La Chasse du cerf (Marc-Antoine LEGRAND)

Comédie-Ballet en trois actes et un prologue, en prose.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 14 octobre 1726.

 

Personnages du Prologue

 

MADEMOISELLE DU FRESNE, Comédienne

MADEMOISELLE LA MOTTE, Comédienne

MADEMOISELLE DU BOCAGE,  Comédienne

MONSIEUR LEGRAND, Comédien

UN AUTEUR

 

La Scène est dans les Foyers de La Comédie.

 

Personnages de la Comédie

 

L’AMOUR

DIANE.

DORIS, Nymphe de Diane

AGLANTE, Nymphe de Diane

SILVIE, Nymphe de Diane

LUCINETTE, Nymphe de Diane

ACTÉON, Prince Thébain

HILACTOR, Chasseur, Ami d’Actéon

CÉLIDAN, Chasseur, Ami d’Actéon

LICAS, Valet de Limier

ZACORIN, Domestique d’Actéon

DROMONT, Garde-Chasse de Diane

LE SOMMEIL et SA SUITE

TROUPE DE SONGES

TROUPE DE NIMPHES DE DIANE

TROUPE DE SILVAINS.

TROUPE DE PIQUEURS

 

La Scène est dans la Forêt de Gargaphe.

 

 

PROLOGUE

 

 

Scène première

 

MESDEMOISELLES DU FRESNE, LA MOTTE et DU BOCAGE, assises chacune sur un fauteuil, restant un temps à se regarder sans rien dire

 

MADEMOISELLE DU FRESNE.

Hé bien, Mesdemoiselles, resterons-nous encore longtemps dans ce profond silence ? Trois femmes ensemble depuis un quart d’heure sans parler ! Voilà ce qui ne s’est jamais vu.

MADEMOISELLE LA MOTTE.

Que voulez-vous que nous disions ? la situation où nous nous trouvons, nous coupe la parole : voilà la moitié de notre Troupe partie, et il nous faut jouer la Comédie ; nous ne manquons point de zèle, mais il nous faut des Pièces et des Acteurs pour les exécuter.

MADEMOISELLE DU FRESNE.

Je suis aussi chagrine que vous, mais pour cela, il ne faut rien perdre de nos droits, il faut parler.

MADEMOISELLE DU BOCAGE.

Parlons, Mesdemoiselles, parlons, et cherchons du moins un remède à tout ceci.

MADEMOISELLE LA MOTTE.

Il nous faudrait d’abord un bon Auteur.

MADEMOISELLE DUFRESNE.

Où le trouver ? vous savez bien que ceux du premier rang veulent prendre tous leurs avantages, et ne distribuer leurs rôles qu’aux premiers Acteurs ; ainsi, nous ne pouvons avoir que des Auteurs du second ordre ? Songeons à autre chose. Si nous jouons cette Tragédie qu’on nous a proposée ?

MADEMOISELLE DU BOCAGE.

Ah ! fi donc ! du sérieux ! nous ferions rire. Jouons plutôt cette Comédie en cinq actes, qu’on a reçue dernièrement.

MADEMOISELLE DU FRESNE.

Fort bien, pour faire bâiller tout le monde : elle est encore plus sérieuse que la Tragédie.

MADEMOISELLE LA MOTTE.

Pour moi, si j’en étais crue, nous jouerions la Pastorale : cela est si joli, une Pastorale !

MADEMOISELLE DU BOCAGE.

Encore une Pastorale.

MADEMOISELLE DU FRESNE.

Mais il n’était pas nécessaire de rompre le silence, pour nous trouver toutes trois d’un avis contraire.

Toutes trois ensemble.

MADEMOISELLE DU FRESNE.

Mais, vous avez beau dire, pour moi je suis pour la Tragédie.

MADEMOISELLE DU BOCAGE.

Et moi, je vous conseille de jouer au plutôt la Comédie.

MADEMOISELLE LA MOTTE.

Je n’en démordrai point, et l’on jouera la Pastorale.

MADEMOISELLE DU FRESNE.

Fort bien, parlons toutes trois ensemble, cela sera encore mieux.

 

 

Scène II

 

MONSIEUR LEGRAND, MESDEMOISELLES DU FRESNE, LA MOTTE, DU BOCAGE

 

MONSIEUR LEGRAND.

Comment donc ! Mesdames, quand toute la Troupe serait ici, on n’entendrait pas plus de bruit ?

MADEMOISELLE DU FRESNE.

Il y a de la différence ; nous ne disputons que pour le bien du général, et il n’y a point entre nous d’intérêt particulier.

MONSIEUR LEGRAND.

De quoi s’agir-il donc ?

MADEMOISELLE DU FRESNE.

Vous voyez l’embarras où nous sommes, et je proposais à ces Dames de jouer cette Tragédie que la grande Troupe a refusée.

MONSIEUR LEGRAND.

Hé bien, Mesdemoiselles, y a-t-il de la raison là-dedans ? Comment pouvez-vous vous flatter, avec le petit nombre d’Acteurs que nous sommes ici, de faire réussir une Tragédie que la Troupe en général na pas trouvée jouable ?

MADEMOISELLE DU BOCAGE.

N’est-ce pas vrai, Monsieur, que nous ferions mieux de jouer cette Comédie en cinq actes, que l’on trouve si bien écrite ?

MONSIEUR LEGRAND.

Cela est trop sérieux pour ce temps-ci, où le Public n’attend que des bagatelles qui l’amusent.

MADEMOISELLE LA MOTTE.

C’est mon sentiment. Il ne faut que des bagatelles ; et c’est ce qui me faisait proposer cette Pastorale.

MONSIEUR LEGRAND.

Hé, Mademoiselle, nous venons d’en jouer une.

MADEMOISELLE LA MOTTE.

Hé bien ! Monsieur, cette nouveauté n’a-t-elle pas fait plaisir ?

MONSIEUR LEGRAND.

Oui, elle a réussi. Mais ce n’est point là du tout ce qu’il nous faut, nous n’avons besoin à présent que d’une Pièce Comique en trois actes, avec des Divertissements, qui puisse dédommager Paris des spectacles qui lui manquent ; nous en avons une toute prête dans ce goût-là.

MADEMOISELLE DU FRESNE.

Oui-dà ! allez l’exposer sur votre Théâtre.

MONSIEUR LEGRAND.

Pourquoi non ? elle y sera aussi bien exécutée que partout ailleurs. On pourra la trouver mauvaise, mais peut-être on y rira, et si l’on y rit on y reviendra ; et j’aime mieux cela, que ces grandes Pièces ennuyantes, vantées par quelques beaux esprits, amis de l’Auteur, parce qu’elles sont dans toutes les règles d’Aristote ; le Public n en dit point de mal, mais il ne les voit pas deux fois.

MADEMOISELLE DU FRESNE.

Il a encore raison.

MONSIEUR LEGRAND.

Croyez-moi, Mesdames, après avoir vu réussir Arlequin sur notre Théâtre, nous y pouvons tout hasarder, et surtout, comme je vous ai dit, dans un temps où Paris n’a ni Troupe Italienne, ni Opéra Comique. Mais voici justement l’Auteur de la Pièce en question.

 

 

Scène III

 

UN AUTEUR, MONSIEUR LEGRAND, MESDEMOISELLES DU FRESNE, LA MOTTE, DU BOCAGE

 

L’AUTEUR.

Comment donc, Mesdames, je viens, tout exprès, de la Campagne pour voir jouer ma Pièce au jour préfix, que vous m’avez marqué, et je ne la vois pas seulement affichée.

MONSIEUR LEGRAND.

Oh ! pour cela, ce ne serait pas la première fois que nous aurions manqué de parole ; vous êtes encore bien heureux que nous ne vous payons pas de quelque indisposition.

L’AUTEUR.

Cela serait cruel, que l’on ne joua pas ma Pièce, lorsque j’ai fait avertir tous mes amis de venir l’applaudir aujourd’hui.

MONSIEUR LEGRAND.

Ces Demoiselles en proposaient d’autres ; mais j’ai tenu bon pour la vôtre.

L’AUTEUR.

Et quelles raisons avaient-elles de ne la vouloir point représenter ?

MADEMOISELLE DU FRESNE.

Pour moi, Monsieur, je vous dirai franchement, que j’y trouve des Scènes un peu trop badines et trop folâtres pour notre Théâtre.

L’AUTEUR.

