Le Fin Mot (Eugène LABICHE - Auguste LEFRANC - MARC-MICHEL)

Comédie-Vaudeville, en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 21 juillet 1840.

 

Personnages

 

MORISSEAU

DELIGNY

MADAME VALDEN

MARIE, sa nièce

JEAN, domestique

 

La scène se passe à Manheim.

 

Le théâtre représente un salon de campagne ; au fond, porte à battants, deux, portes latérales ; à gauche, une table à ouvrage ; à droite, au premier plan, une fenêtre avec un grand rideau.

 

 

Scène première

 

MARIE, MADAME VALDEN, MORISSEAU

 

Madame Valden et Marie travaillent assises près de la table à ouvrage.

MADAME VALDEN, à Morisseau, qui est debout.

Est-ce que vous ne m’aviez pas dit que vous aviez reçu une réponse de Paris ?

MORISSEAU, à part.

Allons, encore !

Très haut.

Mais oui, pour la dixième fois, oui ! La lettre est arrivée avant-hier à Francfort, et ma femme me l’a aussitôt adressée ici, à Manheim... Là ! comprenez-vous bien, maintenant ?

MADAME VALDEN.

Oui, oui, je ne suis pas sourde... Mais vous ne m’avez pas dit ce que contenait cette lettre.

MORISSEAU, à part.

Allons, bon ! c’est tout à recommencer.

Haut.

Cette lettre me donne des renseignements sur le prétendu qui demande la main de Marie, votre seconde nièce, de Marie, ici présente, la cousine de ma femme...

MADAME VALDEN.

Ah ! bien !... Et sont-ils bons, ces renseignements ?

MORISSEAU.

Excellents !

MARIE, à elle-même.

Pauvre tante ! la mémoire s’en va.

MORISSEAU.

C’est bien comme je le pensais... c’est lui, ce brave Deligny, un ancien camarade de Louis le Grand... Riche parti pour vous, ma petite cousine !

MADAME VALDEN.

Mais vous ne m’avez pas lu cette lettre : il me semble que moi, la tante...

MORISSEAU, haussant les épaules.

C’est trop juste !

À part.

Depuis ce matin, je ne fais que ça.

Lisant.

« Mon cher Morisseau... » – C’est à moi qu’elle est adressée. – « Vous pouvez dire à Madame Valden que M. Deligny possède un caractère des plus aimables... »

MADAME VALDEN.

Qui ça, Deligny ?

MORISSEAU, à part.

Ah ! parbleu, c’est trop fort.

Criant très haut.

Deligny, Édouard Deligny, celui qui demande la main de Marie, votre futur neveu...

MADAME VALDEN.

Pas si fort ! je ne suis pas sourde.

MARIE.

C’est vrai, vous criez... ma tante entend fort bien.

MORISSEAU, incrédule.

Je m’en aperçois !

MADAME VALDEN.

Continuez !

MORISSEAU.

Voyons... hum !... hum !... ah ! « Que M. Deligny possède un caractère des plus aimables, une réputation sans reproche, et que sa fortune est d’environ quinze mille livres de rente. »

MADAME VALDEN.

Ah ! ah !

MORISSEAU, à part.

C’est encore ça qu’elle comprend le mieux, la tante !

MARIE.

Tout cela ne dit pas que M. Deligny me plaise.

MADAME VALDEN.

Tu serais bien difficile... un caractère aimable et quinze mille livres de rente.

MORISSEAU, à part.

Il n’y a pas de danger qu’elle oublie ce chiffre-là...

MADAME VALDEN.

Un mari est toujours bien avec cela.

MARIE.

Oui, excepté quand il est laid.

MORISSEAU.

Oh ! là, je vous arrête... Deligny est un magnifique cavalier... Vous m’auriez bien épousé, moi, n’est-ce pas ?

MARIE.

Mais...

MORISSEAU.

Oui, vous m’auriez épousé, avouez-le ; je suis marié, il n’y a pas de danger... d’ailleurs votre cousine, qui s’y connaît, n’a pas hésité un instant, et il est impossible que vous n’ayez pas les mêmes goûts qu’elle... vous vous ressemblez trop pour ça, mêmes yeux, même bouche, même son de voix, même tout, à tel point que chacun s’y trompe, la tante surtout ; elle patauge entre ses deux nièces, et moi aussi, moi, un mari ! témoin que l’autre jour, je vous ai appelée Bichette, comme ma femme, mais ça n’a pas été plus loin. Tout ceci prouve assez que vous ne devez pas me trouver mal.

Air : Il est flatteur d’épouser celle.

   Eh bien ! malgré mes avantages,
   Deligny, croyez-en ma foi,
   Selon de nombreux témoignages,
   Est encor beaucoup mieux que moi !...
   Il est bien mieux, je vous le jure !

MARIE.

   Ne jurez pas !... c’est vanité ;
   Mon cousin, sur voire figure,
   Je lis  toute la vérité.

MORISSEAU.

Au reste, vous pourrez en juger bientôt par vous-même, ma petite cousine ; car c’est aujourd’hui ou demain qu’il arrive.

MADAME VALDEN.

Mais je ne puis comprendre, mon neveu...

MORISSEAU, à part, fouillant dans sa poche.

Elle veut que je lui relise la lettre.

MADAME VALDEN.

Eh bien ! qu’est-ce que je disais donc ?

MORISSEAU, élevant la voix.

Vous disiez : Mais je ne puis comprendre, mon neveu...

MADAME VALDEN.

Ah ! bon ! Pourquoi M. Deligny demande la main de Marie, qu’il n’a jamais vue.

MORISSEAU.

Tiens ! au fait, pourquoi Deligny...

MADAME VALDEN, se levant.

Vous en conviendrez, rien n’est plus bizarre que ce projet de mariage.

MARIE, se levant.

Quant à moi, j’ai peine à le considérer comme sérieux. Il y a un mois, maman reçoit une lettre d’une personne dont le nom lui est inconnu, M. Édouard Deligny... en quatre lignes, on lui demande ma main...

À Morisseau.

Vous, vous prenez feu tout de suite pour ce nom, qui vous rappelle un camarade de collège. Vous forcez ma tante a répondre, et, si je vous écoutais, j’irais attendre M. Deligny à l’arrivée de la diligence pour me jeter à son cou.

MORISSEAU.

Mais, puisque je vous le garantis !

MARIE.

Air.

   C’est une chose singulière
   Comme on se marie à présent ;
   Un mois suffit : c’est une affaire
   Qu’on traite fort légèrement...
   Pour toujours lorsque l’on s’engage,
   On devrait se connaître mieux.

MORISSEAU.

   C’est vouloir tuer le mariage ;
   Sur trois on en manquerait deux.

MADAME VALDEN.

Tu es libre, ma chère enfant, et, quoi qu’en dise Morisseau, si M. Deligny ne te plaît pas...

MORISSEAU.

Bon, bon ! vous en serez charmées.

MADAME VALDEN.

Moi, par prudence, j’ai toujours gardé le secret, et nous trois seulement connaissons ce projet de mariage.

 

 

Scène II

 

MARIE, MADAME VALDEN, MORISSEAU, JEAN

 

JEAN.

Madame, il y a là un monsieur qui demande à vous parler ; je l’ai fait entrer dans la salle à manger.

MORISSEAU.

