprimable ça été pour moi quand je vous ai vu revenir.

RENÉ.

Ah ! ma chère Germaine, que vous êtes digne d’être aimée et que je suis heureux de vous prendre pour femme !

GERMAINE.

Oh ! je vous aime bien, moi, allez !

ROBERT.

Sont-ils gentils... on dirait Roméo et Virginie !

GERMAINE, rougissant.

Tu étais là, Robert !

ROBERT.

Oui !... oh ! mais, je n’ai rien entendu !

RENÉ.

Robert sait bien que nous sommes fiancés, et que rien n’est pur comme le baiser que je dépose sur votre front.

Il fait un effort pour se soulever et baise Germaine au front. À ce moment il porte la main sur sa blessure.

Ah !

GERMAINE.

Quoi ?

RENÉ.

Ah ! j’ai éprouvé comme si ma blessure se rouvrait ! ça n’est rien, c’est en me soulevant, mais c’est passé.

ROBERT.

Ah ! aussi, vous n’êtes pas raisonnable ! Quand on est blessé on fait attention ! On ne se remue pas ! D’abord, il faut que vous soyez guéri le plus tôt possible... Songez que dans quinze jours, il faut que vous soyez sur pied.

GERMAINE.

Oh ! oui !

RENÉ.

Oh ! je serai remis avant... Mais c’est drôle, j’ai froid et puis j’ai chaud... J’ai la fièvre, il n’y a pas à dire... et puis je me sens faible !

ROBERT.

Dès que votre lit sera prêt, il faudra vous coucher !

RENÉ.

Oui, oh ! mais j’ai la gorge sèche, je voudrais bien boire !

ROBERT.

Je vais aller chercher de la tisane.

GERMAINE.

Non, moi ! C’est moi que cela regarde à mon tour... les hommes ne savent pas les faire, les tisanes. Non, toi Robert, tu vas rester là.

Elle sort par la droite.

 

 

Scène XI

 

ROBERT, RENÉ

 

RENÉ, d’une voix un peu faible et souriant.

Vois-tu Robert ! il faut toujours en passer par ses volontés.

ROBERT.

Oh ! l’obéissance n’est pas bien pénible. D’ailleurs j’ai toujours obéi facilement, ici. Et pourtant, ça n’est pas dans mon caractère une somnambule m’a prédit autrefois que je serais un grand révolutionnaire ! Ainsi !... Mais ce n’est pas tout cela, il faut bien, vous soigner, je vous le répète, monsieur René... ces bobos-là, ce n’est rien, mais quand on n’y prend pas garde, que l’on fait des imprudences, ils n’en finissent pas !... J’ai eu une chose à peu près comme ça, moi, un mal blanc qui a dégénéré en panaris... parce que je n’y avais pas pris garde. Eh bien, vous voyez ; ça serait très désagréable, si votre mal allait empirer et cela ferait beaucoup de peine à Madame... et à Mademoiselle Germaine... et à moi aussi. Hein ? oui ! à moi, vous ne croyez pas, dites, monsieur René ?...

Pendant cette scène René s’est affaibli petit à petit et il a succombé sans un mouvement ; la tête est appuyée sur l’oreiller, dans la même position. Robert le touchant à l’épaule.

Monsieur René ! Eh bien ? vous ne répondez pas !

Il prend sa main qui retombe, morte.

Oh ! mon Dieu ! Qu’est-ce qu’il a ?

Il pose son oreille contre sa poitrine et pousse un grand cri en reculant, en arrière.

Ah ! mort ! mort ! mort !

Il court comme un fou vers la porte par laquelle sont sorties Madame de Sorges et Germaine ! criant !

Madame... Mademoiselle,

Puis, après réflexion.

Non, non ! C’est un coup qui les tuerait !

 

 

Scène XII

 

ROBERT, RENÉ, MADAME DE SORGES, GERMAINE

 

GERMAINE, une tasse à la main.

Quoi ? Qu’y a-t-il ?

MADAME DE SORGES.

Tu as appelé ?

ROBERT, s’efforçant de paraître calme.

Moi ! non, non !

MADAME DE SORGES.

Cependant !

ROBERT, montrant René et mettant le doigt sur ses lèvres.

Chut ! chut ! il dort !

Madame de Sorges gagne le fond en marchant avec précaution, ferme les volets de la porte vitrée pour empêcher le jour d’entrer. Germaine, sur la pointe des pieds, va poser la tasse de tisane sur la table, qui est près de René, puis toutes les deux se retirent sans bruit par la porte de gauche. Après quoi, Robert, ne pouvant plus maîtriser son émotion, tombe à genoux devant le corps de René, et éclate en sanglots.

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