Plaisant scrupule ! et c’est avec des Pièces dans ce goût-là, que les autres Théâtres vous ruinent les trois quarts de l’année. Je crains bien plutôt qu’on ne trouve ma Pièce trop sérieuse dans des endroits ; car enfin, aujourd’hui on veut rire.

MADEMOISELLE LA MOTTE.

La Chasse du Cerf ! le plaisant titre !

L’AUTEUR.

Je l’ai mis exprès, pour faire passer quelques termes de Chasse que j’ai hasardés, et qui ne seront peut-être pas entendus de tout le monde. J’aurais pu fort bien intituler ma Pièce la Vengeance de l’Amour, mais c’est un titre trop vague et trop usé.

MADEMOISELLE DU BOCAGE.

Quoi, Monsieur, vous n’avez point retranché tous vos termes de Chasse comme on vous l’avait conseillé ?

L’AUTEUR.

Non pas entièrement, Mademoiselle, il a bien fallu en conserver quelques-uns qui sont absolument nécessaires au sujet.

MADEMOISELLE LA MOTTE.

À propos de sujet, je trouve le vôtre bien bizarre.

L’AUTEUR.

Tant mieux, il en sera trouvé plus nouveau. Voulez-vous toujours des Tantes dupées par leurs Nièces, des Amants supplantés par des Rivaux, des Procureurs trompés par leurs Femmes, et des Notaires gagnés pour faire le dénouement ? Cela est trop commun, et l’on ne voit que cela dans la plupart des Pièces d’aujourd’hui.

MONSIEUR LEGRAND.

Monsieur a raison, et si vous m’en croyez, nous jouerons tout à l’heure sa Pièce telle qu’elle est ; aussi bien tout était prêt pour la répéter.

MADEMOISELLE DU FRESNE.

Quoi ! sans l’avoir annoncée ni affichée ?

MONSIEUR LEGRAND.

Et qu’importe, nous surprendrons le Public, et nous ne serons pas les premiers Comédiens qui se seront servis de ce stratagème pour prévenir les cabales. Croyez-moi, allons promptement nous habiller.

L’AUTEUR.

Ah ! voilà la frayeur qui me prend, Messieurs, mes chers amis, que j’ai postés dans le Parterre pour applaudir, je me recommande à vous ; faites bien votre devoir je vous prie, et avertirez vos voisins à propos aux endroits où il faudra battre des mains.

 

 

ACTE I

 

Le Théâtre représente une Forêt ; on voit une Montagne en perspective, au bas de laquelle coule un Ruisseau.

 

 

Scène première

 

L’AMOUR, seul

 

Enfin j’ai pénétré dans la Forêt de Diane, malgré les ronces et les épines qui m’en défendaient l’entrée : les Sylvains m’ont reçu à bras ouverts, et m’ont, tour-à-tour, caché dans les troncs de leurs arbres ; il ne me reste plus qu’à percer le Fort où la Déesse tient ses Nymphes renfermées. Quel plaisir de me venger de cette Divinité fière et farouche, qui me décrédite partout ! Si elle a assez de puissance pour braver mes traits, je trouverai bien le moyen de rendre ses Nymphes sensibles pour les Dieux de ces Forêts : ils ont imploré mon assistance, et je ne puis leur refuser mon secours, après l’accueil qu’ils m’ont fait. Voici Zacorin, le Valet, ou plutôt le fou d’Actéon, que j’ai déjà rendu éperdument épris de Lucinette, la plus aimable des Nymphes de Diane : je veux rendre le Maître encore plus amoureux de la Déesse. Oui, je veux qu’Actéon aime Diane. Les rigueurs qu’elle exercera sur lui le puniront d’avoir, de son côté, bravé jusqu’ici mon Empire. Enfin je ne puis faire trop de ravage dans des lieux où l’on a si longtemps méprisé ma puissance.

 

 

Scène II

 

ZACORIN, seul

 

Je ne sais ce que cela veut dire ; je n’ai pu fermer l’œil de toute la nuit : ce n’est pourtant pas manque de fatigue. Il nous a fallu coucher tous en fin fond de la forêt pour requêter à la pointe du jour le Cerf qu’Actéon manqua hier. Mais l’aurore commence à paraître, et voici déjà Hilactor et Célidan, les amis d’Actéon mon Maître.

 

 

Scène III

 

HILACTOR, CÉLIDAN, ZACORIN

 

HILACTOR.

Ah ! c’est toi, Zacorin ; que fais-tu là ?

ZACORIN.

Je rêve en attendant le réveil.

HILACTOR.

N’as-tu point de nouvelles à nous apprendre ?

ZACORIN.

Je me suis couché sans souper...

HILACTOR.

Cela est assez nouveau en effet. N’as tu vu encore personne ?

ZACORIN.

Non, Seigneur ; mais je crois qu’Actéon arrivera bientôt. C’est ici le lieu du rendez-vous, et il et promis de s’y rendre des premiers.

HILACTOR.

Je voudrais qu’il y fût déjà, car nous ne pouvons nous y prendre de trop bonne heure pour ne pas manquer notre Cerf d’hier.

CÉLIDAN.

Je crois qu’il ne nous donnera pas grande peine aujourd’hui. Nous l’avons laissé à deux, heures de nuit, et il était trop las pour s’être éloigné du lieu où nous l’avons brisé.

HILACTOR.

Je n’ai jamais couru d’Animal plus rusé que celui-là. Combien de fois a-t-il fait bondir le change ! Combien de temps s’est-il obstiné à battre l’eau !

CÉLIDAN.

Ce qui nous a le plus nui, c’est ce relais que Policlès a donné mal à propos.

ZACORIN.

Dites plutôt cette vieille Prêtresse de Minerve qui a traversé notre chemin. Il n’y a rien qui porte guignon aux Chasseurs comme ces sortes de rencontres.

HILACTOR.

Bon ! quels contes !

ZACORIN.

C’est la vérité. Nous n’aurions pas été si malheureux, si nous avions rencontre quelque Nymphe de Vénus.

HILACTOR.

Tu as là, mon pauvre Zacorin, des superstitions bien ridicules.

ZACORIN.

Dites tout ce que vous voudrez : mais j’ai dans la pensée qu’il sera très difficile de revoir aujourd’hui de ce Cerf-là.

HILACTOR.

Et moi, je crois le contraire : il a trop de fois tenu les abois devant nos chiens, pour craindre qu’il prenne désormais le change. Nous l’avons pourchassé, rapproché, relancé ; et si la nuit ne fût venue...

 

 

Scène IV

 

ACTÉON, HILACTOR, CÉLIDAN, ZACORIN, SUITE DE PIQUEURS

 

HILACTOR.

Mais voici Actéon. Quel trouble paraît sur son visage !

ACTÉON.

Ah ! mes chers amis, vous voyez le plus infortuné de tous les mortels ; j’ai perdu enfin ma liberté.

HILACTOR.

Comment, Seigneur ?

ACTÉON.

Je viens de voir Diane pour la première fois, et cette vue m’a mis dans le trouble où vous me voyez.

HILACTOR.

Vous venez de voir Diane !

ACTÉON.

Dans ce même moment ; elle poursuivait à la course un Sanglier terrible ; l’animal, blessé d’un de ses traits, retournait sur elle, quand elle s’est arrêtée pour le percer d’un second qui l’a mis à mort. J’admirais son intrépidité et son adresse, lorsque, détournant sa vue sur moi, elle m’a lancé un regard plein de grâce et de fierté, qui, me pénétrant jusqu’au cœur, ma semblé un trait des plus sensibles. J’en ai tressailli dans le moment ; et, dans un transport dont je n’étais pas le maître, je courais à elle avec moins de respect que d’ardeur, quand elle-même a repris, sa course avec tant de légèreté, que la plante de ses pieds touchait à peine la surface des eaux qu’elle a traversée pour se dérober à ma vue ; j’ai bientôt cessé de la voir : mais son image divine est restée gravée dans mon cœur,, et je suis résolu de tout entreprendre pour la retrouver, la mort dût-elle être le prix de ma témérité.

ZACORIN.

Touchez-là, Monseigneur, je suis dans le même cas que vous.

HILACTOR.

Quoi ! misérable, tu oserais aimer aussi Diane ?

ZACORIN.

Non pas, de par tous les Diables, je ne suis pas si fou ; je me contente d’aimer Lucinette, une de ses jeunes Nymphes, qui ne court pas si vite qu’elle à beaucoup près, et que je rencontrai l’autre jour seule. C’est le plus gentil corsage du monde.