Est-ce que ce serait déjà...

MADAME VALDEN.

Chut !... T’a-t-il dit son nom ?

JEAN, mystérieusement.

Je crois, madame, que c’est le prétendu de Mademoiselle Marie.

MORISSEAU, à part.

Ah ! bon, le secret.

MADAME VALDEN.

Mais comment sais-tu que ma nièce attend un prétendu ?

JEAN, niaisement.

Dame ! mam’selle est d’un âge qu’on attend toujours quéqu’ chose comme ça ; et puis, j’avons ramassé des mots par-ci, par-là, en balayant près des portes.

MORISSEAU.

Ah ! tu écoutes aux portes ?

JEAN.

Je n’écoute pas, monsieur, je n’écoute pas ; je balie.

MADAME VALDEN.

Enfin, le nom de ce monsieur ?

JEAN.

Attendez donc ; je crois que c’est Deligny.

MORISSEAU.

C’est bien lui ; je cours...

Fausse sortie.

MADAME VALDEN, retenant Morisseau.

Non.

À Jean.

Faites-le entrer... nous allons le recevoir.

Jean sort.

MARIE.

Auparavant, il serait plus convenable que Morisseau l’entretînt un moment.

À sa tante.

Vous ne feriez pas mal de faire un peu de toilette.

MORISSEAU.

Et vous aussi, par la même occasion, petite coquette.

MADAME VALDEN.

Eh bien ! c’est cela... Morisseau, retenez ici M. Deligny... Dans dix minutes nous rentrerons au salon.

MORISSEAU, les accompagnant.

Dix minutes à votre toilette !... ça nous laisse le temps de causer une bonne heure.

MARIE.

Ce que vous dites là est bien spirituel, allez.

Elles sortent par le fond.

 

 

Scène III

 

MORISSEAU, seul

 

Ce cher Deligny, je suis charmé de le revoir... je n’oublierai jamais tous les services qu’il m’a rendus.

Air : Vaudeville de l’Héritière.

   De bravoure c’est un modèle ;
   Je me souviens avec effroi,
   Dans une terrible querelle,
   Qu’il se battit deux fois pour moi...
   Qu’il se battit... trois fois pour moi.
   Je n’ai pas si mauvaise tête ;
   C’est beau... mais, tant que je vivrai ,
   Je sens bien là que cette dette
   Jamais je ne l’acquitterai.

 

 

Scène IV

 

DELIGNY, MORISSEAU

 

DELIGNY, introduit par Jean.

Monsieur... Eh mais, je ne me trompe pas... Morisseau !

MORISSEAU.

Lui-même... un peu changé, comme tu vois... à mon avantage... j’ai pris de l’embonpoint.

DELIGNY.

Quelle heureuse rencontre !... je te savais bien dans ce pays, marié à Francfort ; mais depuis longtemps que tu ne m’écris plus...

MORISSEAU.

Que veux-tu ?... une fois marié, on néglige ses amis, par prudence souvent.

DELIGNY.

À moins d’épouser une femme bien laide.

MORISSEAU.

Alors, ce sont eux qui vous négligent... Mais je ne dis pas ça pour moi, car, Dieu merci, j’aurais tort de me plaindre.

DELIGNY.

Ta femme est jolie ?

MORISSEAU.

Charmante, mon ami, et d’une sagesse fort rare sur les bords du Rhin... au reste, tu viens ici pour épouser sa cousine germaine.

DELIGNY.

Ah ! mais, je ne savais pas...

MORISSEAU.

Serais-tu fâché de m’a voir pour cousin, pour ami ?

DELIGNY.

Moi ! bien au contraire... ce cher Morisseau !

Air de Madame Favart.

   Tu n’es pas beau, la chose est claire ;
   Tu ne peux pas rendre jaloux,
   Et même en galante matière
   Tu n’es pas très fort, entre nous...
   Vois-tu, quand on veut prendre femme,
   Et qu’on craint la commune loi,
   On est trop heureux, sur mon âme,
   D’avoir des amis tel que toi !

Il lui serre la main.

MORISSEAU.

Ce bon Deligny ! Mais explique-moi donc pourquoi tu demandes la main de notre cousine Marie ?... une jeune fille que tu n’as jamais vue... J’ai tâché d’expliquer, de colorer cette étrange proposition ; mais franchement je n’y comprends rien.

DELIGNY.

C’est précisément parce que je l’ai vue, Marie, parce que je l’aime... Oh ! c’est une histoire, un roman !

MORISSEAU.

Tu n’as pas quitté Paris depuis trois ans.

DELIGNY.

Oui... mais il y a trois ans j’étais à Francfort, j’y vis Marie pour la première fois chez Madame Rosbach, et, pendant trois mois que je passai là, je l’aimai d’un amour que j’eus lieu de croire partagé.

MORISSEAU.

Voyez-vous, la petite sournoise, elle ne m’en a jamais dit un mot !

DELIGNY.

Oh ! je m’explique fort bien sa réserve ; il est de ces choses qu’une jeune fille n’avoue pas, tu comprends ?...

À part.

S’il savait tout, il comprendrait mieux.

Haut.

Bref, je fus forcé de retourner à Paris ; nos adieux furent bien tristes... je promis de revenir ; mais, au milieu des distractions de la vie parisienne, j’oubliai bientôt mes promesses.

MORISSEAU.

Mauvais sujet !

DELIGNY.

Plus tard seulement, mes souvenirs se reportèrent avec amour vers ces belles rives du Rhin, dont la gracieuse figure de Marie venait encore embellir le paysage.

MORISSEAU.

Voilà de la poésie !

DELIGNY.

Peu à peu cette pensée prit sur moi un empire irrésistible ; le séjour de Paris me devint insupportable... Mais le soin de ma fortune compromise dans une exploitation industrielle m’y retenait... Un jour, enfin, rien ne s’opposa plus à mon départ ; j’étais riche encore, et ce fut en tremblant, je te le jure, que j’adressai à Madame Valden la lettre que tu as sans doute lue...

MORISSEAU.

Huit fois et tout haut...

DELIGNY.

Juge de mon bonheur en apprenant que Marie était libre encore, et de mon émotion en pensant qu’ici, dans un instant, je vais la revoir.

MORISSEAU.

C’est charmant, c’est parfait !... Voilà un mariage qui ne sera pas difficile à faire.

Air.

   Vraiment, à semblable distance,
   Une telle fidélité,
   Qui résiste à trois ans d’absence,
   À droit à la postérité.
   Du mariage effet bizarre !
   On cite peu de pareils traits ;
   S’aimer trois ans avant ! c’est rare...
   Moins pourtant que trois ans après.

Et puisque ton attente a duré si longtemps, je me ferais un scrupule de la prolonger d’un quart d’heure, et je vais presser ces dames... Attends-moi.

Il sort par le fond.

 

 

Scène V

 

DELIGNY, seul

 

Je n’ai jamais éprouvé pareille émotion ! peut-être la trouverai-je changée !... trois ans... c’est bien long ! et moi-même... je ne serai peut-être plus à ses yeux ce que j’étais alors... mais on vient... la voici... encore embellie, je crois... elle me paraît plus grande... oh ! en trois ans...

 

 

Scène VI

 

DELIGNY, MARIE, MADAME VALDEN, MORISSEAU

 

Tous trois entrent par la porte du fond.