ACTÉON.

Ah ! mon cher Zacorin, tâche de me faire parler à cette petite Nymphe, qu’elle puisse découvrir à Diane ce que je sens pour elle. Je veux, de mon côté, tâcher de gagner Dromont, son Garde-Chasse : il a été autrefois à mon service ; et, quoique rustre, il pourrait...

HILACTOR.

Hé ! Seigneur Actéon, abandonnez, croyez-moi, cette entreprise téméraire ; songez aux malheurs qui vous en peuvent arriver.

ACTÉON.

Tout ce que vous me direz ne servira de rien ; je suis d’un âge à faire des folies, et non des réflexions.

ZACORIN.

C’est bien dit ; et je suis résolu d’être aussi fou que mon Maître.

CÉLIDAN.

Peut-être que le plaisir que nous donnera aujourd’hui la chasse, vous fera oublier cette rencontre malheureuse.

HILACTOR.

C’est bien dit. Il faut donc promptement séparer nos relais. Célidan, rendez-vous sur le chemin de Platée, entre le lieu où nous redonnâmes le Cerf aux chiens, et le Pays d’où nous l’avions amené hier. Que Lincée occupe le Val de Mégare, et que Sidon se tienne au fond de la Forêt. Et nous, Seigneur, partons, pour aller revoir du Cerf dont on nous a fait rapport, et, s’il est véritable, nous irons droit frapper à nos brisées.

 

 

Scène V

 

ZACORIN, seul

 

Laissons-les partir ; et, tandis qu’ils vont courre leur Cerf, tâchons de requêter Lucinette : je n’ai point d’autre Limier que l’Amour, mais j’espère qu’il me conduira vers le Fort où elle a passé sa nuit : en effet j’y découvre des pinces d’une Nymphe de son âge. Courage, Amour, va outre, velcy, vault, vault par les foulées : mais que vois-je ? C’est Dromont, le Garde-Chasse de Diane, tâchons de l’éviter.

 

 

Scène VI

 

ZACORIN, DROMONT

 

DROMONT.

Que je suis malheureux ! Il y a trois jours que je cherche ce maudit Singe qui s’est échappé de la Ménagerie de Diane, et je n’en puis avoir de nouvelles. Mais j’entends remuer quelque chose autour de moi, ne serait-ce point lui ? Non, c’est Zacorin. Que le Diable vous emporte.

ZACORIN.

Pourquoi ?

DROMONT.

Je croyais avoir trouvé notre Singe, et c’est vous.

ZACORIN.

Vous me faites beaucoup d’honneur de m’avoir pris pour lui.

DROMONT.

Ne pensez pas railler, il vous ressemblait comme deux gouttes d’eau.

ZACORIN.

C’était donc un beau Singe ?

DROMONT.

Il était grand comme un âne ; mais il n’en était pas moins gracieux ; toutes nos Nymphes sont au désespoir qu’il soit perdu ; elles lui faisaient mille caresses, il leur faisait mille singeries ; on ne le nourrissait que de confitures et des fruits les plus exquis, et ce chien d’animal s’en est allé sans rien dire.

ZACORIN, à part.

Ah ! morbleu, ce Sera le Singe qu’un de nos gens tua l’autre jour, et dont on a rempli la peau de foin, pour le garder par curiosité.

DROMONT.

Hem ? que dites-vous ?

ZACORIN.

Je dis que ce Singe-là est un fou d’avoir quitté une si bonne auberge ; et que, si j’avais été à sa place, je me serais estimé trop heureux.

DROMONT.

Comme il est défendu à nos Nymphes de regarder les hommes en face, elles étaient du moins consolées d’avoir auprès d’elles un Animal qui ressemblât à quelqu’un d’eux.

ZACORIN.

Comment ! il est défendu à vos Filles de regarder les hommes ?

DROMONT.

Oui vraiment ; et aux hommes, de leur parler, sur peine d’être métamorphosés. Et voilà déjà, de ma connaissance, cinq ou six débaucheurs de Nymphes que notre Maîtresse a changés, les uns en loups, et les autres en ours. Et d’où diable venez-vous pour ignorer cela ?

ZACORIN.

Je ne croyais pas qu’il y eût des défenses si rigoureuses. Mais vous, qui êtes au service de Diane ?

DROMONT.

Oh ! moi, je suis sans conséquence ; et Diane sait que j’ai assez de peine après ses chiens sans songer à l’Amour. Mais adieu, je poursuis mon chemin. Si vous avez quelques nouvelles de notre Singe, je vous prie de m’en donner.

ZACORIN.

Je n’y manquerai pas. Mais, dites-moi un peu, que sont vos Nymphes à présent ?

DROMONT.

Bon ! elles ne sont pas encore éveillées. Pour Diane, elle a déjà devancé l’Aurore, et il y a plus d’une heure qu’elle chasse. Mais adieu, je n’ai pas le temps de m’amuser davantage. Jusqu’au revoir.

 

 

Scène VII

 

ZACORIN, seul

 

Puisque les Nymphes de Diane ne sont pas encore éveillées, tâchons de dormit de notre côté, en attendant le grand jour, cela me guérira peut-être de la migraine qui me tourmente ; et j’en serai tantôt plus frais et plus en état de plaire à Lucinette, si le hasard m’offre à ses yeux. Mais comment m’exposer à lui parler, après ce que me vient de dire Dromont ? c’est à quoi nous songerons à notre réveil ; dormons toujours. Le sommeil porte souvent son conseil, appelons-le à notre secours. Sommeil, doux sommeil, viens répandre sur moi la douceur de tes pavots. Il n’en fera rien, si quelqu’un n’a la bonté de l’appeler en musique. Depuis un temps la musique a le privilège d’endormir les gens les plus éveillés. Petits Oiseaux, Musiciens de ces Forêts, mettez, je vous prie, un moment la tête à la fenêtre, et joignez vos tendres gazouillements au doux murmure de ces eaux.

 

 

Scène VIII

 

CHŒUR DES OISEAUX, L’AMOUR, ZACORIN sur un gazon

 

L’AMOUR.

Je triomphe ; et j’ai mis Actéon hors de lui-même. Tandis qu’il est plongé dans de mortelles inquiétudes, comme le Sommeil obéit à ma voix, égayons-nous ici un moment, en flattant les désirs amoureux de Zacorin, par les songes les plus extravagants, et fortifions de plus en plus l’ardeur qu’il ressent pour Lucinette. C’est un fou qui ne nuira pas aux desseins que j’ai pris de faire enrager aujourd’hui Diane ; d’ailleurs, je me plais souvent à badiner avec les cœurs des plus chétifs mortels. Si je n’inspirais jamais que des ardeurs nobles et sérieuses, je m’ennuierais moi-même.

Il chante.

Viens, doux Sommeil, apaiser la migraine

D’un chasseur amoureux qui se jette en tes bras :

Hélas ! hélas ! hélas !

Il est si las, si las, si las,

Qu’à l’endormir tu n’auras pas,

Tu n’auras pas grand’peine.

 

 

Scène IX

 

LE SOMMEIL et SA SUITE

 

LE SOMMEIL.

Que tout garde un profond silence :

Vents, cessez de souffler ;

Ruisseaux, coulez sans violence :

Zacorin va ronfler.

Ronflement des Basses.

TRIO.

Ronflez sans alarmes :

Ah ! que le sommeil est doux !

À ses charmes

Abandonnez-vous.

Ronflez sans alarmes :

Ah que le sommeil est doux !

LE SOMMEIL.

Rêves bouffons, Comiques songes ;

Accourez, volez en ces lieux :

Par vos agréables mensonges

Rendez Zacorin heureux ;

Par vos agréables mensonges

Flattez ses désirs amoureux.

Entrée des Songes.

UN SONGE.

Zacorin, je suis Lucinette,

Je cède enfin à tes soupirs ;

Si mes faveurs sont tes plaisirs,

Je les prodigue, je les jette

Au devant de tes désirs.

Entrée des Songes extravagant.

UN AUTRE SONGE.

Heureux Amant !

Songe qu’en ce moment

L’Amour te change en chien couchant :

Songe qu’en cessant d’être

Lucinette devient perdreau.

Si le respect te dit tout beau,

L’occasion te dit pille.

ZACORIN, se réveillant en sursaut, aboie comme un Chien.

Houp, houp.

Le Sommeil et sa suite disparaissent.

 

 

Scène X

 

ZACORIN, seul

 

Mais le perdreau s’est envolé. Hélas ! on dit bien vrai que tous Songes sont mensonges. Je pensais aller gober Lucinette, et je n’ai pris que du vent. Mais il nie vient une bonne idée pour m’introduire auprès de Lucinette, sans être reconnu de personne. Courage, Zacorin ! C’est l’Amour qui t’inspire ; il ne t’abandonnera pas dans ce que tu vas entreprendre.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

DROMONT, seul

 

C’est ici que Diane va rassembler toutes ses Nymphes, et elle m’a chargé d’en écarter les Sylvains, les Faunes et les Satyres : s’il en tombait quelques-unes entre leurs pattes, autant de gobées ; ils vous les enlèveraient aussitôt dans la Forêt de Vénus, qui est tout proche d’ici ; et puis allez les chercher là. Sitôt que la Rivière est passée, c’est un lieu de franchise.

 

 

Scène II

 

ACTÉON, DROMONT

 

DROMONT.

Mais que vois-je ? le Prince Actéon ? je le croyais à la Chasse.

ACTÉON.

Ah ! mon cher Dromont, que j’ai de joie de te rencontrer !

DROMONT.

Monseigneur, c’est bien de l’honneur pour moi.

ACTÉON.

Tu sais que je t’ai toujours aimé.

DROMONT.

Oh ! par-delà mes mérites, Monseigneur. Il me souvient que, du temps que j’avais l’honneur de vous appartenir, j’étais comme le poisson dans l’eau.

ACTÉON.

Tu n’as rien perdu, en entrant au service de Diane.

DROMONT.

Cela est vrai ; je suis dans une assez bonne condition. Cependant il m’en ennuie ; et j’avais beaucoup plus de liberté quand j’étais auprès de vous. Toutes ces Nymphes me font tous les jours mille niches, elles me viennent sans cesse agacer. Oh ! ne me parlez point du service des femmes.

ACTÉON.

Comptes-tu pour rien d’être auprès d’une si charmante Maîtresse ? tu la vois tous les jours, tu lui parle, tu la sers.

DROMONT.

Et comptez-vous pour rien d’avoir la garde de toutes ses Filles ?

ACTÉON.

Si tu voulais m’être favorable, mon cher Dromont, je changerais bientôt ta condition en une fortune des plus considérables.

DROMONT.

Cela me viendrait bien à point. Et en quoi pourrais-je vous être utile ?

ACTÉON.

J’aime, j’adore Diane, et si tu voulais lui parler de mon amour...

DROMONT.

Vous aimez Diane ? Ah ! vous voilà bien tombé ! Et d’où diantre vous est venu cet amour-là ? vous, qui condamniez tant autrefois les amoureux ?

ACTÉON.

Je viens de voir cette Déesse pour la première fois, je me suis senti blessé d’un trait si terrible, que je n’en guérirai jamais.

DROMONT.

Il y avait longtemps que l’Amour vous gardait ce coup-là. Ma foi, je vous plains, car Diane ne veut pas qu’on parle de tendresse à la moindre de ses Nymphes, ce serait bien pis si on lui en parlait.

ACTÉON.

Que sais-tu ? souvent on blâme dans les autres ce qu’on passe aisément à soi-même ; et serait-elle la première Déesse qui aurait écouté les soupirs d’un mortel ?

DROMONT.

Celle-là est faite tout à rebours des autres. Elle se fâche d’un rien, et quand elle est offensée, il n’y a point de Déesse plus vindicative.

ACTÉON.

Ne lui parle de mon amour qu’en passant ; et, sans lui dire que je te l’aie déclaré, fais lui seulement connaitre que tu le soupçonne.

DROMONT.

Allons, je veux bien m’exposer à tout pour vous plaire ; mais il faudra que j’emploie bien de l’esprit pour en venir à bout.

ACTÉON.

Songe que mon bonheur, mon repos et ma vie sont entre tes mains.

DROMONT.

J’aurai soin de tout cela. Allez rejoindre Votre troupe, comme si de rien n’était, et ne paraissez point ici. J’irai tantôt vous rendre compte de ce que j’aurai fait.

 

 

Scène III

 

DROMONT, seul

 

Voilà une bonne chienne de commission dont je me charge là. Après tout, le pauvre Actéon est un bon Prince : ce n’est pas sa faute s’il a le cœur tendre ; mais, d’un autre côté, notre Déesse l’a dur comme un rocher. La voici avec une partie de ses Nymphes ; attendons qu’elle doit seule pour lui parler.

 

 

Scène IV

 

DIANE, DORIS, AGLANTE, SILVIE, LUCINETTE

 

DIANE.

Venez, chères Compagnes de Diane ; retirons-nous sous ce feuillage épais : Actéon et sa troupe chassent dans cette Forêt, et nous devons éviter leurs regards profanes.

DORIS.

En vérité, Déesse, il y a trop de cruauté à vous de cacher ainsi sans cesse vos appas : de quoi vous sert cette beauté, capable de ravir les mortels et les Dieux, si vous n’en faites aucun usage ?

DIANE.

Je laisse à la coquette Vénus l’ambition de plaire : cette Déesse, pour s’être rendue trop familière, ne s’est attiré que des vœux sans respects, et des offrandes méprisables ; on l’aime, sans l’estimer. Mais moi, j’ai cet avantage, que, sans me voir, on me désire ; on me respecte autant qu’on me redoute, et c’est ce que je demande.

DORIS.

Ah ! Déesse, si j’osais parler, j’aurais bien des choses à vous dire là-dessus.

DIANE.

Parle, ma chère Doris ; tu sais que tes discours n’ont jamais pu m’offenser, tu t’exprimes avec tant de naïveté et d’enjouement, que tu me peux dire librement toutes mes vérités.

DORIS.

Hé bien ! je vous soutiens donc que c’est la plus grande injustice du monde, que de se cacher quand on est belle.

DIANE.

Pourquoi ?

DORIS.

C’est que notre beauté n’est pas un bien qui nous appartienne ; le Destin ne l’a pas faite pour nous : elle est faite pour le plaisir de ceux qui ont des yeux pour la regarder.

DIANE.

Quoi ! mes appas ne sont pas à moi ?

DORIS.

Non certainement ; c’est le bien d’autrui. Vous n’êtes, pour ainsi dire, que gardienne de votre beauté ; tous les yeux du monde ont sur elle des droits, et c’est leur dérober leur bien que de les priver du plaisir d’une si charmante vue.

DIANE.

Je crois faire grâce aux profanes de prévenir les criminels désirs, et les coupables feux que mes attraits pourraient allumer dans leur âme, et que je me verrais obligée de punir, comme j’ai déjà fait tant de fois.

DORIS.

Mais, serait-ce une si grande offense que d’oser vous aimer ?

DIANE.

On aime rarement sans espoir, et cet espoir serait un manque de respect à ma Divinité, qui attirerait bientôt tous les traits de ma vengeance sur le téméraire qui oserait se flatter... Mais finissons ce discours, et ne parlons jamais de l’Amour que pour le détester. Voici l’heure où le Peuple s’assemble dans mon Temple pour m’offrir ses vœux, je vais invisible recevoir les offrandes, et respirer un moment l’encens qu’on fait brûler sur mes Autels. Pendant ce temps, aimables Nymphes, allez rassembler vos Compagnes, et livrez-vous à d’innocents plaisirs, exprimez dans vos jeux et vos chansons, toute l’horreur que l’Amour vous inspire ; je promets à mon retour un arc et un carquois des plus galants à celle de vous qui en aura dit le plus de mal.

 

 

Scène V

 

DORIS, AGLANTE, SILVIE, LUCINETTE

 

AGLANTE.

Livrez-vous à d’innocents plaisirs. Cela est bien aisé à dire ; mais la Déesse est si sévère, qu’elle trouve du crime à presque tout.

LUCINETTE.

Hélas ! je n’en goûte plus depuis que nous avons perdu notre singe.

SILVIE.

Ah ! Lucinette, qu’allez-vous rappeler à notre mémoire ? Ne m’en parlez point ; sa perte m’a été aussi sensible qu’à vous.

AGLANTE.

Pour moi je ; le regretterai toute ma vie.

DORIS.

Consolez-vous, mes chères Sœurs ; le Garde-Chasse a mis des pièges par toute la Forêt ; nous en attraperons bientôt quelqu’autre.

LUCINETTE.

Il ne sera pas apprivoisé comme Magotin.

AGLANTE.

Oui, il nous amènera peut-être quelque singe malfaisant, qui nous mordra, en feignant de nous caresser.