DELIGNY, à Madame Valden.

Me pardonnerez-vous, madame, de m’être présenté chez vous si matin ?

Regardant Marie.

Je puis faire valoir un bien juste empressement pour excuse.

MADAME VALDEN, saluant avec cérémonie.

Monsieur...

À part, à Morisseau.

Il est très bien, ce jeune homme.

MORISSEAU, de même.

Et quinze mille livres de rente...

Criant.

quinze...

Il lui montre avec ses doigts.

MADAME VALDEN.

Taisez-vous donc... je ne suis pas sourde...

Haut, à Deligny.

Monsieur, je vous prie de vous considérer ici comme chez vous... Permettez-moi de vous présenter ma nièce.

DELIGNY.

J’ai tout de suite reconnu mademoiselle.

MADAME VALDEN.

Comment ! reconnu...

MORISSEAU, à part.

Bon ! il se coupe...

DELIGNY.

Oui, au portrait que m’en a fait Morisseau...

MORISSEAU, de même.

Il se rattrape.

DELIGNY, à Marie.

Mais je m’aperçois que le peintre est encore resté au-dessous du modèle.

MORISSEAU.

Oh ! c’est joli, ça...

À Madame Valden, très-haut.

« Le peintre est encore resté au-dessous... »

MADAME VALDEN.

Mais je ne suis pas sourde... vous criez...

DELIGNY, bas à Marie.

Je vous retrouve plus belle et plus ravissante que jamais...

MARIE.

Monsieur...

DELIGNY, de même.

Je comprends... on nous observe... mais accordez-moi un moment d’entretien, et je me justifierai à vos yeux.

MARIE, à part.

Se justifier... et de quoi ?

MADAME VALDEN, bas à Morisseau, en l’entraînant à droite.

Croyez-vous qu’il accepterait à déjeuner ?

MORISSEAU.

Certainement...

À part.

Voilà qu’ils renouent connaissance.

MADAME VALDEN, à Deligny.

Faudrait-il vous prier beaucoup, monsieur Deligny, pour vous faire accepter à déjeuner ?

DELIGNY.

Morisseau a dû vous dire que j’étais ennemi des cérémonies.

MADAME VALDEN.

Permettez-moi d’agir sans façon avec vous et de vous laisser un instant avec Morisseau et ma nièce.

Fausse sortie.

MORISSEAU, à Marie.

Petite sournoise... fi...

MARIE.

Comment ! sournoise...

MORISSEAU.

Oui, je sais tout... chut !

MADAME VALDEN, appelant.

Marie !

MARIE.

Oui, ma tante.

À Morisseau.

Que voulez-vous dire ?

MORISSEAU, mystérieusement.

C’est bon !... on sait ce qu’on sait.

MADAME VALDEN.

Marie !

L’appelant près d’elle avec un mouvement de tête.

Hum !

MARIE.

Ma tante...

Elle s’approche de Madame Valden.

Je n’y comprends rien.

Morisseau cause avec Deligny.

MADAME VALDEN, bas à Marie.

Qu’est-ce qu’il faut faire pour déjeuner ?

MARIE, de même.

Je ne sais pas, ma tante.

MADAME VALDEN, de même.

II y a la dinde.

MARIE, de même.

Ce n’est pas assez.

MADAME VALDEN, de même.

J’ai envie d’y ajouter une omelette et une carpe frite.

MARIE, de même.

S’il n’aime pas la carpe...

MADAME VALDEN.

Il faut demander à Morisseau.

Elle l’appelle.

Morisseau... hum !

MARIE, mystérieusement, avec une petite toux.

Hum !

Morisseau s’approche.

MADAME VALDEN, bas à Morisseau.

Pour le déjeuner, nous avons la dinde... j’ai envie de mettre avec ça une omelette et une carpe frite.

DELIGNY, à part.

Que peuvent-ils se dire ?

MORISSEAU.

C’est bon ça !... Je l’aime beaucoup, moi, la carpe frite... avec ça que j’ai une faim...

MARIE.

Il ne s’agit pas de vous, mais de votre ami.

MORISSEAU.

Ah ! je ne connais pas son goût ; je vais lui demander si...

MARIE.

Mais non, ce n’est pas convenable...

MORISSEAU.

Laissez donc !... adroitement...

Il appelle.

Deligny !...

Il lui fait signe d’approcher.

Hum !

DELIGNY, à part.

Il paraît que je suis aussi du complot.

MORISSEAU, d’un ton délibéré.

Aimes-tu la carpe frite ?

DELIGNY, riant.

Ah ! c’est pour ça... beaucoup.

MORISSEAU, bas à Marie.

Beaucoup.

MARIE, bas à Madame Valden.

Beaucoup.

MADAME VALDEN, à part.

Beaucoup !... Il est vraiment très bien, ce jeune homme. Je vais commander le déjeuner.

MORISSEAU.

C’est cela.

ENSEMBLE.

Air.

   Nous verrons deux amis
   À table réunis.
   Renouer connaissance ;
   Et peut-être l’amour,
   Sous la nappe à son tour,
   Se glisser en silence.

Madame Valden sort.

 

 

Scène VII

 

DELIGNY, MORISSEAU, MARIE

 

DELIGNY, bas à Morisseau.

Va-t’en !

MORISSEAU.

Hein ?

DELIGNY.

Va-t’en !

MORISSEAU, souriant.

Compris, compris.

Il s’approche de la porte.

MARIE, à part.

Est-ce qu’il va me laisser seule avec M. Deligny ?...

Haut.

Morisseau !

MORISSEAU.

Hein ?

MARIE.

Eh bien ! vous partez comme cela ?... à peine monsieur est-il arrivé que vous le laissez... ce n’est pas bien ; restez.

DELIGNY, qui a pris sur la table l’ouvrage de Marie ; à Marie.

Voilà un charmant dessin de broderie, mademoiselle...

Bas à Morisseau.

Trouve une excuse.

MARIE.

Il est de ma cousine, monsieur... d’une bonne amie, que j’aime plus que vous ne sauriez le croire, et comme nous sommes séparées elle m’envoie ses travaux commencés, et moi je les achève ; il me semble que cela me rapproche un peu d’elle.

DELIGNY.

Touchante intimité !

Il fait signe à Morisseau de sortir.

MARIE.

Elle est si bonne, si dévouée, si tendre... c’est une sœur, monsieur.

MORISSEAU.

Et une bonne sœur qui vous aime bien aussi.

MARIE.

Oh ! je le sais, et je conserve là un précieux souvenir... son dévouement a été si grand pour moi...

MORISSEAU.

Allons, allons, ne parlons pas de ça... elle n’a fait que son devoir.

MARIE.

Son devoir !... Dans une maladie que je fis monsieur, elle passa quinze jours au chevet de mon lit, sans repos, sans sommeil, sans distractions ; elle ne consentit enfin à me quitter que sur l’assurance des médecins que ma vie était hors de danger... et voilà ce que Morisseau appelle faire son devoir.

MORISSEAU.

Vous ne dites pas tout non plus, car il faut bien que je fasse votre éloge, puisque ma femme n’est pas là... Vois-tu, Deligny, tu as devant toi une petite femme qui est bonne... ah ! enfin, c’est la crème des petites femmes, et des grandes aussi.

MARIE.

Morisseau !

MORISSEAU.

Du tout... je veux parler, je veux dire ce que vous avez fait pour votre cousine, pour ma femme... Pauvre orpheline, recueillie ainsi que vous par Madame Valden... consentiez-vous à prendre un seul plaisir qu’elle ne le partageât ?... vos robes, vos chiffons, vos fantaisies, elle était de moitié dans tout cela, et toujours, et pour tout... Oui, vous êtes bonne, bonne, bonne... aussi, quand je vous regarde, eh bien ! j’ai toujours envie de vous embrasser.

Il va pour l’embrasser.

DELIGNY, l’arrêtant, bas.

Eh bien !... mais va-t’en donc !... tu es là, tu causes, tu embrasses...

MORISSEAU, bas.

Jaloux, laisse-moi le temps de trouver un prétexte...

DELIGNY, à Marie.

Je vois que vous avez dans Morisseau un bien bon cousin.

MARIE.

Il est aussi bon cousin qu’excellent mari.

MORISSEAU, tirant sa montre.

Et je le prouve... comme il me reste encore un quart d’heure avant le départ de la poste, je vais lui écrire un mot, à cette chère petite femme...

À Deligny.

Hein !

DELIGNY, bas.

Bravo !

MARIE.

L’heure est passée, votre lettre ne partira pas aujourd’hui.

MORISSEAU.

Je vais exactement comme la poste de Manheim.

MARIE.

C’est pour cela que vous êtes toujours en retard.

MORISSEAU.

Mon cher Deligny, nous nous reverrons tout à l’heure à table.

Bas.

Hein ! comme c’est joué !

DELIGNY, bas.

À ravir.

Morisseau sort par le fond.

 

 

Scène VIII

 

DELIGNY, MARIE

 

DELIGNY, d’un air dégagé.

Il m’est donc enfin permis de vous parler sans témoins ?

MARIE, étonnée.

Pourquoi sans témoins ?

DELIGNY.

Vous me le demandez, Marie, ma chère Marie...

MARIE, à part.

Ma chère Marie... eh bien, il ne se gêne pas.

DELIGNY.

Je suis bien coupable sans doute ; mais quittez ce regard froid et sévère... oubliez ces trois années d’abandon, et ne songez qu’au repentir qui me ramène.

MARIE.

Mais, monsieur, il s’agit sans doute d’une autre.

DELIGNY.

D’une autre, Marie !... Oh ! je vous jure que, pendant ces trois années passées loin de vous, aucune femme n’a trouvé place dans ce cœur que vous occupiez tout entier.

MARIE.

Comment, monsieur, vous m’aimez depuis trois ans ?

DELIGNY.

Pouvez-vous en douter ?

MARIE.

C’est la première fois que vous me le dites.

DELIGNY.

Oh ! je vous en conjure, cessez ce cruel badinage.

MARIE.

Je parle très sérieusement.

DELIGNY.

Je me flattais pourtant que mon souvenir vivrait un peu dans votre mémoire... il est de ces conversations qu’une jeune fille n’oublie pas facilement...

MARIE.

Il me semble que vous me parlez pour la première fois.

DELIGNY.

Avez-vous pu oublier qu’il y a trois ans... à Francfort...

MARIE.

Eh bien ?

DELIGNY.

Chez madame Rosbach...

MARIE.

Après ?

DELIGNY.

Après !...

Avec feu.

C’est là, Marie, mademoiselle, veux-je dire, que j’eus le plaisir de vous voir.

MARIE.

C’est possible, monsieur... Madame Rosbach est une amie de ma mère, et nous n’allons pas à Francfort sans la visiter... j’ai pu vous rencontrer chez elle.

DELIGNY.

Quoi ! mes traits ne vous rappellent rien...

D’une voix émue.

Marie ?

MARIE, froidement.

Non, absolument rien.

DELIGNY.

Regardez-moi bien.

MARIE.

Non... rien du tout.

DELIGNY, à part.

Pour le coup, c’est trop fort !...

Haut.

C’est donc à moi d’aider votre mémoire... c’est vous qui m’y forcez... Vous rappelez-vous ce petit pavillon au bout du jardin ?...

À part.

Le lieu de nos rendez-vous.

MARIE.

Oui... Eh bien ?

DELIGNY.

N’y allâtes-vous jamais seule le soir ?

MARIE.

Oui, souvent... Après ?

DELIGNY, à part.

Après, après... je ne puis pourtant pas lui dire...

Haut.

Et encore ce vieux chêne creux ?

MARIE.

Au fond du jardin, à droite ?

DELIGNY.

Précisément...

À part.

Elle le reconnaît... nous y déposions notre correspondance.

Haut.

Je ne pourrais le revoir sans émotion.

MARIE.

Ah ! vous ne le reverrez plus... on l’a abattu pour le brûler.

DELIGNY.

Et vous avez souffert un pareil sacrilège ?

MARIE.

Il était si vieux !

DELIGNY, à part.

Allons, c’est un parti pris.

Haut.

Ainsi vous avez tout oublié, tout, jusqu’à mon nom, jusqu’à mes traits, et pourtant autrefois...

Air : Quand les oiseaux du voisinage (Tirelire).

   Quand d’une douce contredanse
   Les sons invitaient au plaisir.
   J’obtenais votre préférence,
   Vous devez vous en souvenir...
   Dans notre brûlant  délire,
   Ce monde aux regards jaloux,
   Il fuyait bien loin de nous,
   Et nos yeux, notre sourire
   À chaque instant semblaient dire :
   Le souvenir de ce bonheur
   Est pour toujours dans notre cœur (bis.)

MARIE.

Je vois, monsieur qu’il est impossible de vous détromper, et puisque vous insistez encore, permettez que je me relire.

DELIGNY.

Ah ! pardon, Marie... un mot, un dernier mot, et si vous l’exigez, c’est moi qui partirai pour toujours. Oh ! j’étais loin de m’attendre à cette réception... moi, qui venais vers vous plein de joie et d’espérance...

MARIE.

Brisons là, monsieur... cette obstination me blesse.

DELIGNY.

C’est bien, mademoiselle, je n’insiste plus, je saurai sans doute plus tard le motif d’un accueil... Je vais partir, Marie, et puisque vous avez tout oublié, puisque vous ne m’aimez plus, tenez, voici ces lettres que je n’aurais données qu’avec ma vie.

MARIE.

Que signifie...

DELIGNY, insistant.

Prenez, prenez.

MARIE, hésitant.

Mais, monsieur...

DELIGNY.

Adieu, mademoiselle, adieu.

Il sort par le fond.

 

 

Scène IX

 

MARIE, seule

 

Il s’en va !... quel langage !... et pourtant il a un accent de vérité. Et ces lettres, pourquoi me les remet-il ?

Elle regarde les lettres.

Ciel ! Oh ! non... l’écriture de ma cousine ! c’est bien là son écriture. Oh ! je comprends tout maintenant ! ses paroles d’amour, ses regards, ses allusions... une fatale ressemblance !... Et Morisseau, son mari, s’il savait... elle serait perdue... Oh ! non, jamais, jamais... M. Deligny est un homme d’honneur, je lui dirai tout. On vient ! cachons-nous d’abord pour lire ces lettres.

Elle sort à gauche.