DORIS.

Diane a bien eu le pouvoir de rendre dans un moment Magotin sage et docile ; s’il en tombe quelqu’autre dans les filets, elle lui imprimera le même respect qu’avait le premier ; rien n’est impossible à notre Déesse.

 

 

Scène VI

 

DORIS, AGLANTE, SILVIE, LUCINETTE, ZACORIN en Singe

 

DORIS.

Mais que vois-je au haut de cet arbre ?

LUCINETTE.

Ah ! ma Sœur, je crois que c’est notre singe.

SILVIE.

Si ce n’est pas lui, il lui ressemble tout-à-fait.

LUCINETTE.

Ah ! ma Sœur, c’est lui-même.

DORIS.

Voyons de plus près. Magotin, Magotin ! Il est encore tout effarouché.

AGLANTE.

Venez, mon fils, venez. Ah ! ma Sœur, ce n’est pas lui : il nous fait la grimace.

SILVIE.

C’est qu’il ne vous connaît pas comme moi. Vous allez voir. Magotin, Magotin !

LUCINETTE.

Bon ! vous l’avez fait fuir. Nous voilà bien chanceuses ! que ne me laissiez-vous l’appeler ? il connaît mieux ma voix que celle de personne. Il revient, ne dites mot, et laissez-moi faire. Petit, petit, petit ; descendez, mon ami, descendez : on ne veut point vous faire de mal ; c’est Lucinette qui vous appelle. Hé bien ? que vous avais-je dit ? Ne le voilà-t-il pas qui descend ? Bons Dieux ! que de caresses !

SILVIE.

Ah ! l’aimable animal !

LUCINETTE.

Je vais lui donner du bonbon. Allons, baisez la main.

AGLANTE.

Il n’a rien oublié de ses singeries.

DORIS.

Allons ; dansez, sautez pour Diane, sautez pour moi, pour Aglante, pour Silvie, pour Lucinette.

SILVIE.

Ah ! je suis jalouse, il saute mieux pour Lucinette.

DORIS.

Sautez pour les vieilles Nymphes, pour les vielles Nymphes.

Le Singe refuse de sauter.

AGLANTE.

Il n’en fera rien, et il commence même à se fâcher. Si vous m’en croyez, mes Sœurs, nous lui remettrons sa chaîne...

Le Singe montre de la colère.

Au secours.

Toutes les Nymphes, excepté Lucinette, crient et s’enfuient, voyant le Singe en fureur.

 

 

Scène VII

 

LUCINETTE, ZACORIN, en Singe

 

LUCINETTE.

Pour moi, je ne le crains point, il ne m’a jamais fait de mal. Venez, venez, mon ami, je ne veux point vous enchaîner, moi.

ZACORIN.

Ah ! charmante Lucinette !

LUCINETTE.

Ah !

ZACORIN.

Ne vous effrayez pas, Nymphe adorable ; et ne fuyez point un Veneur malheureux, qui loin de vouloir vous donner la Chasse, vient se jeter lui-même à corps perdu dans vos filets.

LUCINETTE.

Où suis-je ? qu’entends-je ? ah ! je n’en puis revenir. Que dois-je penser de ce que je vois ? Diane aurait-elle donné la parole à notre Singe ?

ZACORIN.

Je ne suis point un Singe, belle Lucinette, je suis le plus tendre, le plus passionné de tous les hommes.

LUCINETTE.

Comment ! vous êtes un homme ! Ah ! je dois vous fuir.

ZACORIN.

Hé ! de grâce, restez encore un moment.

LUCINETTE.

Pourquoi donc ? que me voulez-vous ?

ZACORIN.

Vous faire entendre le son de mes soupirs amoureux.

LUCINETTE.

Quoi ! c’est de l’Amour que vous voulez me parler ? On m’en a toujours fait un portrait horrible ; et je vous avouerai franchement que c’est ce qui me donne quelquefois la curiosité de le connaître. Si l’on ne m’en avait jamais parlé, peut-être n’y aurais-je jamais songé. Mais où trouve-t-on ce petit animal-là ? je voudrais bien le voir une fois dans ma vie.

ZACORIN.

Vous n’avez qu’à me regarder, vous le verrez peint sur mon visage. Mais, plutôt, il faudrait pénétrer jusqu’au fond de mon cœur : vous verriez...

 

 

Scène VIII

 

LUCINETTE, ZACORIN, en Singe, DROMONT, DEUX BOUVIERS

 

LUCINETTE, bas.

Paix, ne parlez plus : voilà notre Garde-Chasse, et vous seriez perdu s’il vous reconnaissait.

ZACORIN.

Ah ! je suis mort ! où fuir ?

DROMONT.

Nos Nymphes m’ont averti que le Singe... Mais le voici, prenons bien garde qu’il ne nous échappe. Ah ! ah ! Monsieur le drôle, nous vous tenons pour le coup. Oh ! vous avez beau faire : nous vous allons garder de si près, que vous ne vous échapperez plus à l’avenir.

Dromont lui remet sa chaîne, il saute sur les pattes.

LUCINETTE.

Ah ! Dromont, ne lui faites point de mal.

DROMONT.

Oh ! vous ne connaissez-pas ces animaux-là, ils veulent être battus.

LUCINETTE.

C’est moi qui vous en prie, ne lui faites rien.

DROMONT.

Je le veux bien ; mais si dans la suite vous en êtes mordue, ne vous en prenez qu’à vous-même. Allez promptement rejoindre vos Compagnes qui sont en peine de vous.

LUCINETTE, en s’en allant.

Ah que je tremble pour ce pauvre malheureux.

 

 

Scène IX

 

DROMONT, ZACORIN, en Singe, DEUX BOUVIERS

 

DROMONT.

En vous remerciant, mes amis, maintenant que j’ai retrouvé notre Singe, je n’ai plus besoin de vous.

 

 

Scène X

 

DROMONT, ZACORIN, en Singe

 

DROMONT.

Oh ! çà, Monsieur Magotin, maintenant que nous sommes seuls, il faut que je vous étrille de la bonne sorte, pour la peine que vous m’avez donnée depuis trois jours à vous chercher ; je ne crains pas que vous vous en plaigniez. Quoi ! vous voulez vous enfuir encore une fois ! Allons ici... Oui, oui, tout cela est bel et bon : nous savons bien que, quand vous êtes enchaîné, vous êtes souple comme un gant.

Zacorin s’échappe et veut monter sur l’arbre : Dromont court après, et le rattrape.

ZACORIN.

Hélas ! mon cher Dromont.

Il se jette à genoux.

DROMONT.

Miséricorde ! un Singe qui parle ! Au secours, à moi.

ZACORIN.

Hé ! ne faites point de bruit, et reconnaissez, sous les traits de votre Singe, l’infortuné Zacorin.

DROMONT.

Zacorin !

ZACORIN.

C’est lui-même. Par malheur votre Singe ayant été tué, il y a quelques jours, par des Chasseurs qui ne le connaissaient point, je me suis revêtu de sa peau.

DROMONT.

Fort bien : pour venir chasser sur nos terres, et tâcher de nous détourner quelqu’une de nos Nymphes en les amusant par vos singeries ?

ZACORIN.

Hélas ! brave et généreux Dromont, ne me perdez pas ; je vous avouerai franchement que je suis amoureux, malgré moi, de la belle Lucinette, et que j’ai cru devoir tout hasarder pour lui déclarer mon amour.

DROMONT.

Vous êtes encore un plaisant magot ! Hé ! parbleu, si nos Nymphes voulaient qu’on les pourchassât d’amour, il y a ici d’aussi bons Chasseurs que vous, afin que vous l’entendiez.

ZACORIN.

Je le crois, mon cher Dromont ; quand ce ne serait que vous : j’ai toujours admiré votre adresse, votre bonne mine.

DROMONT.

Vous faites encore le railleur ! oh ! parbleu, je veux vous mener tout à l’heure à Diane dans cet équipage.

ZACORIN.

Oh ! parbleu, vous n’en ferez rien, et nous verrons qui sera le plus fort.

DROMONT se bat avec Zacorin.

À moi, Licarsis, Rustaut, Clabaut, Agrette.

Zacorin les renverse tous par terre et s’échappe.