 

 

Scène X

 

DELIGNY, MORISSEAU

 

MORISSEAU, ramenant Deligny par le bras.

Comment ! partir pour Paris ! es-tu fou ? et le déjeuner ?...

À part.

J’ai une faim horrible.

Haut.

Et ta prétendue ?...

DELIGNY.

Non, laisse-moi ; il faut que je m’éloigne. Vois-tu, Morisseau, ce voyage sera pour moi un souvenir de malheur.

MORISSEAU.

Ah çà ! t’expliqueras-tu à la fin ? Je reviens de la poste porter la lettre pour ma femme : tout-à-coup je te rencontre haletant, bouleversé. Adieu, me dis-tu, adieu pour toujours. Moi, je le prends sous le bras, je te ramène, ou plutôt je te traîne jusqu’ici... Tu refuses de me donner aucune explication... dans la rue, je comprends cela... mais ici...

DELIGNY.

Je te dis qu’il faut que je parte... ne m’en demande pas davantage.

MORISSEAU.

Et ce mariage ?

DELIGNY.

Est rompu.

MORISSEAU.

Tu n’es donc plus amoureux ?

DELIGNY.

Plus que jamais.

MORISSEAU.

Alors !...

DELIGNY.

Alors il faut que je parte !

Fausse sortie.

MORISSEAU, le retenant.

Un instant ! Tu ne partiras pas ! je ne veux pas que tu partes.

DELIGNY.

Écoute. À toi, je ne veux rien cacher... mais songe que je te confie un secret auquel l’honneur d’une jeune fille est attaché.

MORISSEAU, se frottant les mains.

Ah ! ah !

DELIGNY.

Je t’ai parlé ce matin de Marie, de nos relations à Francfort... eh bien, je ne t’ai pas tout dit :

Air du Château d’Elvire.

   Séduite alors par la promesse
   D’une union qui comblait tous ses vœux,
   Marie écouta ma tendresse
   Et répondit à mes aveux...
   Or, le contrat de mariage
   Que je sollicite en ce jour,
   Au temps de mon premier voyage,
   Fut déjà signé par l’amour.

MORISSEAU.

Ah ! bah ! ah ! bah !

DELIGNY.

Oui, et je venais ici pour une réparation.

MORISSEAU, d’un ton pénétré.

C’est bien, ça, c’est bien, ça.

DELIGNY.

Eh bien, croirais-tu que maintenant elle refuse de me reconnaître ?

MORISSEAU, gaiement.

Ah ! elle veut se moquer de toi ! Ah ! ah !

DELIGNY.

Comment, tu ris ?

MORISSEAU, tout en riant.

Conviens aussi que c’est drôle, une femme qui... enfin une femme que... et qui ne veut pas vous reconnaître... Ah ! c’est drôle ! si, c’est drôle ! si, si !

DELIGNY.

Mais écoute-moi. Je lui ai déclaré fort sérieusement que je partais, que je partais pour toujours, Morisseau, et pas une parole, pas un regard pour me retenir... Toujours la même réponse : Je ne vous ai jamais vu !

MORISSEAU, éclatant.

Ah ! ah !

DELIGNY.

Tu es insupportable !

MORISSEAU.

Dun mot j’arrangerai l’affaire. Ah ! ah !

DELIGNY.

Elle niait avec tant d’assurance, de vérité, que, si je n’étais pas bien sûr, je croirais que je me suis trompé...

MORISSEAU, très gaiement.

Admirable !

DELIGNY.

Qu’une ressemblance...

MORISSEAU, effrayé.

Hein ?

DELIGNY.

Oui, que j’ai été la dupe d’une ressemblance, d’une illusion.

MORISSEAU, de même.

Eh mais ! eh mais !

DELIGNY.

Eh bien ! qu’as-tu donc ?

MORISSEAU.

J’ai... j’ai...

À lui-même.

Comment, une ressemblance ! Ma femme... elle se nomme Louise... mais à Francfort on l’appelait aussi Marie à cause de la ressemblance.

DELIGNY.

Parleras-tu ? tu m’impatientes !

MORISSEAU.

Non, je ne t’en veux pas.

DELIGNY.

À moi ? pourquoi ?

MORISSEAU.

Tu ne pouvais pas deviner...

DELIGNY.

Mais quoi ?

MORISSEAU.

Puisque c’était avant.

DELIGNY.

Avant quoi ?

MORISSEAU, se ravisant.

Rien.

DELIGNY, avec impatience.

Ah çà ! quelle comédie jouons-nous ? au lieu de me consoler tu commences à me rire au nez, puis subitement, sans motif, tu te montes, tu soupires. En vérité, tu ferais perdre patience...

MORISSEAU, se promenant à grands pas.

Allons, du sang-froid, du courage... fais comme moi, je suis calme... tu vois, je suis très calme.

DELIGNY.

Toi, tu n’as aucunes raisons.

MORISSEAU.

Aucunes raisons ? mais cette jeune fille que tu as aimée, il y a trois ans, à Francfort, et qui... enfin ce n’est pas Marie.

DELIGNY.

Ce n’est pas Marie !.. Allons donc, tu es fou !

MORISSEAU, dramatiquement.

Cette ressemblance dont tu parlais tout à l’heure... eh bien, elle existe.

DELIGNY.

Serait-il possible ? Oh ! non, c’est elle, je l’ai reconnue aux battements de mon cœur.

MORISSEAU, avec éclat.

Ah ! bah ! les battements de ton cœur ! laisse-moi donc tranquille avec tes battements ! je te dis que ce n’est pas elle.

DELIGNY.

Mais qui donc, alors ?

MORISSEAU, dramatiquement.

Qui ? tu me demandes qui ? Tiens, tu vas frémir ; c’est...

DELIGNY.

Eh bien, c’est...

MORISSEAU, se ravisant, furieux.

Qu’est-ce que ça te fait ? C’est vrai... tu es là... tu me tires les paroles... Eh bien, non, tu ne le sauras pas, tu ne le sauras jamais.

DELIGNY.

Cependant...

MORISSEAU.

À quoi cela te servirait-il ?

DELIGNY.

À l’épouser.

MORISSEAU.

À l’épouser ? c’est trop fort. Mais tu ne veux donc pas comprendre que...

DELIGNY.

Que quoi ?

MORISSEAU, avec éclat.

Que rien.

DELIGNY, s’emportant.

Oh ! c’en est trop !

MORISSEAU.

Voyons, mon ami, sois raisonnable... je me trompe peut-être, vois-tu, il se peut que ce soit Marie, il se peut aussi que ce soit l’autre... ou bien...

Chaudement.

Est-ce que je sais, moi ?

DELIGNY, de même.

Ah çà ! que signifie ? en vérité, tu serais intéressé dans cette affaire ?

MORISSEAU, s’oubliant.

Certainement que j’y suis intéressé...

Se reprenant.

par l’intérêt que je te porte... Mais il faut absolument que ce mystère s’éclaircisse, ça ne peut pas durer longtemps comme ça... je souffre, je suis irrité, agacé... de te voir si inquiet. Pauvre ami, va... Je vais trouver la tante Valden, et je saurai d’elle si c’est Marie ou l’autre qui... car enfin tu ne peux rester dans cette position-là, je le comprends comme toi, mieux que toi peut-être !

DELIGNY.

Cours donc, car je suis impatient.

MORISSEAU.

C’est cela, j’y vais.

DELIGNY.

Air de Brune et Blonde. (Loïsa Puget.)

   À toi je me livre...

MORISSEAU.

   J’ouvrirai le livre
   De ton destin ;
   Il faut que la tante,
   D’humeur complaisante,
   S’explique enfin.

DELIGNY.

   Tu comprends, mon cher, mon inquiétude
   Ne peut pas durer, c’est trop d’un moment.

MORISSEAU.

   Je m’en vais courir, car l’incertitude
   Est, à mon avis, un cruel tourment.

Ensemble.

DELIGNY.

   À toi je me livre ;
   Ouvre donc le livre
   De mon destin.
   Il faut que la tante,
   D’humeur complaisante,
   S’explique enfin.

MORISSEAU.

   À moi s’il se livre,
   J’ouvrirai le livre
   De son destin,
   Il faut que la tante,
   D’humeur complaisante,
   S’explique enfin.

Morisseau sort par la droite.

 

 

Scène XI

 

DELIGNY, seul

 

En vérité, je ne sais que croire... cette ressemblance, la conduite de Marie à mon égard. Morisseau dirait-il vrai ?... Oh, oui. celle que j’ai aimée n’est pas celle qui me parlait si cruellement ce matin, et cependant, ces traits... Voici Morisseau et Madame Valden... ma présence pourrait les gêner ; je n’aurai garde de retarder l’explication de cette énigme. Les voici !

Il sort par le fond.

 

 

Scène XII

 

MORISSEAU, MADAME VALDEN, qu’il entraîne par le bras

 

MADAME VALDEN.

Mais laissez-moi donc, Morisseau... je vous dis que ma carpe est dans la poêle.

MORISSEAU.

Eh bien ! qu’elle y reste, dans la poêle ? je n’ai plus faim.

MADAME VALDEN.

Mais lâchez-moi donc !

MORISSEAU, d’un ton solennel.

Je n’ai pas voulu m’expliquer devant cette cuisinière, mais maintenant que nous voilà seuls, écoutez-moi !

MADAME VALDEN, regardant vers la cuisine.

Oui... pourvu qu’elle ne laisse pas brûler...

MORISSEAU.

Laissez-moi un peu tranquille avec votre carpe, je vous en supplie. Songez que le bonheur de toute ma vie est attaché à la question que je vais vous faire.

MADAME VALDEN.

Ah ! mon Dieu !

MORISSEAU, d’un ton solennel.

Laquelle de vos deux nièces, de Louise ou de Marie, passa trois mois à Francfort, il y a trois ans ? Répondez-moi catégoriquement.

MADAME VALDEN.

Voilà tout ?... c’est facile, attendez... vous me demandez laquelle ?

MORISSEAU, criant.

Oui, laquelle, il y a trois ans ?

MADAME VALDEN.

J’entends bien, mais je cherche... il y a trois ans... mon Dieu ! mon Dieu !

MORISSEAU, très haut.

Oui, trois ans, à Francfort... trois mois... cherchez bien.

MADAME VALDEN.

Ô mon Dieu ! je le tenais... mais vous criez aussi... c’est votre faute... je ne sais plus... je l’avais sur la langue...

Cherchant.

Il ! y a trois ans...

MORISSEAU, très bas.

Oui, à Francfort, chez Madame Rosbach... cherchez !

MADAME VALDEN.

Chez Madame Rosbach... c’est étonnant comme je perds la mémoire.

MORISSEAU, à part.

Elle s’en aperçoit !

MADAME VALDEN.

Ah ! oui, oui, je crois que c’est Louise.

MORISSEAU, atterré.

Ma femme !

MADAME VALDEN.

Attendez, attendez donc... c’est peut-être Marie... Oui, je crois plutôt...

MORISSEAU.

Ah ! décidez-vous... vous me faites mourir.

MADAME VALDEN.

Non, non ! je me souviens maintenant... ce n’est pas Marie, c’est Louise.

MORISSEAU, à part.

Enfin, je tiens la preuve !

MADAME VALDEN.

Et je vais vous dire ce qui me fait croire que c’est Louise, c’est qu’à cette époque, j’ai mis dans son petit paquet, que j’ai fait moi-même, une robe cerise... vous savez, une robe cerise ?

MORISSEAU, impatient.

Oui, oui, après ?

MADAME VALDEN.

Eh bien ! elle m’est revenue toute déchirée.

MORISSEAU.

Qui ?

MADAME VALDEN.

La robe cerise.

MORISSEAU.

Ah !

MADAME VALDEN.

Cette pauvre Marie était désolée.

MORISSEAU.

Louise, vous voulez dire.

MADAME VALDEN.

Non, Marie... c’est Marie qui avait une robe cerise.

MORISSEAU.

Mais vous m’avez dit Louise.

MADAME VALDEN.

C’est possible... je ne me rappelle plus trop si c’est Louise ou Marie... peu importe !

MORISSEAU.

Comment ! peu importe !

MADAME VALDEN.

Pour vous achever l’histoire, comme cette robe était toute déchirée, devinez ce que j’en ai fait... Oh ! ça, je me le rappellerai toujours.

MORISSEAU.

Mais dites-moi donc laquelle...

MADAME VALDEN, avec satisfaction.

Des tabliers ! des tabliers !

MORISSEAU, avec éclat.

Oh ! que le diable l’emporte, elle, sa robe cerise et ses tabliers !

Haut.

Ma tante, voulez-vous me répondre ?

MADAME VALDEN.

Je vous ai dit ce que je savais ; mais expliquez-vous, car je ne comprends pas pourquoi...

MORISSEAU.

Ce n’est pas nécessaire.

MADAME VALDEN.

Mais si, je veux savoir au moins...

MORISSEAU.

Vous le voulez, c’est vous qui insistez, eh bien, apprenez donc, malheureuse tante, apprenez que Louise ou Marie, il y a trois ans, a été à Francfort, et si c’était ma femme... vous comprenez... saperlotte !

MADAME VALDEN, sans comprendre.

Oui.

MORISSEAU.

Jugez s’il est important que je connaisse la vérité... ainsi, parlez, je vous écoute. Allez, allez, allez !

MADAME VALDEN, naïvement.

C’est étonnant... je n’ai rien compris du tout à votre anecdote.

MORISSEAU, très monté.

Oh ! c’est trop fort... eh bien, je vous déclare que s’il me fallait aujourd’hui épouser votre nièce Louise, j’aimerais mieux me donner au diable !... Ah ! comprenez-vous à présent ?

MADAME VALDEN, furieuse.

C’est une indignité !... me parler ainsi !... vous êtes un ingrat, un mauvais sujet !

MORISSEAU.

Allez ! allez !

MADAME VALDEN.

Vous n’êtes pas digne d’un pareil trésor... car votre femme est un ange.

MORISSEAU, se promenant à grands pas.

Oh !

MADAME VALDEN.

Une sainte... qui vaut dix fois mieux que vous, qui ne valez rien.

MORISSEAU.

Voilà le bouquet !

Ensemble.

Air.

MADAME VALDEN.

   C’est affreux, ce propos étrange
   Allume mon juste courroux ;
   Ma pauvre nièce, un pareil ange !
   Était digne d’un autre époux.