 

 

Scène XI

 

DROMONT, seul, se relevant de sa chute

 

Ah ! le coquin me le payera. Mais voici nos Nymphes qui s’avancent, elles viennent ici s’exercer à leur ordinaire, à la musique et à la danse, notre Déesse en est aussi entêtée que de la Chasse. Éloignons nous. Sitôt qu’elle sera de retour de son Temple, je saisirai un moment favorable pour m’acquitter de la commission dont Actéon m’a chargé.

 

 

Scène XII

 

DORIS, aux Nymphes, qu’elle appelle

 

Venez, mes Sœurs ; il est temps d’exécuter les ordres de la Déesse : commençons nos danses et nos chants, et voyons qui de nous pourra le plus donner d’horreur de l’Amour.

 

 

Divertissement

 

Entrée de Nymphes.

PREMIÈRE NYMPHE.

L’Amour n’en veut qu’à notre honneur ;

Soyons toujours en crainte

D’entrer dans son enceinte ;

Évitons ce cruel Chasseur.

 

Jusqu’à notre défaite,

À cors et cris il nous poursuit ;

Mais, la chasse faite,

Notre cœur aux abois réduit,

Souvent il s’en rit,

Et sonne aussitôt la retraite.

Entrée.

DEUXIÈME NYMPHE.

En vain mon cœur vers la tendresse penche,

Je ne veux point jouer avec l’Amour :

Quand on y perd, on y perd sans retour ;

Quand on y gagne, il prend bien sa revanche.

Symphonie douce et agréable.

L’Amour arrive avec les Silvains.

PREMIER SILVAIN.

Sans le connaître,

Jeunes cœurs, voulez-vous toujours

Mépriser le Dieu des Amours ?

Quand vos appas, qui le font naître

Du temps auront suivi le cours,

Vous vous repentirez peut-être

D’avoir passé vos plus beaux jours

Sans le connaître.

Entrée de l’Amour et des Silvains.

DEUX NYMPHES.

Duo.

Quelle invisible flamme,

Quels traits sensibles et perçants

Ont pénètre mon âme !

Quels sont les transports que je sens ?

Je languis, je soupire,

Je crains, je forme des désirs :

Amour, si c’est là le martyre

Que l’on souffre dans ton Empire,

Quels doivent être tes plaisirs ?

Entrée de Silvains et de Nymphes.

PREMIÈRE NYMPHE.

Que l’Amour et ses plaisirs

Font tous les jours de misérables !

Aux tendres pleurs, aux amoureux soupirs

Soyons impitoyables ;

Épargnons-nous de tristes repentirs.

De nos forêts les monstres effroyables

Sont moins redoutables

Que l’Amour et ses plaisirs.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

DIANE, seule

 

Quel désordre est ceci ? que s’est-il donc passé dans mon absence ? que sont devenues mes Nymphes ? Je croyais les trouver toutes rassemblées dans cet endroit, et je n’en trouve pas une. Holà ! Dromont.

 

 

Scène II

DIANE, DROMONT

 

DIANE.

N’y a-t-il rien de nouveau ?

DROMONT.

Je ne sache rien, Madame, sinon que l’on avait rattrapé votre Singe...

DIANE.

Hé bien ?

DROMONT.

Hé bien ! il s’est échappé une seconde fois ; mais il n’y a pas grand mal, car il était devenu si méchant, qu’il a tantôt effarouché toutes nos Filles.

DIANE.

C’est donc pour cela qu’il n’en paraît pas une ; mais j’espère que ma présence les rassurera. N’y a-t-il rien autre chose ?

DROMONT.

Ah ! Déesse, il est arrivé un grand malheur ; et j’ai vu un pauvre Chasseur dans un triste état.

DIANE.

Comment ! quel Chasseur ?

DROMONT.

Le Prince Actéon, Madame.

DIANE.

Je l’ai tantôt rencontré. Que lui serait-il arrivé depuis ce temps-là ?

DROMONT.

C’est de ce temps-là tout justement qu’il a été blessé mortellement.

DIANE.

Et qui l’a blessé ?

DROMONT.

Un Animal bien dangereux, Madame.

DIANE.

Et qui encore ? un Sanglier ? un Ours ? un Tigre ?

DROMONT.

Pire que tout cela, Madame ; l’Amour.

DIANE.

Et d’où serait parti cet Amour ?

DROMONT.

De vos Terres, Madame.

DIANE.

Tu te trompes, mon ami ; ce monstre-là n’habite point nos Forêts.

DROMONT.

Cependant...

DIANE.

Cependant tu voudrais me faire entendre que quelqu’une de mes Nymphes lui aurait donné dans la vue.

DROMONT.

Oh ! non, Madame, je vous assure.

DIANE.

Un Mortel quel qu’il fût, qui oserait lever les yeux sur elles, en serait puni sévèrement.

DROMONT.

La peste ! le Prince Actéon n’est pas si impoli que cela ; il connaît trop le mérite d’une Déesse comme vous, pour...

DIANE.

Cela suffit : lorsqu’il n’aime aucune de mes Nymphes, il peut aimer qui bon lui semblera ; je ne m’y oppose pas, je ne puis que le plaindre.

DROMONT.

Ah ! Déesse, c’est trop de bonté que vous avez pour lui.

DIANE.

De quoi ?

DROMONT.

De lui donner la permission d’aimer qui il voudra, hors vos Nymphes.

DIANE.

Pourquoi ?

DROMONT.

C’est que c’est vous-même qu’il aime.

DIANE.

Qu’entends-je ? Ah quelle insolence ! quelle témérité !

DROMONT.

Hé ! mais il me semble...

DIANE.

Tais-toi malheureux : tu es bien hardi de me tenir de pareils discours ; ne sais-tu pas le respect qu’on doit à Diane ?

DROMONT.

Je vous demande pardon, grande Déesse ; je croyais bien faire. Vous m’avez donné ordre de vous avenir de tout ce qui se passerait dans vos Forêts, et je m’acquitte de ma charge.

DIANE.

Le téméraire Actéon ose aimer Diane, quand tous les Dieux n’osent lever les yeux sur elle !

DROMONT.

C’est aussi ce que je lui ai dit.

DIANE.

Comment ? c’est donc lui qui t’envoie ?

DROMONT.

Non pas autrement ; mais...

DIANE.

Quoi qu’il en soit, va trouver ce Prince audacieux, et lui dis que, si j’entends jamais parler de son amour, il apprendra jusqu’où peut aller le courroux de Diane offensée.

 

 

Scène III

 

DROMONT, seul

 

Je m’étais douté que les choses iraient comme cela ; et je suis encore bien heureux de m’en être tiré à si bon marché. Mais voici Zacorin, et je veux me venger de l’affaire de tantôt ; je ne serai pas fâché qu’il soit un peu puni de l’effronterie qu’il a d’aimer Lucinette.

 

 

Scène IV

 

DROMONT, ZACORIN

 

ZACORIN.

Hé bien ! mon cher Dromont ; êtes-vous encore fâché contre moi ?

DROMONT.

Tout au contraire ; et je viens de déclarer tout net à Diane l’amour d’Actéon pour elle, comme il m’en avait prié.

ZACORIN.

Hé bien ?

DROMONT.

Hé bien ! son affaire est faite.

ZACORIN.

Ah ! quel bonheur ! vous deviez bien aussi parler de la mienne.

DROMONT.

C’est aussi ce que je n’ai pas manqué de faire, et je crois qu’elle ira à peu près de même.

ZACORIN.

Serait-il possible ?

DROMONT.

Bon ! cela pouvait-il aller autrement ? mais je n’ai pas le temps de vous en dire davantage ; il faut que j’aille au plutôt trouver Actéon de la part de Diane.

ZACORIN.

Mais du moins apprenez-moi...

DROMONT.

Je n’ai rien à vous apprendre ; vous n’avez qu’à vous présenter, vous serez reçu à merveille, et vous allez trouver la Demoiselle de la meilleure humeur du monde.

 

 

Scène V

 

ZACORIN, seul

 

Le Diable ! on disait Diane si fière et si ridicule ! je savais bien, moi, que l’Amour n’offensait jamais les Belles ; il n’y a que manière de s’y prendre. Mais voici la Déesse, et Lucinette est heureusement avec elle. Je suis si troublé que je n’ai pas la force de parler ; éloignons-nous un peu pour reprendre courage.

 

 

Scène VI

 

DIANE, DORIS, LUCINETTE

 

DIANE.