MORISSEAU.

   Oui, c’est trop fort, et ces louanges
   Ne font qu’augmenter mon courroux ;
   Au diable soient de pareils anges,
   Pour le bonheur de leurs époux.

MADAME VALDEN.

   À vos vœux j’eus tort de me rendre,
   Puisque vous faites son malheur.

MORISSEAU.

   Si vous tenez à la reprendre.
   Je vous la rendrai de grand cœur.

Reprise de l’ensemble.

 

 

Scène XIII

 

MORISSEAU, MARIE, MADAME VALDEN

 

MARIE, entrant.

Comment, comment, une querelle... je suis sûr que c’est mon cousin qui a tort.

MORISSEAU.

C’est ça, ils ont bon dos, les cousins !

À part.

C’est comme les maris.

MADAME VALDEN.

Oui, c’est lui qui a tort... tu ne sais pas ce qu’il vient de me dire ? qu’il aimerait mieux se donner au diable que d’épouser ta cousine, si ce mariage était à refaire.

MARIE, à part.

Ô mon Dieu, est-ce qu’il se douterait...

Haut, avec reproche.

Comment, Morisseau, vous disiez cela, vous qui êtes si gentil quand vous voulez ?

MORISSEAU.

Gentil ! vous croyez que c’est facile quand on a une femme qui... a été à Francfort.

MARIE, à part.

Il sait tout.

Haut.

Eh bien ! quel mal y a-t-il à cela ?... moi aussi j’y suis allée à Francfort... et je n’en suis pas morte.

MORISSEAU.

Je sais bien qu’on n’en meurt pas, parbleu.

MARIE.

Allons, voyons, votre main... faites la paix.

MORISSEAU.

Je n’en veux pas à la tante Valden, mais je voudrais savoir laquelle ?...

MADAME VALDEN, à Marie.

Tu vois... il recommence.

MORISSEAU, hors de lui.

Mais oui... sapristi... et je recommencerai jusqu’à ce que je sache.

MADAME VALDEN.

Mais pourquoi, je te demande un peu pourquoi cet entêtement ?

MARIE, à part.

Je le sais, moi... ces lettres m’ont tout appris... mais lui... qui a pu l’instruire ?...

MORISSEAU.

C’est bien décidé... vous ne voulez pas me dire le fin mot, n’est-ce pas ?

MARIE.

Encore !

Madame Valden remonte la scène.

MORISSEAU, câlinant.

Voyons, ma petite cousine... vous qui êtes bien bonne... dites-moi, là, franchement, si vous avez été, il y a trois ans, à Francfort.

MARIE.

Mais oui... puisque j’y vais chaque année.

MORISSEAU, mystérieusement.

Avec une robe cerise ?

MARIE.

Oh ! je ne me rappelle plus.

MORISSEAU, avec emportement.

Encore ! ils ne se rappellent rien dans cette famille-là... il n’y a que moi qui ai de la tête.

À part.

Malheureusement.

MARIE, à part.

Que faire pour détourner ses soupçons ?

MORISSEAU.

Au fait, ça ne peut pas être vous... vous auriez reconnu Deligny tout de suite.

MARIE, mystérieusement.

Deligny ! chut !

MORISSEAU, bas.

Hein ? quoi ? est-ce que...

MARIE, de même.

Silence... je vous en supplie.

MORISSEAU, de même.

Bien, bien.

MARIE, de même.

Maintenant que vous voilà dans le complot... soyez discret.

MORISSEAU.

Oui.

À part.

Je ne comprends pas davantage, mais je suis dans le complot !

 

 

Scène XIV

 

MARIE, DELIGNY, MORISSEAU, MADAME VALDEN

 

DELIGNY.

Vous voilà en famille... mille pardons, si je vous dérange.

MADAME VALDEN.

Il n’y a pas de mal, monsieur Deligny, il n’y a pas de mal...

À part.

Voilà un mari qui sera plus aimable que l’autre.

DELIGNY, bas à Morisseau.

Eh bien ! sais-tu quelque chose ?

MORISSEAU, bas.

Rien... chut !

MARIE, à part.

Il faut pourtant bien le lui dire.

Bas à Deligny.

Je voudrais vous parler, à vous seul, monsieur.

DELIGNY.

À moi ?...

Bas à Morisseau.

Il faut que tu éloignes Madame Valden... Marie veut me parler.

MORISSEAU.

Enfin, nous allons tout savoir.

DELIGNY, lui faisant signe de sortir.

Mais... toi aussi.

MORISSEAU.

Ah !...

À part.

Comme ça, je ne saurai rien si je m’en vais...

Regardant le rideau à droite.

Oh ! une idée !... voilà qui est adroit...

Haut.

Eh bien ! et le déjeuner !... nous sommes là à nous regarder ; j’ai faim, moi... est-ce que votre carpe frit toujours, tante Valden ?... Ah !... ah !... Eh mais ! il me semble que ça sent le brûlé.

MADAME VALDEN, courant vers la porte de droite.

Ah ! mon Dieu ! c’est ma friture ! c’est ma friture !...

MORISSEAU, la suivant.

C’est sa friture à la tante Valden... c’est sa friture... Ma tante, je vous suis.

MADAME VALDEN.

Vous ?

MORISSEAU, près de la porte.

Oui.

Bas.

Ne dites rien.

Madame Valden sort à droite, Morisseau fait une fausse sortie et se cache derrière le rideau à droite.

 

 

Scène XV

 

MARIE, DELIGNY, MORISSEAU, derrière le rideau

 

DELIGNY.

Vous m’avez ordonné de rester, mademoiselle, je vous écoute.

MORISSEAU, à part.

D’ici, je pourrai tout entendre.

DELIGNY.

Vous hésitez, mademoiselle, vous tremblez, rassurez-vous ; je ne suis pas venu ici pour vous imposer un amour que vous ne partagez pas, c’est à moi d’implorer mon pardon. Mon langage de ce matin a dû vous choquer, mais j’ai été le jouet d’une fatale illusion. Oui, mademoiselle, la jeune fille que j’ai aimée, ce n’est pas vous.

MARIE.

C’est pour vous apprendre toute la vérité, monsieur, que je vous ai demandé un entretien.

MORISSEAU.

Ah ! enfin !

DELIGNY.

Parlez, mademoiselle, je suis préparé à vous entendre. Je sais déjà la moitié du secret ; ôtez-moi ma dernière espérance en me le confiant tout entier. Nommez-la-moi, cette femme qui n’a maintenant à mes yeux d’autre mérite que celui de vous ressembler. Indiquez-moi sa retraite, et quelle que soit l’impression que vous ayez produite sur mon cœur, je saurai faire mon devoir.

MORISSEAU, avec impatience, à part.

Bavard !

MARIE.

Oui, monsieur, oui, vous êtes bien coupable, plus coupable que vous ne le pensez peut-être.

DELIGNY.

Que dites-vous ?

MARIE.

Trois ans d’abandon ! trois ans d’oubli ! à quoi l’avez-vous exposée ?

MORISSEAU, de même.

Allons, ça y est, c’est ma femme, ça y est !

DELIGNY.

Achevez.

MARIE.

Eh bien ! celle que vous avez vue à Francfort chez Madame Rosbach.

MORISSEAU.

Je ferais mieux de m’en aller.