Ah ! que m’apprenez-vous ? Quoi ! l’Amour a pénétré jusqu’ici ? il m’a enlevé les plus belles de mes Nymphes ? il les a rendu sensibles pour les Dieux de cette Forêt ? Tout a déserté de ces lieux, pour aller grossir la Cour de Vénus ? Ah ! je suis dans une telle fureur que je ne me connais plus, et je ne respire que la vengeance. Mais sur qui me venger ? Si je me plains à Jupiter, il ne m’écoutera pas. Condamnerait-il l’Amour, dont il implore lui-même tous les jours l’assistance ?

DORIS.

Déesse ; si nous osions...

DIANE.

Non, non ; abandonnons plutôt toutes ces ingrates Nymphes à leur mauvais fort ; l’Amour qui les a soustraites à mes lois, servira le premier dans la suite à me venger de leur perfidie ; il m’en reste encore assez pour me dédommager de celles qui m’ont abandonnée ; et quand je n’aurais que Doris et Lucinette, qui ont si généreusement repoussé les traits de l’Amour, c’en serait assez pour me consoler de tous les chagrins que j’ai essuyés dans ce jour.

Elle les embrasse.

 

 

Scène VII

 

DIANE, DORIS, LUCINETTE, ZACORIN

 

ZACORIN, à part.

La Déesse embrasse Lucinette ; voici justement le temps de me présenter.

Haut.

Grande Déesse, je viens vous rendre grâce de toutes vos bontés.

DIANE.

Que vois-je ? Quel mortel ose s’approcher d’ici ? Quel es-tu ?

ZACORIN.

Je suis Zacorin, Madame, un des Chasseurs de la suite d’Actéon.

DIANE.

D’Actéon ! Viens-tu encore m’entretenir de son amour ?

ZACORIN.

Non, Madame ; je ne suis ici que pour mon compte. Vous savez que j’adore Lucinette, je crois qu’elle ne me hait pas ; et je viens vous remercier de la bonté que vous avez d’approuver notre amour.

DIANE.

Que veut dire ceci ? et moque-t-on de Diane ? Quoi ! je n’entendrai parler ici que d’amour ? Le Maître ose s’attaquer à moi, et ses gens à mes Compagnes ! Et où est donc le respect qu’on doit à une Déesse à qui tout l’Univers ne doit songer qu’en tremblant ?

ZACORIN, bas.

Que diable veut dire ceci ?

Haut.

Madame, quand vous aurez une Nymphe de moins, c’est pour vous une bagatelle.

DIANE.

Quoi ! téméraire audacieux, tu es assez hardi...

ZACORIN.

Moi téméraire ? moi audacieux ? moi hardi ? Je vous assure, Madame, que ce sont des noms qui ne me sont pas dus, et que vous n’avez jamais chassé de lièvre plus poltron que moi.

DIANE.

Ah ! traître, il faut que le plus affreux trépas...

DORIS.

Hé ! Madame, c’est le fou du Prince Actéon ; il serait honteux à une grande Déesse de tremper ses traits dans un sang si abject.

ZACORIN.

Cela est vrai, Madame ; je ne mérite de mourir de votre main.

DORIS.

Bornez votre vengeance à le métamorphoser, comme vous avez fait tant d’autres.

DIANE.

Quelle figure faire prendre à ce malheureux-là, qui soit au-dessus de la sienne ?

LUCINETTE.

Hé ! Déesse, ayez assez de bonté pour lui, pour souffrir qu’il en ait le choix.

DIANE.

J’y consens.

ZACORIN.

Hé bien ! s’il en faut passer par-là, je vous prie, Madame, de me métamorphoser en joli Épagneul, pour avoir le plaisir de caresser sans cesse Lucinette.

DORIS, bas à Zacorin.

Quoi ! Malheureux, tu n’es pas encore guéri de ton amour ?

Haut à Diane.

Hé ! Madame, je vous demande grâce toute entière pour ce misérable.

LUCINETTE.

Je joins mes prières à celles de Doris.

DIANE.

Va, malheureux, retire-toi ; tu es redevable à ta bassesse qui te dérobe à ma vengeance ; mais surtout garde-toi de paraître jamais devant moi.

ZACORIN.

Hé ! Madame la Déesse, je vous le promets, et j’en jure...

DORIS.

On n’a pas besoin ici de tes serments. Mais, Déesse, maintenant que le Soleil, votre Frère, a diminué l’ardeur de ses rayons, ne voulez-vous pas, pour vous délasser des fatigues de la journée, aller à votre ordinaire goûter les douceurs du bain dans la claire fontaine qui coule au bas de cette roche, et dont ces bois touffus ferment l’accès ?

DIANE.

Oui, c’est mon dessein ; et je vais vous y attendre. Prenez soin de rassembler tout ce qui me reste de fideles Compagnes pour les y mener avec vous.

ZACORIN.

Mesdames, si vous souhaitez, j’irai garder vos habits.

DORIS.

Quoi ! tu n’es pas encore loin d’ici ? fuis, profane, et ne parais jamais dans ces lieux.

 

 

Scène VIII

 

ZACORIN, seul

 

Elles ont beau dire, je ne pourrai m’empêcher d’y revenir toujours. Ah ! pauvre Zacorin ! Après tout, je suis bien heureux de ne m’être trouvé qu’un chétif mortel. Souvent les petits se sauvent où les Grands laissent leur peau.

 

 

Scène IX

 

ACTÉON, ZACORIN

 

ZACORIN.

Mais voici Actéon : que diantre vient-il faire encore ici ?

ACTÉON, à part.

Malgré tout ce que vient de me dire Dromont, mon amour est trop violent pour le contraindre ; et, tandis que nos Chasseurs font le tour de la montagne pour revoir du Cerf qu’ils poursuivent, je viens chercher ici Diane, lui déclarer moi-même tout ce que je sens pour elle, dussé-je m’exposer à tous les traits de sa vengeance.

Haut.

Mais que fait ici Zacorin ?

ZACORIN.

Paix.

ACTÉON.

Comment ?

ZACORIN.

Chut.

ACTÉON.

Explique-toi.

ZACORIN.

N’avancez pas plus loin, si vous ne voulez être changé en grenouille.

ACTÉON.

Je crois que ce maraud extravague. Que veux-tu dire ?

ZACORIN.

Je veux dire que Diane est à deux pas d’ici avec ses Nymphes.

ACTÉON.

Quoi ! tu viens de voir Diane ? Ah ! trop heureux mortel !

ZACORIN.

Je voudrais bien ne l’avoir pas vue, car elle m’a donné une terrible frayeur.

ACTÉON.

Ah ! il faut absolument que tu me conduises où elle est.

ZACORIN.

Non, Seigneur ; j’ai promis de ne me plus présenter devant elle.

ACTÉON.

Mais, du moins, dis-moi où elle peut être ; je veux absolument la voir.

ZACORIN.

Puisque vous le voulez absolument, vous n’avez qu’à remonter le long de ce ruisseau, vous la trouverez qui se baigne avec ses Nymphes dans la fontaine qui coule au bas de ce rocher ; mais je vous avertis qu’il vous en arrivera malheur.

ACTÉON.

Quoi qu’il puisse m’en arriver, mon amour et ma curiosité l’emportent sur tous les périls qui pourraient suivre une entreprise aussi téméraire. Et quel malheur puis-je craindre qui soit au-dessus du bonheur que le hasard me présente ?

 

 

Scène X

 

ZACORIN, seul

 

Que diable va-t-il là tenter ? Je tremble ; Diane va exercer sur lui une vengeance des plus terribles. Avec quelle rigueur elle m’a refusé ma chère Lucinette ! je serai longtemps à guérir de mon amour, et cette aimable Nymphe sera toujours gravée dans mon cœur. Malheureux Zacorin, tu n’oserais plus désormais regarder en face cet objet si charmant : si tu la vois ce ne sera qu’en dormant. En dormant ! quelle cruelle extrémité d’être obligé de fermer les yeux pour voit sa maîtresse ! Mais Actéon est longtemps ; je souhaite pour lui qu’il ait pris un autre chemin que celui que je lui ai enseigné, et que Diane...

 

 

Scène XI

 

DIANE, LES NYMPHES DE DIANE, ZACORIN

 

LES NYMPHES de Diane crient derrière le Théâtre.

Haye.

ZACORIN.

Ah ! ma foi, pour le coup il a trouvé le nid.

DIANE, derrière le Théâtre.

Apprends, mortel audacieux.

Comme on punit les curieux.

ZACORIN.

Ah ! mon pauvre Maître est apurement payé de sa curiosité ! je crains bien que la Déesse n’étende sa vengeance jusques sur moi, pour lui avoir enseigné...

 

 

Scène XII

 

ACTÉON, un bois de Cerf sur la tête, ZACORIN

 

ZACORIN.

Mais que vois-je ?

ACTÉON.

Ah ! mon cher Zacorin, je suis tout hors de moi. Non, jamais rien de si beau ne s’est offert à mes yeux. Que la Déesse me punisse par les plus cruels tourments, il n’est point de peine si grande qui égale le ravissement où je suis. Ah ! si tu savais ce que je viens de voir...

ZACORIN.

Ah ! si vous saviez ce que je vois ?

ACTÉON.

Que vois-tu ? quelques gouttes d’eau que, dans son dépit, la Déesse m’a jetées au visage : mon cerveau en a été troublé dans le moment ; mais ce n’est rien.

ZACORIN.

Eh ! non, dà ; il y a bien des gens qui traitent cela de bagatelle : mirez-vous, s’il vous plaît, dans le clair ruisseau.

ACTÉON, se regardant dans le ruisseau.

Ah ! que vois-je ? malheureux ! mais je sens mon visage s’allonger, je sens mes bras s’étendre, mes pieds se rétrécissent, une frayeur subite s’empare de mon âme. Que dis-je ? je me trouve plus léger que de coutume ; et il me prend une envie de courir et de fuir à laquelle je ne puis résister.

Il sort.

 

 

Scène XIII

 

ZACORIN, parlant dans l’aile

 

Et où allez-vous donc, Seigneur ? avez-vous perdu l’esprit ? Mais le voilà métamorphosé tout à fait, il a pris la même forme du Cerf que nous courons, et voilà nos Piqueurs qui l’aperçoivent.

Le cor sonne la vue du Cerf.

Ah ! que vois-je ? voilà bien pis, on lui donne la vieille Meute.

 

 

Scène XIV

 

ZACORIN, CHŒUR DE PIQUEURS

 

LES PIQUEURS, derrière le Théâtre.

Tayaut, tayaut, tayaut,

Princesse, Tigresse,

Rapidaut, Rasinaut,

Vitesse, Souplesse,

Murmurant, Fanfaraut,

Tayaut, tayaut, tayaut.

ZACORIN, criant derrière le Théâtre.

Ah ! malheureux ! Voilà ses chiens qui le poursuivent de plus belle. Haye, haye, ce n’est pas là le Cerf de Meute, hourvari, hourvari à moitié haut.

Le cor continue de sonner.

 

 

Scène XV

 

ACTÉON, ZACORIN, CHASSEURS, PIQUEURS

 

Actéon, en Cerf, traverse le Théâtre.

ZACORIN tombe à genoux devant lui ;
le Cerf et les chiens lui passent sur le corps.

Ah ! mon cher Maître !

Aux Piqueurs.

Hé ! Messieurs, arrêtez-vous donc, et écoutez-moi.

CHŒUR DE CHASSEURS, derrière le Théâtre.

Tayaut, tayaut, tayaut.

Que l’on sonne,

Que l’on donne,

Comme il faut.

Tayaut, tayaut, tayaut.

Actéon, en Cerf, revient sur le Théâtre avec tous les chiens.

ZACORIN courant après les Piqueurs.

Ah ! voilà bientôt mon Maître aux abois.

CHŒUR DE CHASSEURS.

Allali, allali, allali.

Qu’on se ré jouisse,

Que l’air retentisse

Des cors et des cris ;

Il est pris, il est pris.

Allali, allali, allali.

HILACTOR.

Ah ! que je voudrais qu’Actéon fût ici présent ! qu’il aurait de plaisir !

ZACORIN, revenant tout essoufflé.

Plût au Gel, bien plutôt, qu’il en fût absent !

CÉLIDAN.

Il faut promptement lui lever le pied pour le présenter à Actéon à son arrivée.

ZACORIN.

Arrêtez donc ; vous allez couper le bras de mon Maître.

HILACTOR.

Que dis-tu ?

ZACORIN.

Je dis que cet animal-là est Actéon lui-même, que Diane vient de métamorphoser est Cerf, pour l’avoir vu tout à l’heure dans le bain toute nue.

Il prend le fouet d’un Piqueur.

Derrière, chiens, derrière.

HILACTOR.

Ah ! malheureux ! Et que ne nous disais tu cela d’abord ?

ZACORIN.

Bon ! est-ce que les Chasseurs le plus souvent entendent raison ? Ah ! mon cher Maître ! comme vos chiens vous ont accommodé ! La pauvre bête respire encore ; hélas ! si l’on pouvait lui donner du secours.

 

 

Scène XVI

 

L’AMOUR et LES ACTEURS de la Scène précédente

 

L’AMOUR.

Suspendez vos regrets. Diane, touchée du sort d’Actéon, va lui rendre sa première forme. Allez promptement laver ses plaies dans la prochaine fontaine dont l’eau salutaire va dans ce moment le guérir de toutes ses blessures.

ZACORIN.

Ah ! grâce aux Dieux, nous en serons quittes pour la peur.

L’AMOUR.

Et vous, heureux habitants de ces forêts, ne craignez plus désormais la sévérité de Diane, puisque le trait que je viens de lui lancer l’a déjà rendu sensible à la pitié ; j’espère que dans la suite son cœur ne sera pas impénétrable à l’Amour ; et je lui ferai voir que je sais tôt ou tard me venger de ceux qui méprisent mon Empire.

ZACORIN.

Pour moi, Seigneur Amour, je ne l’ai point méprisé.

L’AMOUR.

J’aurai soin d’assurer ton bonheur. Venez tous, pleins de joie et d’allégresse, célébrer ici mon triomphe.

 

 

Divertissement

 

Entrée de Chasseurs, de Sylvains, et de Nymphes.

CHŒUR.

Que tout célèbre dans ce jour

Le triomphe de l’Amour.

UN SYLVAIN.

Jeunes Nymphes, venez vous rendre ;

Ne fuyez plus des traits vainqueurs,

Dont, malgré toutes ses rigueurs,

Diane ne peut se défendre.

CHŒUR.

Que tout célèbre dans ce jour

Le triomphe de l’Amour.

DEUXIÈME SYLVAIN.

Sans craindre ses peines cruelles,

Chasseurs, vous pouvez être Amants :

Courez de belles en belles,

Changez d’objets à tous moments.

Pour les cœurs infidèles

L’Amour n’a point de tourments ;

Il ne punit que les rebelles.

CHŒUR.

Que tout célèbre dans ce jour

Le triomphe de l’Amour.

Vaudeville.

L’AMOUR.

Toutes les Nymphes de Diane

Me regardaient comme un profane ;

Mes traits leur ont livré l’assaut ;

Tayaut, tayaut, tayaut, tayaut.

Mais, loin de gémir de leurs peines,

Leur cœur trop farouche adouci

Et plaint encor, portant mes chaînes,

D’avoir été trop tard puni,

Et chante allali, allali.

UNE NYMPHE.

Qu’un vieillard près de moi soupire,

Qu’il me parle de son martyre,

Je romps les chiens tout aussitôt ;

À haut, à haut, à haut, à haut ;

Mais qu’au doux son de sa musette,

Un tendre Amant jeune et joli

S’en-vienne me conter fleurette,

Mon cœur en est tout réjoui ;

Je chante allali, allali.

UN CHASSEUR.

Chasseurs, qui poursuivez les Belles,

Si vous voulez triompher d’elles,

Ne restez jamais en défaut ;

Tayaut, tayaut, tayaut, tayaut ;

Criez, en suivant votre proie,

Amour à moi, velci, velci :

Si vous ne quittez point la voie,

Vous aurez bientôt réussi ;

Et puis allali, allali.

UNE NYMPHE.

J’aime mieux un Amour volage,

Qu’un Amour qui prend de l’ombrage,

Et me croit toujours en défaut,

À haut, à haut, à haut, à haut.

L’Amant jaloux gronde sans cesse,

Avec lui toujours hourvari :

L’inconstant, changeant de Maîtresse,

Me permet de changer aussi ;

Et puis allali, allali.

Au Parterre.

Contre le succès d’un Ouvrage

Souvent la cabale fait rage,

S’écriant au moindre défaut,

À haut, à haut, à haut, à haut.

Mais le Parterre véridique,

Dont le goût n’a jamais failli,

Laissant aboyer le critique,

Lorsque la Pièce a réussi,

S’écrie allali, allali.

Entrée générale de Chasseurs, de Sylvains et de Nymphes.

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