DELIGNY.

De grâce...

MARIE.

Eh bien ! c’est...

Apercevant Morisseau, à part.

Morisseau ! Dieu !

DELIGNY.

C’est...

MARIE, résolument.

C’est moi !

DELIGNY.

Vous !

MORISSEAU.

Ah bah !

MARIE.

C’est moi !

MORISSEAU, avec joie.

Voilà le fin mot !

DELIGNY.

Oh ! mais non, je rêve sans doute, c’est encore un jeu. Oh ! qui que vous soyez, ne me trompez pas... Marie ! Oh ! non, non, ce matin... cette froideur... cette indifférence...

MARIE, à part.

Voilà qu’il ne me croit pas, maintenant.

DELIGNY.

Marie ne m’aurait pas fait ce chagrin.

MARIE, à part.

Profitons des lettres que j’ai lues pour le convaincre.

DELIGNY.

Marie était si bonne... elle m’aimait tant... aussi j’aurais donné ma vie pour elle.

MARIE.

Elle s’en souvient. Sur un mot, sur un regard... que de fois vous êtes-vous jeté au-devant des plus grands dangers ?... Oh ! vous étiez bien étourdi, bien téméraire, monsieur, par exemple... une fois, à la promenade... ce jeune officier qui me suivait toujours et qui un soir osa me parler... Eh bien ! pour cela seul, vous l’avez provoqué, insulté, et malgré tout, malgré mes prières, malgré mes larmes, vous vous êtes battu... Oh ! vous avez été blessé... là... au bras droit.

DELIGNY.

Mais il vous a fait des excuses !

MARIE.

Oh ! je vous en ai bien voulu d’abord... mes lettres... étaient pleines de reproche... vous savez... mais plus tard... Oh ! non, voyez-vous, ces choses-là elles vivent à jamais au fond du cœur... n’est-ce pas, Édouard ?

DELIGNY.

Édouard ! oh ! c’est elle, c’est elle.

Air : Quand les oiseaux du voisinage.

   Ce nom n’a-t-il rien qui vous touche,
   Il vous enivrait autrefois ;
   Et quand il tombait de ma bouche
   Tous restiez tremblant sous ma voix !
   J’ai même appris à l’écrire
   Sur cet arbre si discret
   Où notre amour s’abritait...
   Ce doux passe qui m’inspire
   Sur vous n’a donc plus d’empire ?
   Se peut-il que tant de bonheur
   Soit effacé de votre cœur ? (bis.)

DELIGNY, transporté.

Oh ! pardon, pardon, Marie, d’avoir tant hésité à te reconnaître.

MARIE.

Chut ! si on vous entendait !

DELIGNY.

Oh ! c’est que je suis ivre de joie, de bonheur... ma femme, ma chère petite femme !

MARIE, à part.

Sa femme !

MORISSEAU, de même.

Est-ce qu’ils n’ont pas bientôt fini ?

DELIGNY.

Je vais terminer avec Madame Valden, et nous ne nous quitterons plus.

MARIE, l’arrêtant.

Il serait peut-être plus convenable d’attendre un peu !

À part.

Le temps de le détromper !

DELIGNY.

Pourquoi retarder l’accomplissement...

MARIE.

Silence ! on vient.

MORISSEAU, de même.

Si je sortais on se moquerait de moi.

 

 

Scène XVI

 

DELIGNY, MARIE, MADAME VALDEN, MORISSEAU

 

MADAME VALDEN.

À table ! le déjeuner est servi... Où donc est Morisseau ?

DELIGNY.

Dans le jardin sans doute... il nous quitte à l’instant même.

MORISSEAU, à part.

Menteur !

MADAME VALDEN.

Ma foi, tant pis pour lui, la friture n’attend pas ; mettons-nous à table.

MORISSEAU.

Est-ce qu’ils vont déjeuner sans moi ? j’ai une faim...

 

 

Scène XVII

 

DELIGNY, MARIE, MADAME VALDEN, JEAN, MORISSEAU, derrière le rideau

 

JEAN, entrant.

Une lettre de Francfort pour M. Morisseau.

MORISSEAU, se montrant.

De ma femme !... donne.

TOUS.

Morisseau !

MORISSEAU, à part.

Ils m’ont vu !

MADAME VALDEN.

Que faisiez-vous donc là ?

MORISSEAU.

Moi ? rien... je... j’attendais le déjeuner.

DELIGNY.

Ah ! tu nous écoutais !

JEAN, à part.

C’est comme moi quand je balie.

Il sort.

MORISSEAU.

Eh bien, oui, j’en conviens, c’est très mal. Chère petite femme, un ange de vertu.

À Madame Valden.

Dites donc, la robe cerise, c’était à Marie.

MADAME VALDEN.

Eh bien, je vous l’ai toujours dit.

MORISSEAU.

Vous ?

À part.

Au fait, elle est sourde ; elle ne peut pas se rappeler.

MARIE.

Eh bien, regrettez-vous encore d’avoir épousé Louise ?

MORISSEAU.

Oh Dieu ! ce serait à refaire...

À part.

Me mettre en tête des idées pareilles au moment où elle s’occupe de moi.

Il lit la lettre.

Je suis un misérable !

Haut.

Tiens, Deligny, vois donc ce qu’elle m’écrit.

MARIE, vivement.

C’est inutile !

MORISSEAU.

Si, si, je veux qu’on sache...

MARIE.

Morisseau, arrêtez.

En ce moment Morisseau remet la lettre à Deligny. À part.

Tout est perdu.

DELIGNY.

Comment ! c’est... c’est là l’écriture de ta femme !

MORISSEAU.

Oui, belle main, n’est-ce pas ?

DELIGNY, bas à Marie.

Oh ! Marie, vous me trompiez !

MARIE, de même.

Il fallait sauver ma cousine, Morisseau nous écoutait.

DELIGNY, de même.

Quoi ! vous saviez, et je n’ai pas compris ! et tout cela n’était qu’un jeu !

MORISSEAU.

Eh bien ! à quand la noce ?

MADAME VALDEN.

Quelle noce ?

MORISSEAU, gaiement.

Ah ! oui, toujours...

Criant.

la noce de mon ami Deligny avec...

MADAME VALDEN.

Ah ! à propos ! Eh bien, cela peut s’arranger si vous êtes d’accord.

DELIGNY.

Mais à peu près !

Bas à Marie.

Je ne puis pas détromper Morisseau.

MORISSEAU, tendant la main à Marie.

Petite cousine, je vous invite pour la première contredanse.

MARIE, hésitant.

Mais...

DELIGNY, bas à Marie.

Ne faut-il pas sauver votre chère Louise ?

MORISSEAU.

Qu’est-ce que je dis donc ? la première, c’est pour le mari. Petite cousine, je vous invite pour la seconde.

DELIGNY, bas à Marie qui hésite.

Un mot pour sa réputation, un mot pour mon bonheur.

MARIE, regardant Deligny et tendant la main à Morisseau.

J’accepte.

MORISSEAU.

C’est pour le coup que j’ai faim... ça m’a repris.

ENSEMBLE.

Air du Forgeron.

   Allons, plus de crainte
   Et plus de contrainte,
   Car nous savons la vérité ;
   Assez de tristesse,
   Assez de détresse,
   Et reprenons notre gaîté.

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